L’alpiniste québécoise entame la dernière étape de son projet Apex Woman, qui consiste à gravir cinq des plus hauts ou des plus difficiles sommets de la planète

Marie-Pier Desharnais s’apprête à s’aventurer sur le continent le plus incompris de la planète. Là où rien ne dure, l’alpiniste devra négocier avec la peur, car rien ne lui sera plus utile.

Avec ses vents dévastateurs, ses déserts gelés et ses murs blancs délimitant l’horizon, l’Antarctique est le dernier et le plus grand mystère de la Terre.

La quête de l’aventurière de 37 ans est de devenir la première femme au monde à escalader les sept sommets montagneux et volcaniques les plus élevés de chacun des sept continents. Elle tentera de biffer les monts Sidley et Vinson de sa liste.

De ses 14 objectifs initiaux, il ne lui en reste que trois à grimper, incluant les deux sommets du pôle Sud, à respectivement 4285 m et 4892 m d’altitude.

Cette excursion est planifiée depuis trois ans. La pandémie lui a fait prendre son mal en patience. En juillet, elle a néanmoins pu se préparer adéquatement, car elle est montée au sommet du mythique K2. « J’ai une prédisposition à l’acclimatation, parce que mon corps est toujours en mode haute altitude », raconte l’athlète de Victoriaville, envahie par ses bagages sur le sol de son chez-soi, à quelques jours de partir pour un autre grand périple. Elle estime passer de 60 à 70 % de son temps en montagne au cours d’une année. Trois semaines après le K2, elle était au Pérou. Un mois plus tard, elle se trouvait au Népal.

En Antarctique, rien ne peut survivre à long terme. Ni les hommes ni les arbres. C’est pourquoi ses déserts restent des néants. Du vide à perte de vue. La température moyenne se situe entre -10 et -60 degrés Celsius. Avec les vents polaires, ça devient invivable.

« Le froid est l’une des choses qui me rendent le plus anxieuse », révèle la Québécoise. Toutefois, cette crainte est nécessaire et utile dans sa discipline. « La peur est une espèce de boussole. Elle est essentielle. »

Sans peur, les alpinistes prendraient trop de risques, explique-t-elle. Leur vie est entre les mains de la montagne et ils doivent en être conscients. « Il faut bien connaître ses limites. Jusqu’où la peur joue un rôle sain pour te garder en vie. Jusqu’où tu as le droit d’enfreindre tes limites avant que ça ne devienne dangereux. La peur est là, constamment, chaque jour, pour différentes raisons. »

La crainte d’échouer habite également Marie-Pier Desharnais. Il s’agit après tout de l’expédition la plus dispendieuse de sa vie. « Si je ne réussis pas, je vais avoir englouti toutes mes économies. Il faut que ça vaille la peine. J’y vais le tout pour le tout. Je mets tout ce que j’ai dans ce projet en lequel je crois depuis des années. » Ces pensées voyageront avec elle jusqu’au pôle Sud, car « si quelque chose ne fonctionne pas, je n’aurai peut-être pas la chance d’y retourner un jour ».

Grimper pour vivre

Desharnais s’est lancé ce défi, parce qu’elle sait qu’elle est capable de le relever. Elle le fait aussi car elle en a besoin. « C’est en expédition que je me sens le plus vivante. »

Avec son sac sur le dos, les joues abîmées par le froid et les yeux rivés sur une superficie de possibilités, les émotions sont à leur apogée, dit-elle.

Avec les années, l’inconfort, le froid, la peur des hauteurs et la faim l’ont véritablement transformée.

Il n’y a pas meilleur moyen d’apprendre qui on est et de quoi on est fait que lorsqu’on teste nos limites.

Marie-Pier Desharnais

Petite et humble au dernier étage de ces édifices de la nature forgés par le temps, cette image d’être au sommet du monde est bien réelle, car Desharnais est parvenue à créer son propre monde. Un monde dans lequel elle est le personnage principal. Inspirée et capable.

« La montagne est comme un miroir pour l’âme », évoque-t-elle dans une autre métaphore.

En hiver, la nuit s’impose à temps plein en Antarctique. En été, la boule de feu ne se couche jamais. Nécessaire pour attiser l’espoir, la vérité et la lumière. « Tu peux te mentir pour un temps, tu peux te faire des accroires, mais ça ne dure pas longtemps. Éventuellement, la personne que tu es, dans le plus beau comme dans le plus laid, ressort. »

Desharnais raconte avoir passé beaucoup de temps dans des endroits reculés ou dans des déserts. Elle devrait donc trouver son compte en Antarctique, car « je pense qu’il n’y a pas d’endroit plus reculé sur Terre que le pôle Sud ».

Elle s’apprête à visiter un continent que « personne ou presque n’aura la chance de voir ». Elle le décrit comme « mystique » et « qui touche l’imaginaire ». Un peu comme le défi qu’elle s’est lancé, après tout.