« Louer des vêtements est moins vert que de les jeter » : ce grand titre, inspiré par les conclusions d’une étude finlandaise et repris récemment dans de nombreux médias, en a fait sursauter plusieurs. Vraiment ? Oui, mais…

Modèle en plein essor au Québec et ailleurs, la location de vêtements est souvent présentée par les entreprises qui en font la promotion comme une façon plus écologique de consommer la mode. Une équipe de chercheurs en économie circulaire de l’Université de technologie de Lappeenranta a déboulonné cette croyance dans une étude récemment publiée dans la revue scientifique Environmental Research Letters. Au moyen d’une analyse du cycle de vie d’un jean, les chercheurs ont comparé l’impact sur les changements climatiques de cinq scénarios : acheter un vêtement, le porter et le mettre aux rebuts ; le porter plus longtemps que la moyenne (réduction) ; le revendre (réutilisation) ; recycler sa fibre ou le louer (partage).

Ils ont tenu compte de toutes les étapes dans la vie du jean (selon des données européennes) : de la fabrication à la fin de vie en passant par la livraison et l’entretien.

Consultez l’étude (en anglais)

De toutes ces approches, c’est la location qui s’est avérée la plus néfaste pour le climat, entraînant l’émission de l’équivalent de 41 kg de CO2, ce qui correspond aux émissions de cycle de vie d’environ 10 hamburgers. Dans le cas du scénario « acheter et jeter », ce sont 34 kg de CO2 qui sont rejetés dans l’environnement.

Si la location fait mauvaise figure, c’est à cause du transport qu’elle nécessite. Les chercheurs ont estimé qu’un consommateur parcourt en moyenne 2 km pour se rendre à la boutique. « Le scénario du partage réussit à intensifier le taux d’utilité d’un produit, mais il y a un risque élevé qu’il augmente la mobilité des consommateurs, ce qui se traduirait par des émissions supplémentaires élevées », expliquent les auteurs de l’étude.

Le nettoyage n’est pas en cause ici puisque le même type et la même fréquence de lavage ont été attribués à toutes les approches. Or, beaucoup d’entreprises de location de vêtements font appel à des services de nettoyage à sec, considérés comme plus nocifs pour l’environnement principalement en raison des produits chimiques qu’ils utilisent.

Il y a cependant des scénarios où la location peut s’avérer un choix meilleur que le modèle traditionnel, ou l’équivalent : lorsque la fréquence de port du jean est doublée, passant de 200 à 400 fois par exemple, ou lorsque le consommateur utilise les transports collectifs ou actifs pour se déplacer. Sans surprise, l’étude démontre que la façon la plus durable de s’habiller est d’acheter moins de vêtements, de les porter plus longtemps et, si jamais on souhaite s’en débarrasser, de les passer au suivant.

Des bémols

Sur Twitter, la journaliste américaine Elizabeth L. Cline, autrice des essais Overdressed et The Conscious Closet, a exprimé des réserves sur cette étude. « Je suis tout à fait pour l’idée de remettre en cause l’économie circulaire, mais cette étude ne révèle pas grand-chose. L’étude est celle d’un jean. Nous avons également besoin d’études comparant la location à la mode/consommation jetable et la location par rapport à l’achat de quelque chose pour une occasion spéciale. »

Ses auteurs reconnaissent d’ailleurs que l’étude a des limites, notamment parce qu’elle ne tient pas compte d’autres impacts environnementaux comme ceux sur l’eau, les sols, la biodiversité et les communautés locales.

PHOTO FOURNIE PAR NOÉMIE BASTIEN-BEAUDOIN

Noémie Bastien-Beaudoin, étudiante au doctorat et membre de l’équipe de recherche du Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG)

« Ce qui est dangereux avec ce type d’études, c’est de seulement lire le grand titre et de ne pas s’attarder au contexte et à la méthodologie », affirme Noémie Bastien-Beaudoin, étudiante au doctorat et membre de l’équipe de recherche du Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG). « La méthodologie est fiable et, dans ce contexte-là, pour ce nombre de kilomètres et ce nombre d’utilisations, effectivement le service de location peut être un comportement moins environnemental. »

Mais, elle fait une distinction entre les services basés sur la location occasionnelle et ceux qui offrent un renouvellement de pièces de façon régulière. C’est d’ailleurs sur ce dernier modèle que l’étude est basée.

La location de vêtements a du sens quand elle est faite à un niveau local, si l’idée est de s’y rendre à pied, à l’occasion, pour une robe qu’on va mettre une fois.

Noémie Bastien-Beaudoin, étudiante au doctorat et membre de l’équipe de recherche du Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services

« Dans ce contexte, la location va réduire notre empreinte. Ce qui n’est pas le cas si on change notre garde-robe chaque semaine, qu’on s’y rend en auto ou que ça nous est livré à partir d’un entrepôt situé dans une autre ville », ajoute celle qui a étudié la décarbonisation de la mode dans le cadre de son mémoire de maîtrise.

Selon Claude Villeneuve, biologiste et directeur de la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi, le message principal de cette étude est qu’« il faut se méfier des évidences et que certaines pratiques qui s’inscrivent dans l’économie circulaire pourraient avoir des effets de rebond qui atténuent ou éliminent les gains environnementaux escomptés ».

De plus, si une telle étude était réalisée au Québec, ses conclusions favoriseraient encore plus selon lui le fait de conserver ses vêtements plus longtemps. « L’étude mentionne des déplacements de 2 km en auto sur la base d’une petite auto quatre places européenne, observe-t-il. Ici, les distances sont plus grandes et les autos consomment plus. »

L’analyse du cycle de vie d’un produit est une démarche complexe qui tient compte de plusieurs facteurs. Mais, une chose est simple : la réduction à la source est toujours le comportement qui a le moins d’impact environnemental.

« Pour les vêtements, c’est à l’étape de la fabrication que l’impact environnemental est le plus grand, explique Noémie Bastien-Beaudoin. Plus un vêtement est utilisé, plus on amortit toutes les ressources qui ont été utilisées pour sa production. »

Or, la tendance est plutôt à l’inverse. Le nombre de fois qu’un vêtement est porté est passé de 200 à 120 fois à l’échelle mondiale entre 2002 et 20161.

1. Circular Fibres Initiative Analysis Based on Euromonitor International Apparel & Footwear 2016 Edition (volume sales trends 2005 – 2015).