Je reviens tout juste de New York. C’est le principal foyer d’éclosion du COVID-19 dans l’est du continent, avec une centaine de cas. Malgré la menace, j’ai assisté à une partie de la NBA, cordé serré parmi 15 000 spectateurs.

C’était comment ?

Comme d’habitude. Enfin, presque. Quelques partisans portaient un masque. Mes voisins ont poliment décliné mon high five après un alley oop. Mais pour le reste, vraiment, rien à signaler.

PHOTO MASSIMO PAOLONE, ASSOCIATED PRESS

Un match de la Serie A italienne de soccer entre Sassuolo et Brescia a été disputé à huis clos, lundi, à Reggio d’Émilie.

Étonnant ?

Pas du tout. La plupart des gens font confiance aux scientifiques chargés d’étudier la propagation du virus. Si le risque de contagion vendredi soir avait été trop élevé, les experts en santé publique auraient exigé l’annulation de la partie. Ce qu’ils n’ont pas fait. Ni à New York. Ni à Seattle. Ni à Toronto. Ni à Vancouver. Pourtant toutes des villes où on retrouve des personnes atteintes du virus.

La même logique prévaut ici.

Les experts québécois se montrent conciliants avec les organisations sportives. Le Canadien joue toujours. L’Impact aussi. Les championnats du monde de patinage artistique — prévus la semaine prochaine au Centre Bell — ne sont toujours pas annulés. Une exception sur la planète sportive.

Maintenant, nos équipes sont-elles préoccupées ? Évidemment. La direction du Canadien a tenu trois rencontres à ce sujet lundi. Le Groupe CH est en contact « d’heure en heure » avec le gouvernement Legault. En cas d’épidémie, le club n’entend pas « se substituer au ministère de la Santé », m’a-t-on indiqué.

Tant mieux.

Car ailleurs, il y a de la résistance. Des équipes défient publiquement l’expertise des scientifiques. En Italie, le club de soccer de Parme — une ville en quarantaine — a ignoré l’avis du gouvernement et disputé un match à huis clos. En Californie, les Sharks de San Jose viennent de présenter deux parties malgré une recommandation contraire des autorités de la santé publique.

Des provocations égoïstes. Insolentes. Irresponsables.

Et dangereuses.

(Note : les autorités sanitaires de Santa Clara County ont d’ailleurs durci le ton lundi soir en proscrivant, à partir de mercredi et pour une durée de trois semaines, tout rassemblement de plus de 1000 personnes. Ce qui incluerait, en pratique, le match prévu le jeudi 19 mars entre les Sharks et le Canadien.)

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Les clubs rebelles ne sont pas les seuls contestataires. Nombreux sont les amateurs de sport qui dénoncent avec conviction « le climat de panique » qui force l’annulation des compétitions. Un argument souvent entendu : les athlètes sont en bonne santé et survivent aux virus.

C’est vrai.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, on peut compter sur nos doigts les athlètes d’élite morts d’un virus. Presque tous ont succombé à des complications du VIH. Ce fut entre autres le cas du pilote québécois Stéphane Proulx. Mais dans l’ensemble, oui, les athlètes sont résistants.

Alors, pourquoi annuler les compétitions ? Pour protéger les athlètes, bien sûr. Mais aussi leur entourage qui, lui, est plus à risque. Les parents. Les gérants. Les entraîneurs. Les thérapeutes. Les responsables de l’équipement. Les officiels. Les préposés au terrain. Les chasseurs de balle. Les bénévoles. Les journalistes. Les spectateurs.

Il faut savoir que les sportifs ont une vie sociale plus active que la moyenne des ours. Ils rencontrent beaucoup, beaucoup, beaucoup de monde. Ils serrent beaucoup, beaucoup, beaucoup de mains. Pensez aux partisans. Aux commanditaires. Aux médias. Aux coéquipiers. Aux adversaires.

Les athlètes sont aussi très mobiles. Les joueurs de tennis, les skieurs et les pilotes de F1 changent de pays toutes les semaines. Les hockeyeurs et les footballeurs ont assez de points Aéroplan pour voyager gratuitement vers Jupiter. Aller-retour. Tous d’excellents moyens de transport longue distance pour les virus.

Autre facteur aggravant : les lieux de travail.

Les terrains, les vestiaires et les gymnases sont des espaces clos dans lesquels règne une grande promiscuité. Ce sont des nids à virus. C’est pourquoi les équipes sont souvent frappées par des épidémies.

Des exemples ?

