Dix-sept ans après avoir vu son neveu de 5 ans se noyer sous ses yeux, Sylvie Bernier est prête à parler publiquement de ce drame qui a bouleversé sa vie et celle de toute sa famille. À la mémoire de Raphaël et pour que sa mort n'ait pas été vaine.

Sylvie Bernier ne fait pas que parler des saines habitudes de vie, elle prêche par l'exemple. Pour cette première entrevue sur la parution d'un livre et d'un documentaire racontant un drame qu'elle a vécu il y a 17 ans, elle part marcher autour de chez elle avec son téléphone et ses écouteurs. Elle a pris cette habitude depuis quelques années. Le journaliste fera de même, ce qui la fait rire et lui fait plaisir.

Le sujet est pourtant grave. Le 24 juillet 2002, Sylvie Bernier a assisté, impuissante, à la noyade de son neveu de 5 ans, Raphaël Bernier. Avec sa famille et celle de son frère, elle participait à une randonnée en canot sur la rivière Nouvelle, en Gaspésie.

L'activité n'annonçait pas de dangers particuliers, surtout en présence de trois prétendus guides. Elle a viré au cauchemar quand le canot de son frère Jean-François, dans lequel se trouvait Raphaël, a heurté un embâcle de bois et de branches. L'embarcation a chaviré avant d'être engloutie et entraînée au fond par le courant. Coincé, le petit n'a jamais pu remonter à la surface malgré son gilet de sauvetage.

Sylvie Bernier, qui était passée au même endroit quelques minutes plus tôt avec son mari, Gilles, et l'une de ses trois filles, a nagé jusqu'au lieu de l'accident. Sa belle-soeur France et son autre neveu, Antoine, âgé de 7 ans, étaient sains et saufs.

Mais les minutes s'écoulaient et Raphaël manquait désespérément à l'appel. Son père a repéré son bras sous le canot. Sylvie Bernier a voulu plonger pour le secourir, mais son frère l'en a empêchée, jugeant la manoeuvre trop périlleuse.

Colère, désespoir, anxiété

Pendant 16 ans, elle s'est sentie coupable. Elle, la championne olympique de plongeon, n'a pas pu plonger ce jour-là pour sauver son neveu. Et c'est elle, à la fin des vacances, qui a entraîné sa famille et celle de son frère en Gaspésie, à titre d'invitée d'honneur à l'occasion d'un souper-bénéfice au profit de cette rivière à saumon.

Sauf en de rares occasions, elle n'a jamais parlé publiquement de ce drame qui l'a grugée de l'intérieur, mise en colère, menée au désespoir et lui a fait vivre des crises d'anxiété. Même des proches qu'elle connaît depuis 15 ans n'étaient pas au courant.

Avec l'appui de la famille de Raphaël, elle a trouvé la force de briser le silence l'an dernier. D'abord en participant à un documentaire, qui sera diffusé samedi soir à Radio-Canada (à 22 h 30), ensuite en rédigeant un livre complémentaire, Le jour où je n'ai pas pu plonger, publié aux Éditions La Presse et lancé officiellement ce soir.

En 2004, un coroner avait fait 33 recommandations à la suite de cette tragédie. Dans une déclaration émotive lors de la publication du rapport, Sylvie Bernier avait exprimé la volonté de sa famille de sensibiliser la population aux dangers du canotage en eau vive sans encadrement adéquat.

« On aurait pu éviter l'accident. Mais j'ai refermé le rapport du coroner et je savais qu'humainement, j'étais incapable de prendre ça à bout de bras et de demander à ma famille qu'on en fasse le suivi. » - Sylvie Bernier

À la suite d'un long cheminement personnel, marqué par une marche éclairante sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle l'an dernier, elle s'est lancée dans le tournage du documentaire, auquel sa belle-soeur France et son frère Jean-François ont participé.

Son retour en canot sur la rivière, avec un guide expérimenté, est particulièrement émouvant. Son soulagement est manifeste lorsque l'actuel directeur de la ZEC de la rivière Nouvelle réitère qu'une tentative de sauvetage dans un courant d'une telle force était vouée à l'échec.

