Les relations entre humains et animaux sont bien plus complexes qu’un lancer de balle ou le versement de croquettes dans un bol. Deux scientifiques ont décortiqué l’histoire de la domestication et les rapports psychologiques vis-à-vis des animaux de compagnie, dans le cadre d’une conférence organisée mercredi par le Cœur des sciences de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Morceaux choisis.

Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l’environnement, a d’abord remonté le temps pour exposer toute la complexité du phénomène de domestication, partant de sa genèse, celle du chien, descendant du loup gris devenu meilleur ami officiel de l’homme depuis quelque 25 000 ans. Si le processus a engendré des transformations organiques et génétiques profondes chez les animaux (courbure de la queue, dépigmentation, oreilles et crocs réduits, entre autres), il a également laissé sa marque dans les organisations sociales humaines : la seconde vague de domestication, celle des grands herbivores (moutons, chèvres, vaches, cochons), « s’est accompagnée d’une transformation radicale des sociétés, devenues de plus en plus hiérarchiques, inégalitaires », pointe Mme Chansigaud. Les troupeaux sont devenus des signes de richesse : « C’est probablement la naissance de la toute première forme de capitalisme », précise l’historienne.

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Qu’il est beau ! Autant qu’il semble préparer un mauvais coup. L’historienne des sciences Valérie Chansigaud nous apprend que la disparité réduite entre les races de chat serait le signe d’une domestication moins avancée que celle du chien, ce dernier se déclinant dans des tailles et des formes plus variées.

Mais pour revenir à nos moutons (ou plutôt, à nos petits animaux domestiques), notons cet autre fait intéressant : si le chien est aujourd’hui le mammifère qui présente les plus grandes disparités physiques entre ses différentes races, conséquences de sa domestication et des processus de sélection, ce dimorphisme est beaucoup plus limité chez le chat. « Cela traduit bien ce doute qu’ont beaucoup de spécialistes pour dire que le chat est réellement domestiqué. Pour eux, on est dans une zone grise », souligne-t-elle. Les propriétaires de minous qui ignorent superbement toute injonction de leur maître en étaient sûrement déjà passablement convaincus…

Petite bête = bien-être ?

Psychologue sociale et professeure au département de psychologie de l’UQAM, Catherine Amiot a aussi passé au crible certains outils de sa discipline pour décrypter les relations humains-animaux. Dans un exposé très détaillé, elle a notamment rapporté comment trois façons de s’identifier aux animaux, soit le sentiment de solidarité envers eux, celui de similarité humain-animal et celui de « fierté animale » (reconnaître que nous sommes des animaux et valoriser cette appartenance), ont été utilisées comme paramètres pour esquisser des tendances ; par exemple, une plus grande solidarité envers les animaux est associée à une moins forte propension à la dominance sociale ou au spécisme.

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Les animaux de compagnie ont été désignés comme une source de réconfort pendant la pandémie. Ce constat doit être nuancé, prévient la psychologue Catherine Amiot, car des études ont montré qu’ils peuvent également constituer une source de tracas supplémentaires. Quiconque a cherché à consulter un vétérinaire l’an passé saura de quoi il en retourne…

Cependant, un autre point de l’exposé a particulièrement retenu notre attention : Catherine Amiot a souhaité apporter des nuances sur la question du bien-être offert par les animaux domestiques dans nos foyers, surtout en temps de pandémie. De nombreuses tribunes médiatiques ont en effet relayé les bénéfices et le réconfort apportés par nos petites bêtes. Néanmoins, la professeure de psychologie pointe d’autres études, menées durant l’épidémie, allant à rebrousse-poil de ces assertions, posant que les animaux domestiques peuvent aussi provoquer du stress ou des soucis en ces temps de crise.

Une large étude menée par Ratschen et ses collègues auprès d’environ 6000 personnes a montré que 70 % des propriétaires d’animal domestique ont rapporté avoir un souci par rapport à leur animal.

Catherine Amiot, psychologue

Au Québec, ce ne sont pas les exemples qui manquent : les visites vétérinaires se sont complexifiées (la province souffrait déjà d’une pénurie de personnel) et les stocks de nourriture ont connu leur lot de ratés.

Lisez l’étude d’Elena Ratschen (en anglais)

En fait, les diverses études menées sur le sujet, même avant 2020, s’avèrent contradictoires : quelques-unes associent la présence d’animaux domestiques au bien-être psychologique, certaines concluent n’y avoir trouvé aucun rapport, tandis que d’autres pointent un bien-être amoindri sur certains plans chez les propriétaires d’animaux.

Mais pour la psychologue, ce lien doit être nuancé par des paramètres (« modérateurs »), comme l’âge — les enfants et les personnes âgées tireraient davantage profit de pitou et minou — ou les ressources disponibles. « Une personne très malade ne va pas nécessairement en bénéficier, si cela représente un poids qui s’ajoute à d’autres soucis », illustre Mme Amiot. Des chercheurs se sont aussi penchés sur la compatibilité des personnalités respectives de l’animal et de son propriétaire : plus celle-ci est grande, plus on en tire de bénéfices.

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Les chiens appartenant à des personnes ayant beaucoup d’interactions sociales humaines seraient plus heureux.

Et le bien-être de nos compagnons ? On l’étudie aussi ! Les chiens appartenant à des célibataires auraient la meilleure qualité de vie, ainsi que ceux appartenant à des personnes ayant tissé beaucoup de liens émotionnels avec leur entourage. « Cela suggère que ces chiens-là s’intégraient dans un réseau social plus large, sans jouer un rôle compensatoire par rapport à des liens humains manquants », conclut la psychologue.

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