TVA Sports a publié cette semaine une entrevue avec un jeune hockeyeur d’ici, Xavier Parent. Extrait : « En 2014, on le comparait à Mario Lemieux, Sidney Crosby et Guy Lafleur. Six ans plus tard, Xavier Parent, 19 ans, évolue pour le Phœnix de Sherbrooke… et n’a finalement pas été repêché dans la LNH. »

Revenons sur le pronom « on ».

Comme dans la phrase : on le comparait.

C’est qui, ça, on ?

Le Journal de Québec.

C’était en février 2014. Xavier Parent avait 12 ans. Il participait au tournoi pee-wee de Québec avec les Conquérants des Basses-Laurentides. Sa photo s’est retrouvée à la une d’un cahier spécial, collée à celle de l’ex-capitaine des Penguins de Pittsburgh. Le titre : « Xavier Parent sur les traces de Mario Lemieux ».

« Encore une fois, le Journal se lance à la recherche du prochain Guy Lafleur ou du prochain Mario Lemieux », expliquait le directeur des sports du quotidien. L’article sur Xavier Parent rapportait les propos d’« un dépisteur qui l’épie depuis trois ans ». Faites le calcul : le recruteur le suivait dans l’atome…

Je cite ce recruteur : « Honnêtement, aussi loin que je me rappelle, je ne me souviens pas d’avoir vu un jeune joueur pee-wee avec autant de talent offensif. » L’article se concluait sur le témoignage du père de Xavier Parent, plus terre-à-terre. « Je ne sais pas si c’est une bonne chose [toute cette attention]. C’est clair que c’est beaucoup de pression pour un jeune de 12 ans. Par contre, il le prend bien et semble s’amuser avec ça. J’ai l’impression que c’est presque pire pour les adultes. »

En effet.

Comparer un enfant de 12 ans au meilleur hockeyeur québécois de l’histoire, c’est beaucoup de pression. C’est non seulement insensé. C’est insensible.

Le Journal de Québec et le Journal de Montréal continuent néanmoins de publier chaque année un palmarès des meilleurs hockeyeurs pee-wee de la province. Une pratique qui irrite profondément les entraîneurs auxquels je parle.

« C’est dangereux », déplore l’ancien entraîneur-chef du Drakkar de Baie-Comeau, Jon Goyens. Il parle en connaissance de cause. Pendant 10 ans, il a été à la tête des Lions du Lac St-Louis*. Il a côtoyé plus d’une vingtaine de joueurs sélectionnés par le Journal. En 2017, plus de la moitié des 20 enfants choisis provenaient de son organisation.

Comment ça s’est passé ?

« Pas très bien. Le 12e meilleur de la région était triste. Le 13e aussi. Alors que les parents des joueurs choisis publiaient l’article sur Facebook. Ces palmarès créent de la jalousie. Ensuite, des parents vont dire devant leurs enfants des choses terribles à propos d’un autre garçon. Et la jalousie entre dans le vestiaire. »

Ce que raconte Jon Goyens, je l’ai vécu.

Pas comme parent.

Comme joueur.

Lorsque j’étais enfant, La Presse publiait ses équipes d’étoiles des meilleurs hockeyeurs et baseballeurs de 11 à 15 ans. Dans mon club de baseball, c’était la pire semaine de la saison. Une source de chicanes, de rivalités et d’attentes démesurées. Ce fut mon initiation à la face cachée du sport mineur. Heureusement, cette pratique a disparu dans les années 1990. (Aujourd’hui, La Presse évalue les joueurs seulement lors de leur année d’admissibilité au repêchage de la LNH.)

« Imagine si on publiait un palmarès pour les élèves de 12 ans, poursuit Jon Goyens. Si on écrivait dans le journal les noms de tous ceux qui ont 95 % et plus de moyenne générale, en affirmant : lui, c’est un futur ingénieur, elle, une future médecin. Ça créerait une pression incroyable sur les enfants. Et des attentes incontrôlables. Notamment des parents. Pourquoi tolère-t-on cela au hockey ? »

Excellente question.

Son discours me rappelle celui tenu par Guillaume Latendresse dans cette chronique, l’année dernière. J’avais demandé à l’ancien joueur du Canadien ce qu’il pensait des rapports de dépistage sur des jeunes de 12 à 14 ans.

« C’est ridicule, s’était-il insurgé. Ça n’a aucun sens d’évaluer publiquement des jeunes de 14 ans. Ils sont en pleine croissance ! Tout ce que ça fait, c’est de mettre sur un piédestal de jeunes vedettes régionales qui croient, à 16 ans, que tout leur est dû. »

Jon Goyens renchérit sur les propos de Guillaume Latendresse.

