Nos vies sont jalonnées de premières fois... et certaines sont plus marquantes que d’autres. Chaque vendredi au cours de l’été, une personne nous raconte les répercussions qu’une décision ou qu’un événement a pu avoir sur son existence. 

« C’était ma grande chum », dit Nathalie Tellier à propos de son premier chien-guide, Lotus. Quand elle évoque son chien, son visage s’illumine. Elle en parle comme d’un ami qui l’a guidée pendant une partie de sa vie. Au propre comme au figuré.

Nathalie avait 17 ans lorsqu’elle a troqué la canne blanche contre un chien-guide. Elle n’oubliera jamais cette journée où on lui a présenté Lotus, une femelle labrador. C’était en 1993.

« J’étais très émue. J’étais fière de dire : c’est mon chien », raconte Nathalie en appuyant bien sur le « mon ».

C’était moi qui devais veiller à ses besoins, la sortir, lui donner à manger. Je l’appelais ma petite Barbie tellement elle était petite.

Nathalie Tellier

Elle se confiait à son chien comme à une amie. Couchée près de Lotus, elle lui racontait sa vie, ses problèmes, ses joies.

À 17 ans, sa vue avait déjà décliné à cause d’un glaucome, une maladie qui s’attaque au nerf optique. « Des fois, je ne voyais pas les marches. Si ce n’était pas gros et contrastant, je ne voyais pas. »

Son chien devenait ses yeux. Il l’a rendue plus fonceuse, moins peureuse. « Ça m’a donné confiance en moi », raconte la femme de 44 ans.

Nathalie habite avec sa fille au 3e étage d’un logement pour personnes non voyantes de l’est de Montréal. L’appartement est modeste et lumineux avec des murs peints en jaune et de larges fenêtres. Elle y réside depuis 25 ans.

Cet appartement, Nathalie le connaît de fond en comble. Elle se penche pour attraper le harnais de son chien ou pour servir un verre d’eau à sa fille, Sabrina, 20 ans. Comme sa mère, Sabrina a un glaucome. Elle ne voit que de l’œil droit.

Nathalie est en recherche d’emploi. Elle obtiendra bientôt son diplôme d’études secondaires, comme elle l’avait promis à son père sur son lit de mort.

Les quatre cents coups

Avec son premier chien-guide, elle a fait les quatre cents coups. Elle avoue avoir été « un peu rebelle » pendant cette période difficile de sa vie. Son demi-frère venait de mourir dans un accident. « Lotus a été une grosse bouée pour moi », relate Nathalie.

Un jour, elle décide de quitter la maison où elle vit avec sa mère, à Longueuil. « J’ai fait une fugue d’à peu près un mois. Ma mère savait où j’étais, mais je ne voulais pas revenir. »

La présence de son chien à ses côtés la pousse finalement à retourner chez sa mère. La personne chez qui elle s’était réfugiée avait un comportement parfois violent. « Je me suis dit : “S’il s’en prend à moi, il peut s’en prendre à mon chien.” J’ai pensé à Lotus, pas juste à moi. »

« Lotus était blonde et blanche avec des oreilles caramel », se souvient Nathalie. C’est le seul de ses chiens-guides qu’elle a pu voir. Peu de temps après, elle a définitivement perdu la vue.

L’adaptation n’a pas été trop difficile. « Je fonctionnais déjà pas mal comme une personne non voyante. » En observant son père, lui aussi non voyant, Nathalie avait appris à vivre comme une aveugle. Elle a tout de même vécu de petits deuils. « J’aimais beaucoup regarder des photos et lire. »

Les adieux

Un soir d’hiver, alors que Nathalie était chez une amie, Lotus a eu des convulsions. « J’ai appelé d’urgence un vétérinaire », dit-elle. Privée de son guide, Nathalie n’a pas pu rentrer chez elle.

À 20 ans, elle a dit adieu à Lotus, car elle faisait des crises d’épilepsie. « Je devenais très insécure », dit Nathalie.

Après Lotus, il y a eu Fougère, qui l’a guidée quand elle a eu sa fille. Mère seule, Nathalie a beaucoup apprécié l’aide de son chien. « Elle était vraiment mère poule. Quand la petite pleurait, elle courait pour venir me chercher. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Delson est le huitième chien-guide de Nathalie.

Au cours de sa vie, elle a eu huit chiens. Certains l’ont guidée pendant des années, d’autres pendant quelques semaines. Nathalie garde un attachement particulier pour chacun de ses guides. « Ils m’ont tous laissé un petit quelque chose. »