Chaque semaine, les journalistes des sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence. Notre invité spécial cette semaine, le directeur général des Alouettes de Montréal, Danny Maciocia.

Danny Maciocia, directeur général des Alouettes de Montréal

Il y a eu plusieurs grands architectes au fil des décennies, dont Red Auerbach et Scotty Bowman, entre autres. Auerbach a été l’homme derrière les succès des Celtics de Boston des années 1960 jusqu’aux années 1980. Je me souviens surtout des Celtics des années 1980 avec Larry Bird, Kevin McHale, Robert Parish et Dennis Johnson. Bowman et le Canadien ont formé une grande dynastie, eux aussi. Mais je dois choisir Bill Belichick pour la culture et la structure qu’il a mises en place chez les Patriots, une équipe qui n’était pas dans un très bon état avant son arrivée en Nouvelle-Angleterre. J’adore sa philosophie selon laquelle chaque joueur doit faire son travail, tout simplement. Ils n’ont pas à réussir un jeu, ils doivent seulement faire le travail qui est attendu d’eux. Et si tous les joueurs le font, les résultats vont suivre. C’est le concept d’équipe avant tout. Il a gagné avec le même quart-arrière, Tom Brady, durant une vingtaine d’années, mais on voit que ça s’en va dans la même direction avec Mac Jones. C’est l’équipe que personne ne veut affronter en ce moment. Les joueurs ont changé au fil des ans, mais les résultats, très peu.

Mathias Brunet

PHOTO FRANCK FIFE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Aimé Jacquet, sélectionneur de l’équipe de France de soccer

Rarement un gestionnaire sportif n’aura subi d’attaques aussi vicieuses. Le sélectionneur de l’équipe de France de soccer Aimé Jacquet a été démoli pendant deux ans par le journal L’Équipe, entre 1996 et 1998, à l’aube de la Coupe du monde en 1998, en raison d’une approche résolument défensive et de traits un peu trop provinciaux au goût des journalistes parisiens. Il y avait aussi une gronde en trame de fond puisque la France avait raté sa qualification pour la Coupe du monde de 1994, que l’équipe, déconstruite puis reconstruite par Jacquet, avait multiplié les nulles de 0-0 à l’Euro en 1996, et du fait que la France accueillait la Coupe du monde cette année-là. On le traite de « laborieux du ballon rond », de « tacticien fruste, parfois paléolithique », on se moque de son accent. Malgré les nombreuses attaques personnelles et les remises en question de la presse, Jacquet a maintenu le cap. Contre toute attente, Aimé Jacquet triomphe et entre dans la légende lorsque la France bat le Brésil 3-0 en finale du Mondial le 12 juillet 1998 au Stade de France. Une des victoires les plus improbables de l’histoire du foot. La tournée triomphale, dans les jours qui suivent, reste dans les annales. Il en ressort meurtri quand même. « Jamais je ne pardonnerai », confie-t-il en pleine heure de gloire. Notre homme aura néanmoins eu le dernier mot.

Miguel Bujold

PHOTO J. PAT CARTER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Bill Torrey a été le premier directeur général de l’histoire des Islanders de New York, en 1972-1973. On le voit ici en mai 2010.

Né à Montréal, Bill Torrey a été le premier directeur général de l’histoire des Islanders de New York, qui ont disputé leur première saison dans la LNH en 1972-1973. Avec le tout premier choix du repêchage de 1973, Torrey a choisi celui qui allait devenir le capitaine du club, le défenseur Denis Potvin. Le DG au nœud papillon a également eu la main heureuse avec les sélections de Mike Bossy, Bryan Trottier et Clark Gillies, notamment. Le gardien Billy Smith a quant à lui été obtenu des Kings de Los Angeles lors du repêchage d’expansion. Lorsqu’il est question des meilleures transactions à l’aube des séries éliminatoires dans la LNH, celle de Butch Goring est presque toujours mentionnée. L’acquisition de Goring est survenue quelques mois avant le premier championnat des Islanders et sa présence a semblé servir de catalyseur. Les Isles ont remporté la Coupe Stanley quatre années de suite à partir de ce point. Torrey est essentiellement parti de rien et a construit l’une des grandes dynasties de l’histoire du hockey en approximativement sept ans. Faut le faire. Il est mort en 2018 à l’âge de 83 ans.

