Timidité, trac, phobie sociale. La peur et le jugement des autres sont très répandus dans la population. Deux livres viennent de sortir afin d’outiller ceux et celles qui en souffrent.

Louis-Philippe Rivard se décrit comme un timide de classe mondiale. Scripteur humoristique depuis près de 30 ans, il a travaillé avec de nombreux animateurs et humoristes comme Lise Dion, Michel Barrette, Peter MacLeod, Marc Dupré, Véronique Cloutier et Patrice L’Écuyer. Avec son livre La revanche des timides, il souhaite aider les autres à sortir de leur coquille.

Louis-Philippe Rivard est timide et introverti depuis sa tendre enfance. Il estime avoir un bon bagage de 49 ans d’expérience en gêne, d’où sa légitimité à écrire La revanche des timides, pour aider les autres à ne pas passer à côté de leur vie pour cause de timidité.

Il a toujours eu de la difficulté à imposer sa présence, un héritage de sa mère « qui a inventé la gêne alors que [son] père n’en connaissait pas la définition », écrit-il. Son plus vieux souvenir de timidité remonte à la maternelle. Il n’était pas à l’aise de jouer avec les autres enfants, et pendant les temps libres, alors que les Lego et les Hot Wheels étaient pris d’assaut, il se retrouvait toujours seul, à la station poterie, avec de la terre glaise. « J’avais pourtant envie de jouer aux Lego ou aux autos, mais je n’osais pas. Je faisais des cendriers en terre glaise alors que ma mère ne fumait pas, j’ai dû lui faire une vingtaine de cendriers ! », se rappelle Louis-Philippe Rivard en entrevue.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Louis-Philippe Rivard

Pour ne pas jouer au ballon-chasseur, il se cachait dans la cour d’école. Il a évité, autant que possible, les exposés oraux, les travaux en équipe, et toute situation inconfortable. Il a passé son secondaire à la bibliothèque. « C’est un endroit parfait pour un timide, on ne parle à personne et il y règne un grand silence. J’ai pu lire tous les livres de psychologie et comprendre ma timidité. » D’ailleurs, il y a des avantages parfois à être timide, croit-il. « On peut passer des heures à observer, à analyser et à écouter les autres, ce qui est une belle qualité. Il faut aussi être capable d’avoir de l’autodérision, car rire de soi, ça aide. »

Un obstacle pour réaliser ses rêves

Comme beaucoup de timides, sa gêne est un mélange de peur de ne pas être à la hauteur et de celle d’être jugé par les autres. « On a peur de ce que les autres pensent de nous, peur de les décevoir. On pense qu’on n’est pas pertinent, pas assez intelligent, on se met à trop réfléchir et on finit par ne rien dire ou alors il est trop tard et on manque constamment des occasions. » Et il insiste sur ce point.

Pour moi, la timidité, c’est le seul obstacle qui nous empêche de faire des choses dont on a envie et de réaliser nos rêves et c’est pour cette raison que j’ai écrit ce livre. C’est triste de savoir qu’il y a des gens qui ont du talent, mais qui sont trop timides.

Louis-Philippe Rivard

Grâce à des rencontres déterminantes et à beaucoup d’autodérision, Louis-Philippe Rivard a pu surmonter sa gêne. « J’ai eu de la chance, car beaucoup de gens m’ont aidé dans les premières années de ma vie professionnelle. J’étais incapable de parler dans les brainstormings alors que j’avais plein d’idées », se souvient-il. L’auteur Paco Lebel l’a pris sous son aile. « Je lui envoyais, par écrit, des idées et des textes. Il a vu que ça valait la peine, alors il m’a aidé, petit à petit, à prendre confiance en moi. »

C’est l’humoriste Peter MacLeod, avec qui il a travaillé à la radio, qui lui a présenté sa conjointe Josée Boudreault. Une rencontre déterminante dans sa vie. « Je n’osais pas la regarder au début, elle parlait fort, riait fort, j’étais très intimidé ! C’est elle qui m’a embrassé en premier, je n’aurais jamais osé ! Si elle ne l’avait pas fait, je pense que je serais encore en train de me demander si j’ose l’embrasser ou pas ! », dit-il en riant.

Il a beaucoup appris de Josée Boudreault, avec qui il fait des conférences. « C’est une vraie extravertie, elle a envie de danser, elle danse, elle chante en premier au karaoké, elle parle avec tout le monde. Grâce à elle, j’aime être avec les gens, j’apprécie les soupers entouré d’amis, même avec de nouvelles personnes. Josée, c’est une vraie inspiration encore aujourd’hui, malgré son accident vasculaire cérébral qui l’a laissée aphasique. Même si elle a du mal à parler, elle continue et elle fait rire les gens. »

Bien qu’il ait fait beaucoup de progrès, Louis-Philippe Rivard se considère toujours comme timide. « Dans un mariage, quand un extraverti pense me sauver en me traînant sur le plancher de danse, avant je le suivais, maintenant je suis capable de dire non, je n’ai pas envie, je suis très bien dans mon coin », dit-il.

« Je sais que nous ne sommes pas seuls, nous les timides. Il faut, petit à petit, faire l’effort d’aller vers les autres, se secouer et exprimer ses envies, car sinon on passe à côté de sa vie. »

La revanche des timides

La revanche des timides

Un monde différent

222 pages

Apprivoiser la peur des autres

PHOTOMONTAGE LA PRESSE

La peur des autres est certainement la peur la plus répandue. Trac, timidité, phobie sociale, rougissement, on a tous vécu une de ces peurs à un moment de notre vie. Dans La nouvelle peur des autres, les auteurs et psychiatres français Christophe André, Patrick Légeron et Antoine Pelissolo nous font comprendre les mécanismes des peurs sociales et les moyens de les surmonter. Entrevue avec Antoine Pelissolo, psychiatre et chef de service au CHU Henri-Mondor à Créteil, en France.

