Après un mandat de cinq ans, Guy Thibault, physiologiste de l’exercice de renommée mondiale, prend sa retraite à titre de directeur des sciences de l’Institut national du sport du Québec.

Pendant des décennies, Guy Thibault a été la tête chercheuse de la Direction du sport, du loisir et de l’activité physique du ministère de l’Éducation. Les lecteurs de Vélo Mag ont longtemps suivi ses conseils. Les étudiants en kinésiologie se réfèrent toujours à son livre Entraînement cardio : sports d’endurance et performance.

À sa retraite du Ministère en 2016, Thibault poursuivait la rédaction d’une deuxième édition de son succès de librairie publié en 2009 quand l’Institut national du sport (INS) du Québec l’a contacté. Le vice-président de l’époque cherchait un nouveau directeur des sciences du sport. Après avoir fait partie du comité de sélection, le physiologiste de l’exercice de renommée mondiale a compris que c’était lui, le candidat recherché.

« Mon intention était de ne jamais plus travailler, relate-t-il. J’ai dit non pendant un mois. Ma conjointe m’a dit : “Essaie, tu vas peut-être aimer ça.” J’ai commencé à mi-temps. Finalement, j’ai tellement aimé ça que c’est devenu un temps plein. J’ai passé cinq merveilleuses années ici. »

À 65 ans, Thibault sent qu’il est maintenant temps de « passer le bâton du relais » à François Bieuzen, un autre physiologiste de l’exercice qui lui succédera comme directeur des sciences du sport de l’INS.

Pour sa dernière semaine de travail, Thibault a reçu les éloges de ses collègues dans le cadre d’une petite fête lundi.

Aujourd’hui, les gens me disent : “Tu as réussi pas mal de choses en cinq ans.” Eh bien, non ! Je suis ancien coureur cycliste. J’ai fait comme le cycliste qui s’est tenu dans le peloton et qui a profité du travail des autres ! Tout ce que j’ai fait, c’est de donner des espèces d’orientations. Je me suis fait le chien de garde de ces orientations. Résultat : on a créé, créé et créé.

Guy Thibault

Docteur en physiologie de l’exercice de l’Université de Montréal (1976), il est particulièrement fier de l’influx donné à l’INS en recherche et innovation, deux volets pratiquement inexistants à son arrivée dans les locaux de la piscine du Parc olympique. Aujourd’hui, l’institution provinciale est un leader et un carrefour dans le domaine.

« Par définition, un institut est là pour soutenir des équipes canadiennes en fonction de l’argent qu’elles vont chercher chez À nous le podium. Nous, on est des pourvoyeurs de services pour les équipes. Mais les vrais scientifiques du sport de haut niveau savent très bien que tu ne peux pas juste donner des conseils scientifiques au quotidien et faire des mesures pour aider. Il faut aussi que tu fasses de la recherche et de l’innovation. »

Sous sa direction, 80 projets de recherche ont été menés ou sont en voie de l’être grâce à des fonds totalisant près de 4 millions de dollars. Environ la moitié de cette somme provient du gouvernement du Québec qui a investi dans le nouveau Programme de recherche, d’innovation et de diffusion de l’information (PRIDI).

Les domaines sont multiples : intelligence artificielle, réalité virtuelle ou augmentée, commotions, science des données, neuroscience, surhydratation pour faire le poids, quantification de la charge en trampoline, etc.

Les Mozart

Pour y arriver, 45 scientifiques du sport, à l’interne ou dans les universités, sont mis à profit. Thibault s’enthousiasme lorsqu’il évoque les spécialistes dont il s’est entouré et qu’il appelle ses « Mozart » : Amélie Soulard (performance mentale), Alain Delorme (préparation physique), Bieuzen, David Jeker (physiologie), Thomas Romeas (neuroscience) et cie.

« Un des principes que j’ai invoqués ici en rentrant, c’est : arrêtez de me parler des besoins des sports, explique Thibault. Il faut aller au-delà des besoins. Ce qui va vraiment aider une équipe canadienne grâce à la science, ce n’est pas partir de ses besoins, c’est partir de ce que nous connaissons comme ressources. Il faut conjuguer les deux. Parce que les sports ignorent peut-être l’existence de ce qui va véritablement les aider. »

Le physiologiste cite une application développée pour le patinage de vitesse courte piste grâce à l’apprentissage automatique, une forme d’intelligence artificielle. Bieuzen et le champion canadien de triathlon Jérémy Briand, crack des mathématiques de McGill, ont conçu une application qui génère des projections utiles aux entraîneurs.

