Dans l’atelier-laboratoire de la designer Ying Gao, les vêtements s’animent, mus par des lignes de code et des mécanismes filaires. Inspirée de la mode virtuelle, sur laquelle elle pose un regard critique, la professeure de l’UQAM présente une nouvelle collection de vêtements robotisés, bien réels ceux-là.

2 5 2 6 : c’est le nom de cette collection et aussi le nombre d’heures que Ying Gao, professeure à l’École supérieure de mode et à l’École de design de l’UQAM, et ses assistants ont passé à la création de ces deux vêtements robotisés. Ces jours-ci, ils mettent la touche finale à ce projet qui sera présenté dans le cadre de la prochaine Biennale internationale d’art numérique, à Montréal, du 1er décembre au 5 février. Puis, les pièces prendront la route de l’Ouest pour atterrir au Musée des beaux-arts de Vancouver (Vancouver Art Gallery) dans le cadre d’une exposition consacrée à la mode contemporaine. Suivront Helsinki et Tokyo en 2024 et en 2025.

Le travail de Ying Gao, qui est née en Chine et est passée par la Suisse avant de s’établir à Montréal, a été présenté dans une centaine d’expositions à l’étranger et lui a valu une couverture dans plusieurs médias, dont Vogue, le New York Times et Wallpaper. Fascinante exploration de la matière, sa démarche propose également des réflexions sur l’humain et la société, comme ces robes interactives « Can’t » et « Won’t » qui deviennent immobiles devant l’expressivité du spectateur, créées en 2016 et présentées à nouveau mercredi au Palais des congrès de Montréal, lors de Décadra, l’évènement annuel de l’ESG UQAM.

PHOTO DOMINIQUE LAFOND, FOURNIE PAR YING GAO

Neutralité : Can’t and Won’t, un projet de Ying Gao réalisé en 2016

Des vêtements « vivants »

Lorsqu’ils sont actionnés, les vêtements de cette présente collection se mettent à onduler de façon surréelle sur les mannequins. Fabriqués de matières créées dans l’atelier de la professeure Gao, les textiles sérigraphiés à la main prennent vie grâce à un assemblage de fils et de composants électroniques programmés par ordinateur. Clous du spectacle : les « nacres » qui s’ouvrent et se referment comme des créatures des fonds marins. Ce fut le plus grand défi de cette collection, souligne Ying Gao. « Tommy [Lecomte, étudiant en arts numériques à l’Université Concordia] a passé des nuits à réaliser ce module. Le verrier a aussi passé de nombreuses heures pour perfectionner ces nacres qui sont faites de verre, de métaux précieux et de silicone. C’est vraiment un matériau qui a été inventé ici. »

  • La collection 2 5 2 6 est constituée de deux tenues polymorphes qui simulent les effets du virtuel.

    PHOTO MAUDE ARSENAULT, FOURNIE PAR YING GAO

    La collection 2 5 2 6 est constituée de deux tenues polymorphes qui simulent les effets du virtuel.

  • Les « nacres » s’ouvrent et se referment comme des créatures des fonds marins.

    PHOTO MAUDE ARSENAULT, FOURNIE PAR YING GAO

    Les « nacres » s’ouvrent et se referment comme des créatures des fonds marins.

  • Ce tissu a été sérigraphié à la main.

    PHOTO MAUDE ARSENAULT, FOURNIE PAR YING GAO

    Ce tissu a été sérigraphié à la main.

  • Il ondule sur le corps de la mannequin.

    PHOTO MAUDE ARSENAULT, FOURNIE PAR YING GAO

    Il ondule sur le corps de la mannequin.

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La designer a voulu donner à ses créations la brillance qui caractérise les vêtements virtuels, qui n’ont aucune existence physique et qui se portent dans les jeux vidéo, dans le métavers ou sur les réseaux sociaux. Les prix vont de quelques dizaines de dollars jusqu’à des milliers si l’on souhaite une exclusivité. Certains de ces vêtements et accessoires sont des NFT, des « jetons non fongibles », soit un fichier numérique auquel un certificat d’authenticité numérique a été attaché. Mais pas tous.

PHOTO FOURNIE PAR THE FABRICANT

Emblème de la mode virtuelle, cette robe de la marque néerlandaise The Fabricant a été vendue 9500 $ US en 2019.

« C’est très niché, mais en même temps, il y a une vraie clientèle pour ça, remarque Ying Gao. Or, ça reste un outil de marketing. Tout ce battage médiatique autour du vêtement virtuel, c’est purement commercial. »

  • Pascale Tétrault et Ruochu Xie assistent Ying Gao dans la conception de ses vêtements robotisés.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Pascale Tétrault et Ruochu Xie assistent Ying Gao dans la conception de ses vêtements robotisés.

  • Ruochu Xie travaille sur des miroirs mobiles pour un projet à venir.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Ruochu Xie travaille sur des miroirs mobiles pour un projet à venir.

  • Tommy Lecomte fignole les « nacres » qui ornent l’un des vêtements.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Tommy Lecomte fignole les « nacres » qui ornent l’un des vêtements.

  • L’atelier de Ying Gao est situé à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    L’atelier de Ying Gao est situé à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM.

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Si l’idéation de cette collection a démarré par des observations en 2019, elle s’est transformée au fil du temps en un regard critique. « On achète de l’image, dénonce-t-elle. C’est l’apogée de la fast fashion pour moi, dans la mesure où les gens qui achètent chez Shein, ils achètent des vêtements à 5 $, se prennent en photo, publient sur Instagram et les jettent à la poubelle. Ça, c’est de l’image. »

La mode virtuelle, ça va au-delà. On évacue l’implication même de la matière, aussi cheap soit-elle. Les marketeurs vont dire que c’est plus écologique. Mais c’est beaucoup de pollution. Ce qui est réellement écologique, c’est de consommer beaucoup moins.

Ying Gao

Avec 2 5 2 6, la designer a voulu rappeler l’importance de la matière. Mais quelle est l’utilité de créer ce genre de vêtements ?

« On n’a justement pas l’habitude de penser le vêtement en dehors de sa fonctionnalité pure et dure, c’est-à-dire habiller un corps pour cette question de pudeur, parce qu’on ne peut pas se promener nue ou pour cette question de protection parce qu’il fait -30 °C. Au-delà de ça, il y a une réelle fonction psychologique à cet objet. Là, c’est devenu tellement un objet de consommation avec la montée en force du phénomène de la fast fashion qu’on n’a plus de recul par rapport à cet objet, alors qu’on accepte volontiers dans d’autres domaines du design des choses plus conceptuelles, plus spéculatives. »

Ainsi, elle souhaite que ses créations entraînent une réflexion sur notre rapport aux vêtements. « J’ose espérer qu’une adolescente de 17 ans qui a peut-être l’habitude d’acheter chez Shein, quand elle va voir un vêtement comme ça dans un musée, elle ne va pas se précipiter chez elle, ouvrir son application et acheter un vêtement à 5 $. C’est aussi de rappeler que cet objet-là a une autre valeur. »

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