Il est talentueux, charismatique et ambitieux. Laurent Lavigne a tout pour lui. À 22 ans, il est exactement là où il voulait être. Ou presque. Le kayakiste le plus prometteur au pays a encore beaucoup à faire, mais il veut surtout devenir la meilleure version de lui-même.

C’était en 2019, à Lac-Beauport. Lavigne participait au Championnat provincial de longues distances. Comme ses rivaux, il avait 18 kilomètres à parcourir. C’était au début du mois d’octobre. Il ventait. Il faisait froid. Cette journée-là, Lavigne a remporté la course chez les M18. Par près de sept minutes.

« C’est la première fois que je l’ai regardé ramer et je me suis dit : “Oh boy ! Ça va être quelque chose”, se souvient son coéquipier Pierre-Luc Poulin. Il n’est pas juste grand et fort. J’ai vu qu’il était un dur de dur. »

Trois ans et demi plus tard, Lavigne rame dans la même embarcation que Poulin. Aux derniers Championnats du monde, leur K4 a pris le cinquième rang. Un résultat historique pour le Canada.

Lorsqu’il s’est pointé dans la cafétéria réservée aux athlètes du bassin olympique, Laurent Lavigne venait à peine de terminer son premier entraînement de la journée. Il s’est présenté avec un chandail bleu à manches courtes, les cheveux humides, le souffle encore un peu court, un sac en bandoulière et une gourde Gatorade.

Même s’il n’est pas le plus volubile, le Trifluvien attire les regards lorsqu’il entre dans une pièce. Le gaillard aux yeux bleus de 6 pi 3 po et 215 lb entretient une carrure semblable à celle du roi d’Asgard.

Les travaux en cours dans l’île Sainte-Hélène pour préparer le Grand Prix du Canada ont servi de prémisse à une longue discussion. Lavigne y sera, en bordure de piste, avec son père et son frère. Si le patriarche s’est toujours déposé pour regarder les courses le dimanche, son frère et lui sont devenus des passionnés grâce à la série Drive to Survive. Le « drama » l’a fasciné.

Ça, et le désir de comprendre. De se reconnaître à travers ces athlètes hors normes.

Je comprends surtout leur compétitivité et leur désir de gagner. Même s’ils ne sont pas dans la meilleure voiture, ils ne cherchent pas d’excuses. Ils cherchent juste à devenir la meilleure version d’eux-mêmes.

Laurent Lavigne, à propos des pilotes de Formule 1

Lavigne est convaincu qu’un athlète, en travaillant fort et en faisant les bons choix, peut atteindre son plein potentiel, malgré les doutes envahissants. Il nourrit une fascination pour l’athlète. Cette machine presque surhumaine dont le quotidien est un mode d’emploi constamment évolutif sur la manière de transformer un processus en triomphe. C’est le travail d’une vie et le kayakiste est prêt à y consacrer la sienne.

De nature plutôt réservée, il est attentif aux détails. Il capte et assimile tout ce qui pourrait l’aider à devenir le meilleur sportif possible. « Il a toujours été plus posé, et c’est quelque chose que j’admire, raconte Albert, son frère de quatre ans son aîné. Il ne se fâche pas facilement. Il est capable de prendre un pas de recul et de bien analyser chaque situation. »

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Laurent Lavigne

Un homme de son temps

À la fin de la dernière saison, Laurent Lavigne a subi une importante blessure à une épaule. Aujourd’hui, il est à 100 %, jure-t-il. En fait, il est « en santé physique et mentale », précise-t-il. Comme si les deux allaient de pair. Sans doute parce que l’un ne va pas sans l’autre.

Lavigne n’est pas le premier athlète de sa cohorte à prendre un soin jaloux de sa santé mentale. « Peut-être même plus que physique. Parce que si ta forme physique est à 100 % et que ton mental est à 50 %, ce sera impossible d’utiliser complètement ta forme physique à son plein potentiel. »

D’autres athlètes de 22 ans, comme la joueuse de tennis Bianca Andreescu et la patineuse Marjorie Lajoie, entre autres, ont exprimé dernièrement à quel point l’équilibre mental était nécessaire à leur réussite. « On est plus conscientisés. Et le sport change aussi », souligne-t-il.

