Quand devient-on adulte ? En quittant le nid familial ? En payant ses impôts pour la première fois ? Au moment où la génération Z entre dans la vingtaine, nous avons posé la question à trois jeunes. Aujourd’hui : Milo, 21 ans.

C’est tout récent. Depuis un an, peut-être. Mais quelque chose a changé.

Milo Brunelle se sent adulte. Enfin, autant qu’on peut l’être à 21 ans, lorsqu’on n’a pas encore de prêt hypothécaire ou d’enfants. « J’imagine que je suis au niveau 1 », précise-t-il, attablé sur la terrasse d’un café animé.

Première observation : Milo a changé depuis la dernière fois qu’on l’a vu. Il a rasé ses longs cheveux dorés, allongé d’un pouce, peut-être deux. « Je suis devenu adulte ! », dit-il lorsque nous le lui faisons remarquer.

Notre première rencontre remonte à l’été 2021. À 18 ans, Milo était alors devenu le plus jeune propriétaire de stand de l’histoire du marché Jean-Talon. Lui qui n’avait rempli sa déclaration de revenus qu’une fois, il avait repris sans hésiter Les Pops, l’entreprise de popsicles de son père, qui avait succombé à un cancer du cerveau la même année.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Milo Brunelle, en 2021

Lorsque l’idée de cette série sur le passage à l’âge adulte est née, son nom est le premier qui nous est venu à l’esprit, lui dont la résilience témoignait déjà d’une sagesse peu commune. Deux ans plus tard, le voici de nouveau assis devant nous pour répondre à une question aussi innocente que lourde de sens. À quel moment devient-on adulte ?

Expérience universelle, le passage houleux à la vie adulte a inspiré un genre littéraire et cinématographique avec ses adeptes et même ses classiques : The Breakfast Club, Dead Poets Society, Juno, Lady Bird… Pourtant, la réponse variera immanquablement selon l’interlocuteur.

Si la majorité civile est établie à 18 ans dans la plupart des pays, la science estime que le cortex préfontal, la partie du cerveau liée à la prise de décision et au jugement, se développe jusqu’à 25 ans, voire plus tard.

À travers les cultures, les cérémonies qui marquent l’entrée dans l’âge adulte sont fréquentes : la bar-mitsvah dans la religion juive, la quinceañera dans le monde latino-hispanique… Mais voilà longtemps que les rites qui séparaient autrefois l’adolescent de l’adulte dans la société occidentale – le mariage, l’accueil d’un premier enfant – ne reflètent plus la réalité des jeunes.

Alors, quand devient-on adulte ? Après une courte pause, Milo tente une définition.

Devenir adulte, c’est trouver sa place.

Milo Brunelle, 21 ans

Intéressant. L’inverse est aussi vrai. N’est-ce pas le propre de la jeunesse d’être investie d’une perpétuelle quête identitaire ? Être jeune, c’est chercher sa place. Dans la dernière année, Milo a trouvé la sienne. Elle n’est pas à l’université. Du moins pas maintenant.

Maintenant, sa place est à la tête de l’entreprise de popsicles artisanaux fondée par son père, 15 ans avant de mourir. « D’avoir trouvé ce que j’ai envie de faire plus tard, c’est comme si une partie de moi pouvait se calmer. Je continue à travailler fort, mais au moins, je sais que je fais quelque chose que j’aime et qui va me mener quelque part où je pourrais bien vivre et être heureux », raconte-t-il.

D’une certaine manière, Milo est devenu adulte par nécessité. Moins d’un an après la mort de son père, son meilleur ami a mis fin à ses jours. Il aurait pu en vouloir au monde entier, sombrer dans la colère, la rancœur… « Ma démarche de deuil a été de l’accepter avec gratitude. J’avais tellement une bonne relation avec mon père. Je n’ai pas de regret. Je suis content qu’il ait été là tout court. Encore à ce jour, je me sens plus chanceux que des gens qui ont encore leur père », confie-t-il.

Milo nous pointe son bracelet, son pantalon, sa sacoche. Tous appartenaient à son père. « Je le porte en moi », dit-il.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Milo Brunelle, 21 ans

Mon père m’a légué son entreprise. Il m’a donné cette opportunité de me trouver.

Milo Brunelle, 21 ans

Et au passage, de franchir ce pas déterminant, peut-être le plus important d’une vie, celui de quitter l’adolescence.

Comment apprivoise-t-il son nouveau rôle d’adulte ? Essentiellement, il reste la même personne, seulement avec « plus de finesse » – et plus de contrôle. Sur sa vie, son avenir aussi. « Une de mes plus grandes peurs, c’est de vieillir. C’était un sentiment vraiment présent quand je ne savais pas ce que j’allais faire de ma vie. Mais dans la dernière année, je suis vraiment plus en paix avec le temps qui passe. Je suis plus excité de ce qui s’en vient », estime Milo.

Comme lui, les jeunes de la génération Z font tranquillement leur entrée dans la vingtaine. Il se dit beaucoup de choses sur leur cohorte incapable de décrocher de son cellulaire, et souvent plus négatives que positives.

Quel genre d’adultes vont-ils devenir ? « De nos jours, c’est particulièrement difficile d’être adulte, estime Milo. Tout le monde se bat pour notre dopamine, et notre dopamine, c’est ce qui nous permet de nous motiver, de concrétiser nos projets, de prendre les bonnes décisions. »

Milo le remarque autour de lui. Les réseaux sociaux rendent plus amorphes, plus passifs. Or, être adulte, c’est assumer ses responsabilités, mettre l’effort nécessaire. « Faire face à la vie, quoi. »

À l’entendre parler, Milo est adulte. Beaucoup plus qu’on peut espérer l’être à 21 ans.