(Montréal) Alimentée par des familles qui se retrouvent coincées entre quatre murs avec des enfants qui se tournent les pouces, la demande pour des chiots a explosé depuis le début du confinement, ont indiqué plusieurs éleveurs contactés par La Presse canadienne.

« Absolument, a dit Catherine Leblanc, d’Uapishka Labradors. Je vous dirais que j’ai eu plus de 600 appels ou courriels depuis le 13 mars. On se parle entre éleveurs et c’est la même chose partout : les gens veulent un chiot pour hier. »

Le nombre de demandes qu’elle reçoit a explosé, passant d’une quinzaine par semaine à 40 ou même 50, au point où elle admet ne même plus répondre au téléphone.

Même son de cloche du côté de l’élevage Valentina Jack Russell Terrier de Saint-Sixte, en Outaouais, où on reçoit jusqu’à 30 appels par jour.

« En temps normal, en incluant les courriels et les téléphones, c’est environ huit à dix demandes par jour, a dit la propriétaire, Symphonie Nadeau. Donc de notre côté, ce serait juste de dire que c’est au moins le triple. »

PHOTO FOURNIE PAR ÉLEVAGE VALENTINA JACK RUSSELL TERRIER VIA PC

L’Élevage Belletruffe, qui produit des terriers de Boston, fait quant à lui état d’une demande qui a septuplé.

« Je reçois en moyenne 10 ou 15 appels ou courriels par jour, au lieu de 15 par semaine en temps normal », a indiqué Louise Bois.

L’effet du confinement

Tous y voient l’impact direct du confinement, et les familles qui souhaitent adopter un compagnon sont très transparentes à ce sujet.

« De façon générale les gens vont nous dire qu’ils cherchent un petit chien pour occuper les enfants, si on parle du contexte de la pandémie, a dit Mme Nadeau. C’est sûr qu’on a quand même des appels de familles réfléchies qui sont intéressantes, […] mais on travaille fort pour pouvoir distinguer le vrai du faux. »

Le phénomène se manifeste aussi à la SPCA de Montréal où, au début de la pandémie, « les jours de semaine ressemblaient à des jours de week-end. Il y avait des files d’attente », a dit la directrice générale, Élise Desaulniers.

« Et dès qu’on a fermé au public et qu’on a ouvert sur rendez-vous, on a eu une énorme demande, beaucoup de gens qui nous contactaient parce qu’ils cherchaient à adopter, a-t-elle précisé. Plusieurs personnes nous disaient, “on a des enfants à la maison, on est beaucoup plus présents, c’est peut-être le bon moment pour intégrer un nouveau compagnon à notre famille”, donc je comprends très bien ces gens-là. »

Les trois éleveurs préviennent qu’il faudra attendre un an et plus avant d’obtenir un chiot, puisqu’il est hors de question pour eux d’accélérer la fréquence de reproduction de leurs femelles pour profiter de la manne.

Mais les familles qui sont prêtes à attendre aussi longtemps sont rares.

« Depuis début mars, j’ai eu quatre familles qui ont accepté d’attendre deux ans, a dit Mme Bois. On voit que ce sont des familles intéressées, mais ce n’est pas beaucoup. »

Les éleveurs de fond de cour

« Il y a des gens qui sont surpris, qui sont habitués d’aller en animalerie et d’avoir tout, tout de suite, a déploré Mme Nadeau. On a des familles qui appellent deux ou trois fois à chaque semaine pour voir si on aurait un chiot qui aurait été annulé sur nos portées. On est dans une ère où on a de la difficulté à attendre, donc c’est un défi. »

La situation pourrait avoir deux conséquences néfastes, craignent les éleveurs, à commencer par une exploitation de cette demande par des éleveurs moins scrupuleux.

En fouillant sur des sites de petites annonces, il n’est effectivement pas difficile de trouver des chiens croisés offerts pour quelques milliers de dollars — soit plus d’argent qu’il en coûterait pour un chiot pure race.

« Tout le monde est un peu dépassé et dégoûté par ce qui se passe, a dénoncé Mme Leblanc. On sait très bien ce qui va arriver avec les chiots et on sait très bien que la majorité des gens ne sont pas patients et ne connaissent pas nécessairement le domaine canin. Donc ils vont se ramasser avec des problèmes en allant vers “l’offre”, vers les éleveurs de fond de cour qui offrent des chiens malades à des prix ridicules. »

Retour à la réalité

Les trois éleveurs craignent aussi que les familles déchantent après quelques semaines, parce qu’elles auront moins de temps ou qu’elles auront découvert ce qu’implique vraiment l’élevage d’un chiot, et que les refuges débordent soudainement d’animaux abandonnés.

« Quand les gens vont retourner au travail et les enfants à l’école, les chiots vont être dans leur période d’adolescence cet automne, ils vont avoir des problèmes de comportement et d’anxiété, a dit Mme Bois. Les gens vont probablement plus les mettre en cage alors que le chien a toujours été habitué d’être libre dans la maison, […] on pense qu’il va y avoir beaucoup de retours dans les [refuges]. »

Mme Nadeau, de Valentina Jack Russell Terrier, relate que, lors de ses échanges avec certaines familles, « on sent vraiment que c’est plus comme un jouet, un divertissement qui est recherché qu’un membre de la famille ».

Cela n’inquiète toutefois pas vraiment Élise Desaulniers, de la SPCA.

« Quand je parle avec [mes collègues] qui vivent dans des régions qui ont subi des catastrophes naturelles, par exemple, […] après une catastrophe les gens veulent poser un geste un peu symbolique […] et ils vont adopter un animal, et on n’a pas observé plus d’abandons par la suite », a-t-elle assuré.

Mme Leblanc, d’Uapishka Labradors, rappelle que l’adoption d’un chien est un engagement à long terme.

« On a du temps pour s’occuper de notre chiot aujourd’hui, donc on va avoir du temps pour le mettre propre et le socialiser, a-t-elle dit, en résumant l’attitude de certains. Mais les gens ne réfléchissent pas au fait qu’un chiot ce n’est pas un mois, ou deux, ou trois. C’est au moins un an. Et après ça il faut continuer de s’en occuper. »