(Paris) Des plumes du cabaret aux tailleurs épurés en passant par des peignoirs, Dior a célébré Joséphine Baker et la liberté des Années folles dans une collection présentée lundi à Paris, au premier jour de la semaine de la haute couture.

Chanteuse, danseuse, membre de la Résistance française et militante pour les droits de la personne, « Joséphine Baker est une grande artiste et l’unique femme de couleur à entrer au Panthéon qui, à travers ses vêtements, a déterminé sa position et elle-même », a déclaré la styliste des collections féminines de Dior Maria Grazia Chiuri.

Le défilé s’est déroulé dans une installation créée par l’artiste afro-américaine Mickalene Thomas, avec des portraits de Joséphine Baker, Nina Simone et onze autres femmes noires ou métisses, pionnières dans leurs domaines après avoir brisé les barrières raciales, devant un parterre de célébrités dont les actrices Catherine Deneuve, Isabelle Adjani, Rosamund Pike, Elisabeth Debicki, Bianca Jagger ou la star de la K-pop Jisoo.

Cliente de la maison Dior, Joséphine Baker incarne avec son corps musclé et ses cheveux courts une autre féminité que celle d’une femme « fleur » de l’iconique New look de Dior aux épaules douces et taille fine soulignées par la veste bar et la jupe-corolle.

Glamour sans contraintes

PHOTO ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des manteaux en velours évoquent des pièces qu’une artiste enfile dans sa loge après le spectacle.

En 1925, elle quitte les États-Unis pour Paris afin de se produire dans la Revue Nègre, au théâtre des Champs-Élysées, où elle a réincarné des stéréotypes raciaux.

Mais quelques mois après le succès de son premier spectacle à forte imagerie coloniale, elle change de vestiaire et de représentation : d’abord en icône d’Art déco, puis en tailleurs ou « uniformes » de résistante.

Fascinée par le rôle du vêtement dans cette métamorphose, Maria Grazia Chiuri rend hommage à chacune de ces étapes dans la collection : le music-hall avec des matières métallisées, des franges, des plumes, des ensembles avec des mini-shorts ou un body, puis des robes longues et fluides des années 1920-30, ensuite des tailleurs droits.

Des manteaux en velours évoquent des pièces qu’une artiste enfile dans sa loge après le spectacle, ce moment entre la scène et la vraie vie, métaphore des identités qui se construisent en coulisses.

« Immédiatement après son succès, elle a fait des choix très précis de haute couture : tailleurs pour le jour, mais aussi des jupes à plis… Les images d’elle en uniforme sont extraordinaires. Elle avait une conscience incroyable de ce qu’elle pouvait faire avec sa notoriété, comment la mettre au profit des autres femmes », souligne Maria Grazia Chiuri.  

Joséphine Baker ou Marlene Dietrich, amie de Christian Dior et autre muse de la maison et de cette collection, « représentent des jeunes femmes très en avance par rapport à leur époque. C’est une collection pour une femme qui veut choisir elle-même sa façon d’être », ajoute-t-elle.

La collection se réfère plus généralement aux Années folles, « un moment historique particulier, surtout à Paris où les femmes ont eu une très grande liberté. Les silhouettes se sont simplifiées, les corsets ont disparu. Leur façon de s’habiller était confortable tout en restant féminine et très glamour ».

Célébration « totale »

Les coiffures sont très élaborées, entre les tresses africaines style Art déco et les mèches accroche-cœur, l’œil est charbonneux et les chaussures en velours ornées de broderies sont compensées et à talon, chose rarissime chez Maria Grazia Chiuri.

Une « expérience totale » entre le décor et les looks, s’enthousiasme Mickalene Thomas.

« Je suis fière et reconnaissante envers Dior qui a voulu collaborer avec moi », a déclaré à l’AFP l’artiste qui travaille sur la visibilisation des femmes de couleur en revisitant les classiques de l’histoire de l’art occidental en y insérant des corps de femmes noires.

« Maria Grazia a toujours été féministe mais, pour moi, avec ce défilé, elle est passée au niveau supérieur », a-t-elle souligné, ajoutant que la contribution des femmes noires aux progrès sociétaux était toujours sous-estimée, tandis qu’elles « rencontrent des problèmes raciaux partout ».

Les portraits sur une base de textile imprimé ont été brodés par les ateliers de l’École Chanakya à Bombay, qui forme les brodeuses, alors qu’en Inde c’est un métier d’homme, illustrant une nouvelle collaboration entre Dior et ces ateliers qui contribuent à l’émancipation des femmes.