« Un peu comme des prévisions météo, ça nous permet de prédire l’état de l’athlète dans les semaines suivantes, expose Thibault. Quel est le risque qu’il se blesse, qu’il tombe, qu’il ait une blessure d’usure, qu’il fasse une dépression, qu’il se mette à perdre ses performances ? On est capables de prédire ça avec un taux [de réussite] de 80 %. » En collaboration avec un étudiant et un professeur de l’École de technologie supérieure, l’INS Québec a pu développer un système qui permet d’étudier de façon pointue la biomécanique de plongeons à partir d’images de compétitions, donc sans l’aide de capteurs. Dans ce cas, ils ont eu recours à l’« apprentissage profond », une technique poussée de l’intelligence artificielle.

Les équipes canadiennes profitent des avancées de l’INS dans le secteur des sciences, mais aussi les fédérations québécoises, se félicite le nouveau retraité, qui se voit avant tout comme un pédagogue.

Moi, ma passion, c’est de vulgariser. Je ne me vois pas comme un chercheur, même si les gens pensent que j’en suis un. J’en fais, des recherches et des publications, mais je ne suis pas un chercheur. Je suis un scientifique vulgarisateur. C’est ça, mon trip, dans la vie.

Guy Thibault

Son seul regret : ne pas avoir pu pousser davantage le domaine de la robotique. Avec l’entreprise québécoise Exonetik, les spécialistes de l’Institut souhaitent créer des robots d’entraînement pour l’escrime et le water-polo. L’appareil pourrait être programmé pour « prendre en défaut un gardien ou un fleurettiste 8 fois sur 10 », par exemple.

« C’est notre rêve. On sait que c’est possible, mais on n’a juste pas trouvé le fric. On parle d’à peu près un quart de million. » Les boxeurs, eux, peuvent déjà s’entraîner avec des lunettes de réalité virtuelle.

Guy Thibault se retire, mais il est loin d’avoir fini de contribuer au déploiement de la science du sport au Québec. Il continuera de superviser des étudiants à titre de professeur associé à l’Université de Montréal. Il poursuit également le développement d’une application web pour l’entraînement par intervalles, sa grande spécialité, qu’il espère commercialiser au profit de l’INS.

Sinon, il sera sur son vélo avec la volonté de « freiner la diminution de [ses] performances cyclistes » !

Et si vous lui dites que ses méthodes d’entraînement, adaptées à tous les niveaux, vous ont permis d’améliorer vos performances dans une course du dimanche, vous lui ferez la plus belle fleur.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Guy Thibault

L’avis de Guy Thibault sur…

Les effets de la pandémie

« Au début de la pandémie, nous avions très peur de la myocardite chez les athlètes. Ça prend des mois à se sortir d’une inflammation du cœur due à une infection. Finalement, on n’a pratiquement pas vu de cas. Maintenant, des recherches récentes, surtout en Europe, montrent que les gens ne reviennent pas à un mode de vie sain à présent que les mesures s’estompent. On parle de manger plus, boire plus, bougez moins. Ça, c’est vraiment inquiétant, surtout chez les jeunes. »

La spécialisation en bas âge

La spécialisation hâtive est à proscrire, mais certains sports comme la gymnastique, le plongeon ou le patinage artistique exigent une spécialisation en bas âge, ce qui n’est pas la même chose, précise Thibault. L’INS Québec a mené une étude sur de jeunes athlètes de 12 à 17 ans qui ont eu à se spécialiser très jeunes. « On a découvert un paquet de choses intéressantes. Ils ne dorment pas la semaine parce qu’ils ont des horaires de fou. Ils n’ont pas d’amis en dehors du sport. La fin de semaine, ils doivent dormir énormément pour compenser. Ils passent énormément de temps en transport. Ils n’ont pas beaucoup de temps pour étudier, mais chose surprenante, ils sont vraiment bons à l’école. La plus grande surprise qu’on a eue, c’est que même dans des sports où ça prend énormément d’habiletés motrices, comme disons la gymnastique, on les “prenait en défaut” dans des tests courants de physiothérapie ou d’orthopédie. Même s’ils étaient très bons dans leur sport, ils n’avaient pas encore une maturation physique universelle complète. Les organisateurs sportifs doivent donc faire très attention. »