Simon Drouin

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Michael Downey, président et chef de la direction de Tennis Canada de 2004 à 2013 et de 2017 à aujourd’hui

Tennis Canada n’est pas une équipe sportive à proprement parler, mais comment ignorer le travail de Michael Downey à la relance de ce sport au pays ? Président et chef de la direction de 2004 à 2013 et de 2017 à aujourd’hui, ce Torontois a osé bousculer l’ordre établi pour faire de la fédération un modèle envié partout dans le monde. Au risque de s’attirer les critiques à l’interne, il n’a pas eu peur de se tourner vers l’étranger pour embaucher deux pièces maîtresses dans la reconstruction, le Français Louis Borfiga et l’entraîneur australien Bob Brett, mort d’un cancer en début d’année. Lui-même grand architecte de la haute performance, M. Borfiga, vice-président de l’élite jusqu’à tout récemment, a été un véritable catalyseur dans la conviction des meilleurs joueurs canadiens de pouvoir atteindre les plus hauts sommets. M. Downey a également présidé à la mise sur pied d’un centre national à Montréal, avec l’idée d’exposer les joueurs de tennis de l’extérieur de la province à une autre culture. Dans ce contexte, il a su reconnaître le dynamisme du gouvernement du Québec dans le financement du sport et s’appuyer sur des leaders comme Eugène Lapierre. En une décennie, Tennis Canada est passé d’organisateur de deux tournois hors pair à producteur de talents internationaux en Milos Raonic, Eugenie Bouchard, Félix Auger-Aliassime, Denis Shapovalov, Leyla Fernandez et plusieurs autres. S’il parlait le français, on aurait pu lui confier les rênes du Canadien...

Richard Labbé

PHOTO RON HEFLIN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jimmy Johnson (à droite) félicite son joueur Emmitt Smith le 30 janvier 1994.

En 1989, les Cowboys de Dallas avaient le pire club de la NFL, et je m’en souviens très bien : ils avaient gagné un seul match en 16 parties, un dimanche soir contre les Redskins de Washington. Le reste de la saison avait été passé à se faire planter sans amour par le reste de la ligue, et sur les lignes de touche, il y avait un coach, Jimmy Johnson, issu du football universitaire, qui avait l’air complètement dépassé. Mais il préparait quelque chose. Selon la légende, le Jimster aurait demandé au receveur Michael Irvin de lui dresser la liste des joueurs qui se foutaient de la cause du club. Ensuite, sa deuxième grande décision fut d’échanger le seul joueur vedette du club, le demi Herschel Walker, aux Vikings du Minnesota, en retour d’une pléiade de choix au repêchage (huit en tout, dont trois choix de premier tour !) et de quatre joueurs. Trois ans plus tard, les Cowboys gagnaient un premier Super Bowl avec Johnson, et ils allaient en gagner trois en quatre saisons, un record que les Patriots égaleront plus tard. Passer d’une saison de 1-15 à trois bagues, c’est de l’inédit, et c’est la preuve du génie de Jimmy Johnson. Dommage que son patron n’ait pas été en mesure de s’en rendre compte...

Alexandre Pratt

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Branch Rickey, président des Dodgers de Brooklyn

Branch Rickey. Il a inventé les clubs-écoles. Cette initiative a permis aux Cardinals de St. Louis de dominer la Ligue nationale pendant près de 20 ans. Entre 1926 et 1946, les Cards ont participé neuf fois à la Série mondiale, et l’ont remporté six fois. Rickey a aussi construit les bases de la grande équipe des Dodgers de Brooklyn des années 1940 et 1950, en brisant la barrière de la ségrégation et en embauchant des joueurs noirs, notamment Jackie Robinson, Roy Campanella et Don Newcombe. J’oubliais : il fut le premier directeur général à embaucher un statisticien à temps plein, le Montréalais Allan Roth, et à employer couramment des statistiques avancées.

Jean-François Tremblay

PHOTO ANTOINE DÉSILETS, ARCHIVES LA PRESSE

Sam Pollock, stratège du Canadien de Montréal

Pour choisir le meilleur architecte, j’ai décidé d’utiliser un seul critère : qui a réussi le coup le plus fumant de l’histoire montréalaise du sport ? La réponse : Sam Pollock, lorsqu’il a repêché Guy Lafleur en 1971. Guy Lafleur devait sortir en premier, et Sam Pollock voulait absolument repêcher celui qui allait devenir une légende du Canadien. Mais il fut une époque où le Canadien était beaucoup trop puissant pour espérer repêcher en premier. Il a donc échangé son 10choix de 1970 et un espoir prometteur, Ernie Hicke, aux Golden Seals de la Californie, en retour de leur 1er choix de 1971. Premier domino. Sauf que les Seals étaient moins mauvais que Pollock l’espérait, et les Kings de Los Angeles menaçaient de terminer derniers au classement, et d’ainsi ruiner son plan d’obtenir le premier choix au total. Donc... l’autre domino. Dans un acte d’une apparente magnanimité, Pollock a cédé le 26 janvier 1971 le très décent Ralph Backstrom aux Kings, en retour de bien peu. La transaction, bizarre sur papier, a révélé sa vraie nature lorsque les Kings, revigorés par Backstrom, ont dépassé les Seals au classement. Ce qui donnait, du coup, au Canadien le premier choix au total appartenant aux Seals. Sam Pollock a ainsi pu mettre la main sur le Démon blond, dont le nom est accroché à jamais dans les hauteurs du Centre Bell. Quand le génie côtoie le machiavélisme, il y a Pollock à l’intersection.