Le maire Régis Labeaume rêve d’« encore une fois mettre Québec sur la carte » en faisant de la capitale le point de départ d’une ambitieuse et risquée nouvelle course de voile jusqu’à Vancouver en passant par l’Arctique.

(Québec) L’idée n’est pas nouvelle. Un promoteur de la Colombie-Britannique s’est cassé les dents en 2015 sur une pareille entreprise. Les marins parlent d’un « projet assez risqué » et d’un « défi très éprouvant ».

Mais voilà que Québec se joint à un groupe français réputé dans l’organisation de régates pour relancer le projet fou d’une course à la voile par le légendaire passage du Nord-Ouest, baptisée la North Pole Race.

« Il s’agit d’une très grande course de voile internationale », s’est réjoui M. Labeaume cette semaine en plein conseil municipal. « Ça vise notamment à sensibiliser la population mondiale, et je dis bien mondiale, aux effets du réchauffement de la planète. »

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Régis Labeaume, maire de Québec

« Il s’agit de faire la preuve par l’absurde qu’il est possible maintenant de faire de la voile dans l’Arctique parce que les glaces ont fondu et que le passage du Nord-Ouest est libéré », a continué le maire, qui termine son quatrième et dernier mandat.

L’organisateur de cette course de 70 jours, qui doit avoir lieu tous les deux ans dès 2023, est le groupe français OC Sport, responsable de la célèbre Route du Rhum.

Hervé Favre, président d’OC Sport, explique que l’idée mijote depuis 2013. Lui-même a navigué une partie du passage en guise de repérage.

« C’est assez naturellement qu’on s’est rapprochés de la Ville de Québec. Il y a bien sûr l’histoire maritime de Québec. Puis on a discuté avec M. Labeaume et il s’est montré très, très enthousiaste », explique M. Favre.

Le premier ministre Justin Trudeau s’est même engagé, lors d’une rencontre récente en tête-à-tête avec M. Labeaume, à financer en partie le projet, selon ce dernier. Ottawa donnera 10 millions de dollars sur cinq ans, soit 35 % du financement total.

OC Sport doit fournir 17 millions. La Ville devrait avancer les 2,2 millions manquants, mais dit avoir bon espoir que Destination Québec et le gouvernement de François Legault puisent dans leurs poches.

Moins dangereux, mais…

Traverser le passage du Nord-Ouest est moins dangereux aujourd’hui qu’en 1845, quand l’explorateur John Franklin et ses 128 équipiers ont trouvé la mort, prisonniers des glaces, vaincus par la famine et le scorbut, empoisonnés par leurs conserves souillées de plomb.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR AGOSTINI PICTURE LIBRARY

Cette peinture représente le navire britannique HMS Terror, pris dans les glaces de l’Arctique canadien lors d’une expédition en 1836. Le Terror sera l’un des deux navires de la funeste expédition de 1845 pour traverser le passage du Nord-Ouest.

Les changements climatiques ont réduit au fil des ans la quantité de glace de mer qui encombre le passage.

Mais il reste qu’il s’agit d’un « défi assez risqué », relève Guy Lavoie. Le navigateur québécois a franchi le passage en 2012, avec Claire Roberge et deux équipiers, à bord du voilier de 35 pi Balthazar.

On a beau dire, dans le passage du Nord-Ouest, il y a encore de la glace. Même si la calotte glaciaire fond plus qu’avant en été, s’il vente du nord, les glaçons se déplacent vers le sud.

Guy Lavoie, navigateur

« Les sauvetages sont compliqués et très risqués. Il y a quelques années, un hélicoptère de la garde côtière s’est écrasé », rappelle l’aventurier.

La traversée n’est bien sûr plus aussi périlleuse qu’à l’époque de Franklin. Mais elle reste relativement rare : une recension faite par des experts de l’Université Cambridge en avril dernier a conclu que seuls 319 navires avaient réussi la traversée complète du passage depuis 1853, date à laquelle l’exploit a été réussi pour la première fois.

Les organisateurs se disent conscients de ces défis. OC Sport développe un bateau de course spécialement conçu pour le pôle Nord. Il s’agirait d’un navire d’environ 50 pi, en aluminium. « Mais tout ça est encore préliminaire », note Hervé Favre.

PHOTO FOURNIE PAR GUY LAVOIE

Le voilier Balthazar de Guy Lavoie et Claire Roberge, lors de la traversée du passage du Nord-Ouest, en 2012

Le voilier retenu devra être « assez rapide pour faire la traversée en deux mois, car la fenêtre n’est pas grande », mais pas trop long pour être hors de prix.

La question de la motorisation n’est pas encore arrêtée non plus. Les vents sont très imprévisibles là-haut, rappelle Guy Lavoie. Lui-même a dû recourir à son moteur pour le quart de la traversée.

OC Sport n’a pas encore décidé si les moteurs seront permis et sous quelle forme. Hervé Favre parle de la possibilité de moteurs électriques. Brûler du diesel afin de sensibiliser la population aux changements climatiques serait à tout le moins paradoxal, il est vrai.

Le retour des aventuriers

L’idée d’une telle course n’est pas nouvelle. Un entrepreneur de la Colombie-Britannique, Robert Molnar, a lancé une idée similaire en 2015. La course dénommée Sailing The Arctic Race devait avoir lieu en 2017, de New York à Victoria, pour le 150anniversaire du Canada.

L’annonce du projet a à l’époque capté l’intérêt des médias du monde entier. Puis la course a été abandonnée et personne n’en a plus entendu parler.

« C’était une super idée sur papier. Quelques t-shirts et quelques casquettes ont été produits, mais c’est tout », rigole Rick Worral, qui était conseiller technique de l’épreuve.

Des divergences entre les directeurs ont plombé le projet. Les commanditaires n’étaient pas au rendez-vous. La course a vite été abandonnée.

Rick Worral se réjouit de voir OC Sport relancer l’idée d’une course par le passage du Nord-Ouest. « J’espère qu’ils réussiront. Je serai probablement à la ligne d’arrivée pour les accueillir si ça fonctionne. »

Mais il ajoute que le trajet est « très éprouvant ».

La glace est imprévisible. Il y a des années difficiles. Il y a toujours des voiliers qui demandent l’aide des brise-glaces. Tu peux avoir des morceaux de glace qui détruisent un voilier.

Rick Worral, conseiller technique, à propos du passage du Nord-Ouest

Hervé Favre se dit conscient de ces aléas. Si le passage est impossible une année, suggère-t-il, alors il faudra ajuster l’itinéraire en conséquence.

Quel type de marin sera intéressé par un tel défi ? Le président d’OC Sport pense que des navigateurs de type aventurier vont répondre à l’appel.

« Les courses qu’on organise habituellement sont des courses très professionnelles, avec des sponsors. Je ne pense pas qu’on va attirer des régatiers pour cet évènement, plus des aventuriers, plus comme le Vendée Globe des premières années », dit-il.

De toute façon, le public de la régate pure rassemble « peut-être 50 000 personnes dans le monde », note M. Favre. « Ce qui passionne le grand public, c’est le côté aventure de la voile. »

Régis Labeaume, lui, est certainement déjà fan de cette course en devenir. L’homme apprécie l’idée de cet évènement au confluent du sport, de l’aventure et de l’environnement. Et il est persuadé qu’il ne sera pas le seul.

« À partir de cette course-là, il y aura des documentaires, de la télé, de la revue, tout ce que vous voulez... Il y aura un suivi extraordinaire, assure le maire. Ça va encore une fois mettre Québec sur la carte, pour une cause extrêmement importante. »