(Sapporo) Premier soir à Sapporo : il est 20 h, pas de chance, tous les restos sont fermés sur ordre de la préfecture. Ce sera onigiri de dépanneur au menu.

Je me pointe d’avance au restaurant de l’hôtel le lendemain. Du moins, je pensais que 19 h 15, c’était d’avance.

« Désolé, on ne prend plus les commandes après 19 h. »

J’errais donc dans la ville à la recherche d’une ultime option avant de me rabattre sur un autre onigiri du dépanneur.

Dans un sous-sol de centre commercial, au fond d’un couloir, l’enseigne au néon d’un restaurant indien disait « ouvert ». Joie !

Je me suis mis à jaser avec cinq étudiants à la table d’à côté. Ils m’ont invité à me joindre à eux.

Quatre étaient des étudiants indiens à l’Université de Hokkaidō, l’une des plus réputées du Japon, qui accueille de nombreux étudiants étrangers. L’une venait de terminer son doctorat en sciences de l’environnement avec une thèse sur l’étude de la dégradation des sols au moyen de photos satellites. Une autre étudiait la coopération internationale. Les deux gars étudiaient en génie.

« Est-ce qu’il y a des étudiants indiens qui n’étudient pas en génie ? », ai-je demandé.

Ils ont ri.

Le cinquième était un Japonais seul en vacances, lui aussi invité à se joindre au groupe.

Le lassi à la mangue coulait à flots (pas d’alcool dans les restaurants). Ils parlaient de leurs rêves, de leurs voyages autour d’un monde qu’ils veulent refaire.

Une belle jeunesse, en vérité.

Je suis allé voir le chef-proprio discrètement pour lui dire : « Donnez-moi la facture du groupe, s’il vous plaît. » Il a demandé aux jeunes Indiens s’ils étaient d’accord. Ils ont protesté. Le Japonais a dit qu’au Japon, c’est des factures séparées, je me suis obstiné, j’ai insisté, et finalement, le chef a fait ses calculs pour me tendre l’addition.

J’étais plein d’une généreuse opinion de moi-même, inspiré par cette discussion optimiste, je donnais au suivant, vous voyez le genre…

Je sors ma carte de crédit.

« On n’accepte que l’argent comptant, ici…

— … »

Je retourne à la table, piteux. Mes billets sont restés à l’hôtel.

Ils sont partis à rire.

« Pas grave, vous êtes notre invité ! »

Je les ai profusément remerciés, me suis excusé plus que le plus obséquieux des Japonais, et suis rentré, vaguement honteux.

Peut-être que, dans bien des années, ils se demanderont encore si ce gars de Montréal qui prétendait payer leur souper n’avait pas trouvé un fameux truc pour se faire payer le sien.