(Toronto) Le jeune grand maître indien Dommaraju Gukesh, 17 ans seulement, a remporté une cuvée mémorable du tournoi des candidats d’échecs, qui s’est tenu du 4 au 20 avril à Toronto.

Il est devenu le plus jeune vainqueur de l’histoire de ce tournoi – peut-être le plus important jamais disputé au Canada depuis le match de championnat du monde de 1894 entre Steinitz et Lasker dont une portion s’était déroulée à Montréal – et il devient du même coup le plus jeune challenger au titre ultime.

Gukesh aura maintenant l’occasion d’affronter le champion du monde, le Chinois Ding Liren, dans un match vers la fin de l’année. Ding détient le titre depuis 2023 ; il a succédé au Norvégien Magnus Carlsen qui a renoncé au titre après avoir été champion du monde de 2013 à 2023.

Une dernière ronde dramatique

La quatorzième et dernière ronde du tournoi de Toronto n’aurait pu offrir un meilleur scénario, car les quatre meneurs s’y affrontaient et tous avaient encore une chance de l’emporter.

En avance d’un demi-point sur les trois autres (une nulle vaut un demi-point, une victoire, un point), l’Indien Gukesh avait la délicate tâche d’affronter avec les noirs le grand maître et streamer américain Hikaru Nakamura, troisième joueur au monde et personnalité la plus flamboyante du monde des échecs. Nakamura diffuse quotidiennement ses parties rapides commentées en direct sur des plateformes comme Twitch ou YouTube et a même poursuivi son activité de streamer pour ses milliers d’admirateurs pendant le tournoi en filmant ses analyses à peine quelques minutes après chacune de ses parties⁠1.

  • Dommaraju Gukesh

    PHOTO SIMON GRAVEL, LA PRESSE

    Dommaraju Gukesh

  • Les partisans de Dommaraju Gukesh

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    Les partisans de Dommaraju Gukesh

  • Hikaru Nakamura

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    Hikaru Nakamura

  • Fabiano Caruana

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    Fabiano Caruana

  • Ian Nepomniachtchi

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    Ian Nepomniachtchi

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« Je crois que Gukesh serait satisfait d’une nulle, mais si Nakamura prend trop de risques, il essaiera de saisir sa chance », nous dit le journaliste indien Sagar Shah. Une nulle garantirait effectivement une égalité en tête à Gukesh, qui surprend Nakamura pour l’occasion avec un gambit dame accepté qui lui permet d’obtenir le précieux demi-point quelques heures plus tard malgré tous les efforts de Nakamura.

Les partisans de Gukesh, qui sont une centaine à l’attendre devant The Great Hall où se déroule le tournoi, peuvent déjà se réjouir. Leur favori est assuré de jouer au minimum un match de départage pour le titre.

« Il était mon joueur préféré même avant le tournoi », nous assure Shiva, ce que confirme son ami Yash. Le tournoi de huit joueurs compte deux autres joueurs indiens, qui au départ pouvaient aspirer au titre tout autant que Gukesh.

Caruana craque

L’autre partie cruciale de l’ultime ronde se déroule entre l’Italo-Américain Fabiano Caruana, deuxième au monde et une fois vainqueur des candidats dans le passé, et le Russe Ian Nepomniachtchi (Nepo), vainqueur des deux éditions précédentes et qui joue sans pouvoir afficher le drapeau de son pays depuis l’invasion russe en Ukraine. Tous deux ont échoué devant Magnus Carlsen à la toute dernière étape de leur quête du titre de champion du monde. Cette fois, ils doivent absolument gagner pour rejoindre Gukesh en tête et disputer un mini-match de départage avec lui.

Leur partie est compliquée dès l’ouverture, mais Caruana prend un avantage décisif en milieu de partie, dans un genre de position dynamique où il excelle. En temps normal, la victoire serait dans la poche, mais contre Nepo, qui n’a jamais été vaincu en tournoi des candidats malgré de nombreuses positions où il a dû se transformer en Houdini, la concrétisation d’un avantage n’est pas simple.

IMAGE TIRÉE DE LICHESS

Dans cette position, Nepo a sacrifié sa tour en jouant Tg8-g5 !

L’enjeu élevé et le manque de temps ajoutent à la difficulté de la tâche de Caruana, qui rate plusieurs façons d’achever Nepo. Au 39e coup, ce dernier sacrifie sa tour contre un pion et un fou et obtient un contre-jeu monstrueux grâce à sa dame, à son cavalier et à son pion très avancé.

Des centaines de milliers de personnes suivent la partie dans le monde, mais seulement quelques dizaines ont la chance de la regarder véritablement en direct, du haut de la balustrade qui surplombe l’aire de jeu et à laquelle on n’accède qu’après s’être séparé de tout appareil électronique et être passé au détecteur de métal, afin d’éviter toute possibilité de triche.

La partie est retransmise à l’extérieur en différé de 15 minutes, mais les spectateurs au Great Hall peuvent voir la chaise de Caruana osciller alors que les dernières secondes s’égrènent et qu’il ne trouve pas le gain dans une position où le tacticien Nepo harcèle son roi.

À quelques secondes de perdre au temps, Caruana transpose dans une finale sans espoir de gain et doit se contenter de la nulle après une partie épuisante et crève-cœur de 109 coups. Résultat décevant pour Caruana et Nepo, mais magnifique pour Gukesh et ses nombreux partisans qui l’attendent à l’extérieur en hurlant. « India ! India ! Gukesh is the best ! »

À l’intérieur, le gagnant, réputé pour son sang-froid, répond calmement aux questions des journalistes d’Al Jazeera, El País… et La Presse.

Les candidates

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Tan Zhongyi (au centre)

La Fédération internationale des échecs (FIDE) a décidé pour la première fois de présenter les volets féminin et masculin du tournoi simultanément, ce qui semble avoir été une bonne idée, même si le tournoi des candidates n’a pas offert le même suspense, l’éventuelle gagnante, la Chinoise Tan Zhongyi, menant la compétition pratiquement du début à la fin.

1. Écoutez les commentaires d’Hikaru Nakamura sur sa dernière partie (en anglais)