Laurent Lavigne est de ceux qui auraient probablement réussi dans n’importe quel domaine. Principalement parce qu’il a été aimé, chéri et encadré.

Mon père m’a toujours dit que l’équilibre était important. Et ça m’a grandement aidé.

Laurent Lavigne

Son frère Albert, ancien kayakiste de haut niveau, donne énormément de mérite à leurs parents : « Ils ont toujours prôné la diversité. La fin de semaine, on manquait souvent l’entraînement du samedi parce qu’on partait au chalet, mais pour faire du sport. Ça faisait en sorte que notre vie ne tournait pas autour du kayak. On n’a jamais eu de pression. »

Aujourd’hui, Laurent Lavigne étudie en administration au campus de l’Université de Sherbrooke à Longueuil. Récemment, l’étudiant-athlète a reçu une bourse d’excellence de 2000 $ de l’Alliance sports-études pour son rendement sur l’eau et en classe.

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Laurent Lavigne

Le présent et l’avenir

Dans le K4 canadien, Laurent Lavigne est le plus jeune. Ses coéquipiers ont trois, quatre et cinq ans de plus.

De son club local sur le Saint-Maurice, Lavigne était prédestiné à gravir les échelons rapidement. Il est identifié depuis un certain temps comme l’avenir du kayak canadien.

Dans les dernières années, je m’attendais à être là où je suis aujourd’hui. Je voulais être dans cette position.

Laurent Lavigne

D’ici peu, ce sera à son tour d’accueillir, d’épauler et de guider la génération qui succédera à celle de Pierre-Luc Poulin et compagnie. Lorsqu’ils prendront le large, Lavigne y sera toujours. Probablement au sommet de son art. « Quand je regarde après 2024, je serai encore jeune. C’est excitant. Tant que j’aime le kayak, je vais continuer. »

De son côté, Poulin n’est pas inquiet à l’idée de devoir éventuellement laisser les clés de l’embarcation à son coéquipier : « C’est un joueur d’équipe. L’équipe passe toujours avant, souffle Poulin. Il a aussi une naïveté, mais une bonne naïveté. Dans le sens que dans son esprit, tout est faisable. Quand c’est le temps de courser, il n’y a plus rien qui existe. »

Sur la route de Paris

Les membres de l’équipage canadien ne raffolent pas des discussions évoquant l’avenir. Surtout lorsque ça concerne les Jeux olympiques. Que ce soit pour éviter de conjurer le mauvais sort ou pour limiter les distractions, ils se concentrent davantage sur les Mondiaux du mois d’août, en Allemagne.

Il reste qu’il est presque impossible de ne pas penser aux Jeux olympiques de Paris. Dans un an, Laurent Lavigne pourrait participer à ses premiers Jeux.

Néanmoins, le but à court terme est d’être « dans la game ». Traduction : faire partie des prétendants à chaque course.

À partir de maintenant, ce sera un sprint jusque-là. C’est une poussée constante vers l’amélioration. C’est une pente montante jusqu’à Paris et c’est motivant.

Laurent Lavigne

L’aspect sportif peut se contrôler. Après tout, il est maître de son propre destin. Pour lui, « le défi sera l’ampleur des choses ».

« Les Jeux olympiques, ce sera une course, mais avec un poids beaucoup plus considérable, mais ça rend ça aussi plus excitant, ajoute-t-il, mais c’est vrai que ça joue un peu dans la tête. »

C’est pour cette raison que son entourage refuse de lui en parler trop souvent : « Le but, c’est de ne pas lui imposer une pression supplémentaire. On sait que ce sera une grosse étape, donc ça ne donne rien d’en ajouter », indique Albert Lavigne.

Laurent Lavigne chérit le rêve olympique, mais aussi celui de devenir la version ultime de lui-même. Et il croit qu’un jour, il pourra y arriver. « C’est ça le but. »

Il entrevoit l’avenir avec le sourire. « J’essaie de ne pas trop y penser, mais dans un an, je veux être le meilleur possible. À chaque compétition, tu te dis qu’à la prochaine, tu seras encore meilleur. »

De retour à l’extérieur, dans le climat caniculaire de la fin mai, afin de rapailler son matériel, il a encore été question du Grand Prix.

Qui gagnera ?

« Ah… Fernando Alonso. On y va avec Alonso ! »