« Aujourd'hui, je ne me sens plus coupable, dit-elle. Je croyais la cicatrice refermée, mais le tournage du documentaire et l'écriture du livre m'ont montré que non. La cicatrice est toujours là, je vivrai avec toute ma vie. Mais maintenant, je suis capable de parler de Raphaël. Je suis capable d'affirmer avec confiance qu'on peut donner un sens à l'impensable, la mort d'un enfant devant ses yeux. »

« Missions »

L'une de ses « missions » est la mise en application des recommandations du coroner. L'industrie du tourisme d'aventure s'est prise en main depuis la mort de Raphaël, mais aucune réglementation n'oblige une entreprise à respecter des normes établies comme la certification des guides, la conformité de l'équipement, un contrôle externe, la mise en place d'un plan de sauvetage, etc.

« Il y a de la résistance au changement, relève Bernier. Certaines organisations ne veulent pas qu'on leur impose des règles du jeu qui ne font peut-être pas leur affaire. Mais moi, je ne lâcherai pas le morceau. »

À titre de présidente de la Table sur le mode de vie physiquement actif, elle ne veut cependant pas que son message concernant la sécurité soit mal interprété. « Le plus grand danger qui nous guette actuellement comme société, c'est d'être assis sur le divan », insiste-t-elle.

Son autre cheval de bataille est la prévention de la noyade. « Aujourd'hui, au Québec, un enfant sur deux se noie s'il tombe de façon inattendue dans l'eau profonde », s'indigne-t-elle.

Elle prête donc son concours au programme Nager pour survivre de la Société de sauvetage du Québec, qui vise à initier tous les enfants de troisième année à la natation. La totalité des redevances de son livre ira au nouveau Fonds Raphaël-Bernier, qui servira cette cause.

« J'ai 55 ans, je n'aurais pu dire ça il y a 17 ans, mais aujourd'hui, ce drame-là me donne des ailes par rapport à ce projet. C'est une mission. Ça ne se peut pas que moi, plongeuse, j'aie vécu ça et que je ne puisse pas y donner un sens. J'ai vécu le plus beau moment de ma vie dans l'eau, et le pire moment de ma vie dans l'eau. Pour le restant de mes jours, je veux penser à Raphaël en souriant à travers ces milliers d'enfants qui vont découvrir les plaisirs de l'eau. »

Un dernier plongeon

Le 21 octobre 2018, Sylvie Bernier a vécu sa réconciliation avec l'eau de façon bien concrète. Ce jour-là, elle est remontée sur le tremplin de trois mètres pour la première fois pratiquement depuis les Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984, alors qu'elle avait 20 ans. En guise d'épilogue au documentaire, elle a effectué le même plongeon arrière qui lui avait valu la médaille d'or. Pour y arriver, elle s'est astreinte à un entraînement rigoureux, supervisé par son non moins rigoureux coach Donald Dion, sorti de la retraite pour l'occasion. Même son maillot de bain était une copie conforme de celui de 1984, grâce au coup de ciseau de la médaillée olympique Émilie Heymans, qui possède sa propre entreprise de design. « Ç'a été très émouvant, je l'ai fait pour Raphaël, mais c'est probablement la dernière fois que je remonte sur un tremplin », a dit Bernier, heureuse d'avoir pu exercer son art de jeunesse pour la première fois devant ses filles et son mari.

Le documentaire Sylvie Bernier : Le jour où je n'ai pas pu plonger sera diffusé samedi à 22 h 30, à Radio-Canada.

Le jour où je n'ai pas pu plonger

Sylvie Bernier Les Éditions La Presse 192 pages

PHOTOS BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le 21 octobre dernier au Centre Claude-Robillard, Sylvie Bernier a effectué le même plongeon qui lui avait valu la médaille d'or olympiques en 1984.

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

Le jour où je n'ai pas pu plonger, Sylvie Bernier, Les Éditions La Presse, 192 pages