Une fois par mois, La Presse, inspirée par le « Questionnaire de Socrate » du magazine Philosophie, interroge une personnalité sur les grandes questions de la vie. Ce dimanche, la réalisatrice et chercheuse postdoctorale Léa Clermont-Dion, dont les documentaires Janette et filles et Je vous salue salope (en salle en France en octobre) ont obtenu six citations aux Gémeaux et qui publiera à l’automne un essai autobiographique (Porter plainte), répond à nos questions.

Qui suis-je ?

Je suis un être en quête de liberté qui se construit petit à petit, naviguant parfois difficilement à travers les courroux du réel. Sartre croit que l’existence précède l’essence. Ce n’est pas faux. Car on ne naît pas femme, on le devient.

Sommes-nous libres ?

La liberté s’incarne par l’absence de contrainte. Pour être libre, il faut être à l’abri des carcans, de l’aliénation et de la tyrannie. Mais il serait réducteur de croire que tous naissent libres et égaux. Comme John Rawls le formule, notre système démocratique offre des mécanismes qui garantissent la liberté. Or, celle-ci est grandement limitée. Il est de notre devoir de démanteler ces embûches systémiques. C’est là le fondement de la démocratie et de ses mécanismes de redistribution et de reconnaissance. Hannah Arendt souligne que face à ce monde terrifiant, l’action est l’affirmation du pouvoir politique et la manifestation réelle de la liberté. Il faut la faire fleurir comme il se doit. Sinon, nous courons à notre perte.

Que retenez-vous de votre éducation ?

Que je sais si peu de choses, finalement. Que le savoir se forge très lentement. Que la pensée se construit à force de questions et de doutes. Que la vérité finale n’existe pas. Elle se transforme. Je me méfie de celles et ceux qui prétendent la détenir. La meilleure façon d’apprendre, c’est d’écouter. Écouter vraiment.

La chose la plus surprenante que vous avez faite par amour ?

Dire à mon chum « je t’aime pour toujours ». Je m’étais promis qu’il ne fallait jamais dire « pour toujours ». Mais la vie nous réserve des surprises émouvantes comme celle de l’engagement amoureux. Quand ça nous happe, il est impossible d’y résister. Sinon, apprendre à ramasser mon bordel.

Un auteur ou philosophe qui vous accompagne depuis longtemps ?

En temps de fatigue existentielle, Albert Camus m’a permis de trouver un sens à la vie. Celle de comprendre que, confrontés à l’absurdité du quotidien, nous pouvons toujours nous révolter. La révolte est la clé pour la liberté. En plus, il était diablement romantique et ses lettres d’amour à Maria Casarès m’ont fait rêver. Autrement, Nancy Fraser, une philosophe contemporaine, est pour moi la penseuse la plus intéressante de notre temps qui permet d’offrir une perspective critique à l’égard du système économique dans lequel nous vivons. Elle offre une lecture puissante des oppressions.

Votre démon ?

La peur obsédante de la mort. J’aimerais bien croire. Mais je ne crois pas. Et je ne me laisse pas tenter par quelque forme d’ésotérisme. Le contraire m’apaiserait. J’en suis incapable. J’opte alors pour le déni. Le déni de la réalité fatale et universelle, c’est-à-dire disparaître. Au fond, je suis peut-être une stoïcienne.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

« Finalement, je suis plutôt épicurienne », glisse Léa Clermont-Dion.

Le lieu parfait pour créer ou rêver ?

Une masseria à Lecce, en Italie, par un après-midi de juillet. Mon amoureux à mes côtés. Un Aperol spritz rafraîchissant à la main. Les insectes fredonnant au loin dans le champ ambré. Elio et Nina, mes enfants, s’émerveillent devant un vieux chien endormi. Finalement, je suis plutôt épicurienne.

Un avantage d’être égoïste ?

Je fuis les disputes, les lamentations inutiles et autres turpitudes ordinaires qui me semblent trop lourdes. L’égoïsme m’en préserve.

Une idée que vous défendriez contre tout ?

L’égalité des sexes. À la vie à la mort.

Un rêve (ou cauchemar) récurrent ?

Celui d’arriver en retard à un cours. Ça me donne l’impression de chuter dans le vide.

Quel autre métier auriez-vous voulu faire ?

Enfant, je jouais à être une comédienne qui incarnait des rôles d’avocate. Je portais fièrement les tailleurs trop grands de ma grand-mère et des souliers à talon haut couleur pervenche. Je me pensais madame. Si c’était à refaire, je serais avocate ou bergère. Mais je n’ai aucune habileté particulière pour la surveillance des moutons.

Complétez la phrase : Si Dieu existe… 

… J’aimerais qu’il me donne rendez-vous chez Vito afin que nous discutions de l’avenir de l’humanité. Je lui dirais : « Alors, Dieu, avant de disparaître, que faudra-t-il faire pour s’en sortir ? J’aimerais obtenir le guide de survie, s’il vous plaît. Donne-moi espoir pour que j’insuffle l’envie d’engagement à mes enfants Elio et Nina. »