« Je suis un vieux modèle Chevrolet Sportsmaster 1949. C’est un véhicule qui devrait être dans le showroom. Je suis encore sur la route parce qu’on a changé le différentiel, on a amélioré le moteur, on a changé le muffler et on a fait attention à la suspension. Mais ça passe ben, ben vite… »

Ron Fournier a toujours été un maître de l’allégorie en ondes. L’ancien arbitre de la Ligue nationale de hockey n’allait pas manquer l’occasion d’imager sa retraite du milieu médiatique québécois.

Notre homme a annoncé son départ mardi matin sur les ondes de sa propre station, le 98,5 FM, au micro de Paul Arcand. Il allait être en ondes une dernière fois mardi à 18 h 30 avec Mario Langlois. « Après, on tire la plogue, a-t-il confié à La Presse au bout du fil. On verra pour la suite. »

Ron Fournier, 71 ans, répète ne pas avoir passé une journée triste mardi.

« C’est une décision mûrie. J’en ai parlé énormément avec Chantal [sa conjointe]. Il me restait encore une année de contrat, mais ça n’a pas joué dans la balance, il ne fallait pas que ça joue. L’essentiel, c’était de prendre la bonne décision, et la bonne décision est toujours plus difficile quand tu as la passion. Mais est-ce que tu as encore l’énergie ? »

Le célèbre animateur radiophonique a eu des pépins de santé ces dernières années. Un cancer de la prostate, des artères bloquées, un cancer des ganglions.

« Il y a deux ou trois mois, j’avais 3,8 d’énergie sur 10. J’avais de la misère à me rendre à mon autre maison sur le domaine, et c’est une distance d’environ 1000 pieds. Aujourd’hui, je suis à 9,1, je frappe la balle de golf, je fais de la course. Mais j’aimerais ça voir ce que c’est après le travail. Te lever et ne pas avoir de responsabilités. On fait quoi aujourd’hui ? On lunche où aujourd’hui ? On s’entraîne où aujourd’hui ? On fait quel sentier aujourd’hui ? Un paquet de choses comme ça. »

« La situation de la COVID a peut-être facilité la décision, ajoute-t-il. L’incertitude de revivre ce que j’ai connu, la salle Jacques-Beauchamp, voir les joueurs, luncher avec les boys, prendre un café avec les joueurs et les journalistes, travailler avec mon équipe. Ça n’était pas ce que je prévoyais. Plus l’énergie, l’âge, à un moment donné, tu dois tirer ta révérence. »

Le stress en moins

Ron Fournier va s’ennuyer de son monde au Centre Bell, de ses auditeurs au téléphone, des nombreux appels quotidiens à ses contacts du milieu sportif et artistique, mais pas du stress de préparer ses émissions.

« Je ne m’ennuierai pas de me coucher à 2 h du matin et de me lever à 7, 8 h du matin parce que j’ai les yeux grands ouverts avec en tête qui je dois appeler pour mon émission en soirée. Le show qui s’en venait, je l’avais en tête depuis 24 heures.

« Je n’ai jamais joué une ronde de golf le jour d’un show à 20 h 30. Jamais de ma vie, sauf le tournoi de golf du Canadien. Je ne pouvais pas faire les deux, apprécier 18 trous avec mes chums, prendre une douche, mettre mes jeans et aller travailler. »

Je me rendais au bureau à 13 h pour un show à 20 h 30. Ça n’est pas normal.

Ron Fournier

Des entrevues, des moments mémorables. Ron Fournier se lance dans une de ses tirades caractéristiques.

« J’ai fait tellement d’entrevues cocasses et spéciales. Je me rappelle cet entretien avec Sam Pollock, l’ancien directeur général du Canadien. Je fais une bonne entrevue avec lui. Ça dure 18 minutes. J’ai hâte de l’envoyer à Jean Gagnon. Je remercie Sam… puis j’éclate de rire.

« Sam me demande ce qui se passe. Je venais de réaliser que le fil de mon micro n’était pas branché dans le magnétophone ! Ça a été un moment spécial dans ma vie. Il a été assez gentil pour reprendre l’entrevue. On a fait un bon 12 minutes ensemble. »

Les souvenirs fusent au fil de ses réponses.

« J’ai fait une des premières entrevues, sinon la première, avec [Gary] Bettman l’année où il est entré en poste. Il s’est assis avec moi dès qu’il est entré au Forum. Mais ça n’est pas plus mémorable que de parler à Sidney Crosby la première fois à Montréal. Ce sont des moments spéciaux.

« J’ai fait une entrevue avec [Viktor] Tikhonov à ma première année, en 1987, à la Coupe Canada à Hamilton. Je suis rentré dans le vestiaire alors que je n’avais pas d’affaire là. C’était avant le match. Je n’avais pas d’expérience, j’étais vert. Avant qu’ils découvrent que j’étais là, la sécurité m’agrippe, le relationniste, il commence à sacrer après moi. Je l’envoie promener. J’étais encore arbitre dans ma tête. »

Rien sans doute ne bat celle réalisée le soir de la fermeture du Forum en 1996.

« Ces entrevues sont-elles plus mémorables que d’avoir interviewé Maurice Richard juste avant qu’il s’en aille sur la glace et qu’on lui donne la plus longue ovation à un joueur du Canadien ? Personne ne pouvait parler à Maurice avant la cérémonie. Mais je le connaissais depuis longtemps.

« J’ai ouvert mon magnétophone et je lui ai dit : ‟Dans quelques minutes, vous allez être au centre de la glace et les gens vont vous acclamer. Ça pourrait durer deux minutes, cinq minutes ou plus long. Vous allez penser à quoi ?” Il m’a répondu. Et quand on a fait la retransmission du match, j’avais Maurice Richard au centre de la glace et à la radio de notre station, tu entendais Maurice qui disait comment il se sentait au centre de la glace. Il y a des entrevues dont tu n’oublieras jamais l’essence. »

Il n’y aura rien de banal dans sa retraite, jure Ron Fournier.

« La première chose qu’on a en tête, ce sont les voyages. S’il n’y avait pas la COVID, je serais allé à Riviera Maya deux ou trois fois. J’aurais passé quelques mois en Arizona, j’irais à la pêche, jusqu’à ce que la pêche au doré se termine, mais là, je suis limité à faire des choses ici. Je joue au golf. Puis après ?

« Je ne suis jamais allé à Copenhague. C’est Chantal qui veut aller là. On a fait le tour du monde deux fois. Une fois par le Pacifique, et une fois par l’Atlantique. On est allés à Bali, le plus loin d’ici, la Chine, le Japon, l’Australie. Pas Copenhague. »

On va s’ennuyer, Ron.