« Plein de gens s’improvisent experts pour évaluer [le potentiel] des joueurs pee-wee, ou bantam. Écris-le : c’est de la fraude. Ces personnes accentuent la pression sur l’enfant, sur sa famille, pour accélérer son développement. Après ça, les jeunes et leur entourage accordent trop d’attention aux buts et aux points. C’est tellement dangereux. À cet âge-là, il ne faut pas insister sur les statistiques. »

C’est comme si chaque matin, tu envoyais ton enfant à l’école et tu lui disais : il faut que tu aies 95 % en maths, sinon Harvard ou les HEC ne t’appelleront pas. Voyons donc. À 12 ans, tu es plus proche de croire au père Noël que d’être repêché dans le junior majeur !

Jon Goyens, ancien entraîneur-chef du Drakkar de Baie-Comeau

* * *

Dans son entrevue avec TVA Sports – très bonne, d’ailleurs –, Xavier Parent raconte les jours qui ont suivi la publication du palmarès, au tournoi international pee-wee de Québec.

« À cette époque, confie-t-il, je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait. Je sais qu’on me comparait à de grands joueurs, mais j’étais encore un enfant. […] Les gens venaient me voir par dizaines pour me demander des autographes. Je ne crois pas que plusieurs enfants de cet âge-là signent des autographes aujourd’hui. C’est particulier, quand j’y repense. »

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DU PHŒNIX DE SHERBROOKE

Xavier Parent

Cette étiquette de future vedette l’a suivi dans tout son parcours. « Beaucoup de gens me traitent de flop, dit-il. J’entends cette insulte chaque soir sur la glace. Depuis mes premières années au hockey, je me fais insulter. Au départ, je m’étais fait une carapace. Mais avec le temps, j’ai commencé à me défendre sur la patinoire. »

C’est triste.

Déplorable.

Dégueulasse.

Aucun athlète amateur de 19 ans ne devrait être insulté ainsi pour ne pas être devenu le prochain Mario Lemieux. Ou le prochain Sidney Crosby. Ou le prochain Guy Lafleur. Des comparaisons injustes, qu’il n’a d’ailleurs jamais sollicitées.

Ce n’est pas un phénomène unique au Québec.

Ni même au hockey.

Au soccer, tous les recruteurs cherchent le prochain Ronaldo. Le prochain Messi. Dans les années 1990, Sonny Pike était le successeur désigné de Diego Maradona. Rien de moins. À 14 ans, il était commandité par Mizuno, Coca-Cola, McDonald’s. Ses jambes étaient assurées pour un million de livres sterling. Bonjour la pression. Son père n’a pas aidé sa cause, en montant une combine qui a valu à Pike d’être suspendu un an.

« J’ai subi des abus de la part de gens sur les lignes de côté qui connaissaient mon histoire. Ils disaient : casse-lui les jambes, et encore pire. J’ai vécu beaucoup de mauvaises choses. Pour un garçon de mon âge, c’était tout simplement trop », a-t-il confié au Guardian, 20 ans après les faits.

À 17 ans, Sonny Pike était écœuré du soccer. Il a pensé mettre fin à ses jours. « Dans ma tête, c’était fini. Je n’étais plus là. » Un an plus tard, le futur Maradona a tout abandonné. Il n’a jamais disputé un seul match chez les professionnels.

Heureusement, les dénigreurs de Xavier Parent ne l’ont pas découragé du hockey. Depuis que Parent s’est joint au Phœnix de Sherbrooke, dans la LHJMQ, il a retrouvé son ami d’enfance, Samuel Poulin, choix de premier tour des Penguins. Il a inscrit 26 points en 30 matchs. Le rêve d’une carrière professionnelle reste accessible.

« À la fin de la journée, indique Jon Goyens, on développe des personnes. Peu importe le sexe, le niveau, ou si le joueur ou la joueuse atteint les niveaux profesionnels ou non. »

Maintenant, souhaitons que les recruteurs du dimanche puissent tirer une leçon de son histoire. Qu’ils comprennent que la quête du prochain Mario Lemieux dans un tournoi pour des enfants de 12 ans, c’est néfaste.

Et dangereux.

* Transparence totale : un de mes enfants joue au sein de cette organisation. Il n’a jamais eu Jon Goyens comme entraîneur.

En complément : écoutez (en anglais) la balado de Jon Goyens avec Patrick O’Sullivan, qui aborde la pression exercée sur les enfants.