Il faut réfléchir à l’impact de tout ça, croit l’organisme ÉquiLibre, qui a décidé cette année de mettre l’accent sur ces nouvelles possibilités de l’ère numérique à l’occasion de la Journée sans maquillage, tenue ce mardi.
Il ne s’agit pas d’inciter les gens à ne plus les utiliser, encore moins de diaboliser celles et ceux qui les utilisent, mais plutôt de se questionner sur l’utilisation qu’on en fait et sur l’illusion de perfection que ces filtres génèrent, explique Andrée-Ann Dufour Bouchard, nutritionniste et cheffe de projets chez ÉquiLibre, dont la mission est de favoriser le développement d’une image corporelle positive.
« Ça crée une autre norme ou une autre pression, pas juste dans la vie quand on sort de chez soi, mais aussi sur les réseaux sociaux », résume-t-elle.
Les filtres sont très répandus et aussi très simples à utiliser. On les trouve dans les réseaux sociaux – Instagram et TikTok en tête – ou encore dans des applications mobiles comme Facetune ou FaceApp. Ces filtres « beauté » peuvent à peu près tout faire : masquer les rides, unifier le teint de la peau, empourprer les joues, noircir les cils. Certains modifient carrément les traits du visage : sourcils plus hauts, joues sculptées, nez affiné, lèvres pulpeuses… Le filtre « Jeune », sur FaceApp, donne l’agréable (et confrontante) illusion de rajeunir de 20 ans. Le « Bold Glamour », sur TikTok, transforme tout un chacun en top model en plus d’être extrêmement réaliste, même dans les séquences vidéo.
Même la plateforme Zoom propose un filtre qui permet discrètement de « retoucher l’apparence ». En un clic, exit les cernes et les ridules. Si vous trouvez vos collègues plus beaux que vous lors de vos réunions de travail, voilà peut-être l’explication.
« On dirait qu’on en vient à ne plus savoir que c’est modifié ; c’est l’image à laquelle on s’habitue », constate Andrée-Ann Dufour Bouchard, qui y voit quelque chose d’insidieux. Désormais, dit-elle, on constate non seulement un écart entre nous et les vedettes hollywoodiennes, mais également en ligne, entre nous et nos proches.
« Ça continue toujours de mettre l’accent, finalement, sur l’importance qui est accordée à l’apparence, ce qui peut avoir des conséquences importantes », poursuit Mme Dufour Bouchard. Des conséquences sur l’estime de soi d’abord, mais aussi sur le temps qu’on accorde à notre apparence au détriment d’autres éléments, comme les loisirs ou l’apprentissage de nouvelles choses.
Effets sur la santé mentale
Fin mai, le médecin général des États-Unis a produit un rapport sur les effets des réseaux sociaux sur la santé mentale des jeunes. La comparaison sociale y est justement abordée. Une synthèse de 20 études a démontré une « relation significative » entre l’utilisation des réseaux sociaux, les préoccupations au sujet de l’image corporelle et les troubles alimentaires, rappelle le Dr Vivek Murthy dans son rapport. « La comparaison sociale induite par les réseaux sociaux est associée à l’insatisfaction corporelle, aux troubles de l’alimentation et aux symptômes dépressifs », écrit-il.
Les études montrent essentiellement des corrélations, et non des relations de cause à effet, nuance Emmanuelle Parent, directrice générale et cofondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne. Les personnes qui sont déjà vulnérables à la comparaison sociale pourraient donc avoir tendance à utiliser davantage les réseaux sociaux, ce qui les rendrait encore plus vulnérables.
La solution, selon elle, est d’abord de s’assurer que les jeunes évoluent dans un environnement stimulant, pratiquent des activités stimulantes et ont accès, à l’école, aux services dont ils ont besoin s’ils ont des enjeux de santé mentale. « Tout ça aura une incidence probablement bien supérieure au fait de simplement interdire les filtres », estime Emmanuelle Parent.
N’empêche, convient-elle, la prolifération de ces filtres demeure « préoccupante ». « À l’échelle individuelle, ce sont des gestes qui ont l’air innocents, mais collectivement, quand tout le monde le fait, ça signifie qu’on ne se montre plus avec nos faces fatiguées, finalement », illustre Emmanuelle Parent.
Encore une fois, insiste-t-on chez ÉquiLibre, l’idée n’est pas d’inciter les gens qui utilisent ces filtres à se juger. Les gens peuvent toutefois réfléchir à comment ils se sentent lorsqu’ils voient défiler ces images léchées sur leurs réseaux sociaux et, au besoin, faire un petit ménage dans les comptes qu’ils suivent. « Et on peut publier des photos de nous un peu plus dans l’action pour valoriser l’être plutôt que toujours le paraître », conclut Andrée-Ann Dufour Bouchard.
Consultez le site de l’organisme ÉquiLibre Consultez le site du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne-
- 27 %
- Proportion des adolescents de 14 à 17 ans qui trouvent acceptable de modifier ses photos sur les réseaux sociaux pour améliorer son apparence.
Source : sondage Léger pour le compte d’Équilibre (2022)