> Le mois dernier, un virus semblable à celui de la grippe a happé presque la moitié des joueurs du Canadien. Carey Price, Victor Mete, Jordan Weal, Tomas Tatar, Ryan Poehling, Phillip Danault, Max Domi et Artturi Lehkonen en ont tous été victimes, à différents degrés.

> La saison dernière, dans la NFL, plusieurs équipes ont dû gérer des épidémies de grippe, notamment les Patriots de la Nouvelle-Angleterre, les Seahawks de Seattle et les Cowboys de Dallas.

> En 2014, une épidémie d’oreillons a affecté une dizaine de joueurs de la LNH. Parmi eux, Sidney Crosby, ainsi que cinq joueurs du Wild du Minnesota.

C’est si fréquent, en fait, que plusieurs chercheurs ont étudié le rôle des athlètes dans la transmission des virus. Les résultats sont fascinants.

Une étude réalisée à Salt Lake City, pendant les Jeux olympiques de 2002, a démontré que les athlètes sont plus susceptibles d’être porteurs de l’influenza que les autres personnes. Pendant ces Jeux, les chercheurs ont identifié trois foyers d’épidémie.

> Le premier, parmi des membres du personnel de sécurité ;

> Le deuxième, au sein d’une équipe nationale de 12 membres qui s’entraînaient ensemble ;

> Le troisième, dans un groupe de huit athlètes d’un même sport, mais pas du même pays.

Car oui, les athlètes peuvent aussi contaminer leurs adversaires simplement en les fréquentant sur le terrain.

Un cas célèbre : en 1998, des footballeurs de l’Université de la Caroline du Nord ont été victimes du virus de Norwalk après avoir mangé de la dinde contaminée. Leur entraîneur les a quand même envoyés sur le terrain… où ils ont transmis leur maladie à tous les joueurs à l’attaque de l’Université de l’État de la Floride. Plusieurs jeunes ont même vomi sur le terrain. Au total, 64 joueurs ont été contaminés cette journée-là.

Autre révélation étonnante : le sport est vecteur de virus même à l’extérieur des stades.

Des chercheurs de l’Université Tulane ont constaté qu’il y avait une hausse de 18 % des morts attribuables à l’influenza chez les personnes âgées dans les villes dont le club participe au Super Bowl. Pourquoi ? Tout simplement parce que les gens socialisent davantage à une période où la grippe est virulente. « Atténuer la transmission de l’influenza lors de rassemblements liés à de grands événements pourrait avoir des retombées substantielles pour la santé publique », ont conclu les chercheurs.

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Les experts en santé publique ont ces études sous la main. Ils connaissent aussi mieux que nous tous les canaux de transmission du COVID-19. Un virus qui, je le rappelle, se propage très facilement, tue davantage que la grippe saisonnière et pour lequel il n’existe aucun vaccin ou remède.

PHOTO LINDSEY WASSON, REUTERS

Il n’existe aucun vaccin ou remède contre le COVID-19.

Faisons-leur confiance. Autant lorsqu’ils autorisent les compétitions que lorsqu’ils les annulent.

Par ailleurs, je comprends le désarroi des clubs lésés. Personne n’aime rembourser des clients. Les clubs de la LNH et de la NBA sont particulièrement à risque de perdre des revenus importants, a soulevé lundi une étude de la firme DBRS Morningstar.

Je comprends, mais il est bon de se souvenir que dans l’histoire récente du sport, des milliers d’autres parties ont été annulées. Pour des grèves. Des lock-out. Des conflits politiques. Des guerres. Des attentats. Des ouragans. Des inondations. Ou encore, plus rare, pour une poutre qui s’effondre…

La LNH, la NFL, la NBA, le baseball majeur, les Jeux olympiques, les championnats européens de soccer, tous ont survécu à des événements annulés. Et n’ayez crainte, ils résisteront au coronavirus.

Mais pour réduire les risques, il faudra écouter les scientifiques. Et accepter de travailler en équipe.

Après Indian Wells, Miami ?

Plusieurs événements internationaux ont été annulés dans les dernières heures. Notamment le prestigieux tournoi de tennis d’Indian Wells, en Californie. Attendez-vous à ce que le tournoi de Miami, prévu dans deux semaines, soit aussi remis ou supprimé du calendrier. En France, les regroupements de plus de 1000 personnes sont interdits pour le prochain mois. Les matchs de soccer et de rugby risquent d’être tous présentés à huis clos. En Italie, le gouvernement a suspendu tous les événements sportifs jusqu’au 3 avril.