Cathy Connor aime le marathon de Boston. Elle aime la camaraderie. Elle aime cette course mythique qui remonte à 1897, ce qui en fait le plus ancien marathon annuel du monde. Elle aime l’idée de courir sur ce parcours vallonné qui a été conquis par Kathrine Switzer, Meb Keflezighi, Des Linden et d’autres grands noms.

Mme Connor, 58 ans, aime tellement ce marathon qu’elle y a participé neuf fois. Mais il y a une chose que de nombreux autres coureurs et elle n’aiment pas : la nouvelle médaille qui sera remise aux 30 000 athlètes qui termineront la course de 42,2 km ce lundi.

« J’ai été un peu débinée quand j’ai vu la photo », a déclaré Mme Connor, une graphiste de Pittsburgh, qui trouve que la nouvelle médaille est un « gâchis » : « C’est le marathon de Boston, pas une petite course locale. »

La nouvelle médaille a des ressemblances avec les versions antérieures. L’image principale, comme d’habitude, est une licorne dorée, l’animal emblématique de la Boston Athletic Association (BAA), qui organise le marathon.

Mais une différence essentielle fait hurler les traditionalistes : le nom et le logo du commanditaire, la Bank of America, s’étalent au bas de la médaille.

PHOTO ASHWORTH AWARDS

Le nouveau commanditaire, la Bank of America, s’est empressé de faire sa marque – littéralement – sur le marathon de Boston, puisque c’est la première fois qu’un logo d’entreprise apparaît sur le devant de la médaille.

« Je n’aime pas qu’on ait soudainement l’impression qu’on court le “marathon Bank of America” et que la Boston Athletic Association soit pratiquement effacée », dit George Christopher, 55 ans, de Downingtown, en Pennsylvanie.

Depuis 1983, une médaille est remise à tous les coureurs qui terminent le marathon de Boston, une pratique qui s’est largement répandue depuis. Mais à Boston, cette médaille a une valeur particulière. N’est pas admis qui veut : sauf exception, un chrono de qualification lors d’un autre marathon est exigé ou il faut collecter des fonds pour une association caritative.

De plus, la course est dure – beaucoup de collines, parfois des orages : la médaille du finisseur se mérite.

Eve Lanham, 39 ans, espère courir assez vite samedi au marathon Revel Mt. Charleston de Las Vegas pour obtenir un dossard à Boston l’an prochain.

« Pour les vrais marathoniens, Boston est sacro-saint, dit Mme Lanham, de San Diego. Pour quelqu’un comme moi, courir à Boston sera un exploit énorme, et sans doute pas une course que je pourrai faire régulièrement. Je veux que la médaille soit de bonne qualité et que la licorne soit en vedette, pas encore une autre pub de banque. »

Cette année, la Bank of America succède comme commanditaire principal à l’assureur John Hancock, de Boston. La banque s’est empressée de poser sa marque – littéralement – sur l’évènement, puisque c’est la première fois qu’un logo d’entreprise apparaît sur le devant de la médaille.

En février, la télé locale a diffusé un reportage sur la nouvelle médaille. Ce commentaire apparu sur Reddit traduit bien la teneur des réactions : « Ça donne mal au cœur ! »

PHOTO CHARLES KRUPA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le marathon de Boston est dur : la médaille du finisseur se mérite.

Peu après, le marathon a publié une photo de la médaille sur Instagram, s’attendant peut-être à des félicitations du fait qu’elle est faite de matériaux recyclés ; mauvais calcul. La section des commentaires a flambé : « extrêmement déçu », « tellement triste », « honteux », « dégoûtant », avec des émojis poubelle à profusion.

« La BAA comprend ce que représente la médaille de finisseur pour les participants au marathon », a écrit un porte-parole de la Boston Athletic Association dans un communiqué. « Nous pensons que tous les coureurs la porteront avec fierté après avoir franchi la ligne d’arrivée, comme ils le font depuis des décennies. »

La Bank of America n’a pas répondu à une demande d’entrevue.

En octobre, Mme Lanham a participé au marathon de Chicago, également commandité par la banque. Mais la médaille était « beaucoup plus soignée », avec le nom de la marque inscrit dans le haut en lettres de taille relativement modeste.

Christopher, qui a fait le marathon de Boston en 2020 – la course était virtuelle, à cause de la pandémie –, se dit impatient de s’attaquer au vrai parcours ce lundi. Il comprend la frustration généralisée envers la nouvelle médaille.

Il en a une, frappée par la même entreprise, qu’il a obtenue lors d’une autre course. « Elle est magnifique, dit-il. L’ancienne médaille de Boston avait un design qui datait, et je pense que tout le monde espérait que la nouvelle ressemblerait à celle-ci. »

Mme Connor a couru son premier marathon à l’âge de 39 ans et en a terminé 37 depuis. Elle comprend intimement le dur labeur que cela implique. Il y a deux semaines, elle a effectué sa dernière course de fond – 34 km – avant son 10e marathon de Boston.

La nouvelle médaille est-elle décevante ? Bien sûr. « C’est toujours une question d’argent », dit-elle.

Mais ce bout de métal recyclé qui suinte le branding ne gâchera pas sa joie. D’ailleurs, elle veut participer à de nombreux autres marathons, dont un en France, le marathon du Médoc, où les athlètes gagnent un autre type de prix : une coupe de vin à chaque poste de ravitaillement.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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