Qu’est-ce que la timidité ? Et quelle est la différence avec l’anxiété sociale ?

La grande différence entre la timidité et l’anxiété sociale, c’est que la timidité n’est pas pathologique en soi, c’est un trait de caractère, un comportement qui est d’ailleurs très répandu puisque près de la moitié de la population se considère comme timide ou a été timide à un moment donné. Un timide va s’inquiéter avant une nouvelle rencontre ou avant de parler en public, mais ce sera provisoire. L’anxiété sociale, c’est la peur du jugement négatif envers soi. On a tendance à se dévaloriser, alors on a une aggravation de la peur chaque fois, ce qui nous empêche d’agir. Une anxiété sociale peut être plus ou moins handicapante et crée une souffrance. On craint constamment de donner une mauvaise image de soi, on pense que les autres ne remarquent que nos défauts, alors on imagine les pires scénarios, on se questionne, on exagère, et on est paralysé par l’angoisse. On estime que c’est autour de 5 à 7 % de la population qui souffre d’une anxiété sociale pathologique qui correspond à des critères de gravité et de handicap.

PHOTO ÉMILIE CORBINEAU, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS ODILE JACOB

Le psychiatre Antoine Pelissolo, chef de service au CHU Henri-Mondor à Créteil et professeur de médecine à l’Université Paris-Est Créteil

À quel âge l’anxiété se détecte-t-elle ?

On voit des enfants vers 5 ou 6 ans qui sont déjà plus que timides. On observe qu’il y a une gêne qui les paralyse au quotidien, ils vont renoncer à voir des amis, à aller à des anniversaires. Ça peut aussi se manifester à l’adolescence. Ça ne veut pas dire que tous les enfants auront, pendant leur vie, un problème d’anxiété. Dans certains cas, ça va s’atténuer, voire disparaître, mais dans d’autres cas, ça peut durer des années ou des décennies. Il faut pouvoir repérer l’anxiété à un jeune âge et les parents peuvent faciliter les choses en encourageant leurs enfants, doucement sans trop les brusquer, à aller vers les autres. Si les parents sont eux-mêmes dans le repli social, n’ont pas beaucoup d’amis, ne sortent pas ou ont tendance à déconsidérer leurs enfants, ça peut être plus grave.

Ces anxiétés sociales sont-elles plus fréquentes ?

Elles sont plus gênantes. Il y a toujours eu une partie de la population qui avait une gêne vis-à-vis de la communication, mais aujourd’hui, avec les technologies, on a démultiplié les moyens de communication, on a beaucoup plus d’échanges et les gens qui ne sont pas très à l’aise en souffrent plus, au quotidien.

Et en même temps, avec les nouvelles technologies, on a réduit les échanges en personne…

Ça crée un écran (c’est le cas de le dire) avec l’autre, ce qui semble protecteur. On l’a vu pendant la pandémie, car beaucoup de gens avaient moins de contacts réels et étaient cachés derrière leurs écrans et leurs masques. Ces rapports artificiels et distanciels, ça protège sur le moment, mais ça n’aide pas à se sentir plus à l’aise. On est plus vulnérable, car on a perdu l’habitude du contact et il faut réapprendre à vivre dans le réel, ce qui est difficile, mais nécessaire. Il y a des gens pour qui il est très pratique de créer de nouveaux liens par le biais de l’internet, mais il faut aller au-delà.

Lorsqu’on souffre d’anxiété sociale, quel est l’impact sur la vie quotidienne ?

Ça commence souvent tôt dans la vie, il peut y avoir des conséquences sur les études, l’école, l’université, la peur de passer des examens, de devoir être en groupe, de parler en public. Beaucoup de gens anxieux se restreignent dans leur vie. Ça peut être un frein à l’épanouissement personnel et professionnel. Des gens renoncent à une promotion, car ils savent qu’ils vont devoir diriger une équipe, parler en public ainsi que dans les réunions.

On le voit dans les statistiques que les anxieux sociaux n’ont pas le même niveau d’études ou le même profil socio-économique et professionnel qu’ils pourraient souhaiter à cause de ce frein parfois difficile à surmonter.

Antoine Pelissolo, psychiatre

Est-ce qu’on en parle plus ouvertement de l’anxiété sociale ?

Oui, mais pas beaucoup par rapport à l’ampleur de l’anxiété sociale dans notre société. C’est bien que certains en parlent. Il y a eu récemment Naomi Osaka et Simone Biles, mais c’est encore tabou. Un des motifs principaux des anxieux sociaux, c’est le fait qu’on sache qu’ils en souffrent, car c’est vécu comme un tabou. Dans notre société, il y a un besoin de performance et d’image de perfection omniprésent. Le culte de l’image avec les réseaux sociaux, c’est difficile pour ceux qui souffrent d’anxiété et de phobie sociale. On doit pouvoir montrer qu’on a des moments de fragilité et de sensibilité, on doit être plus ouverts, être moins dans le jugement, car on a tendance parfois à se moquer des gens qui rougissent. Il suffit d’une remarque une fois et on peut être marqué à vie ou presque par une scène vécue de rougissement. C’est très banal de rougir, mais dès qu’on refuse de rougir, car c’est perçu comme un signe de faiblesse, ça peut devenir une obsession pour certaines personnes. On appelle l’éreutophobie la peur de rougir en public, qui peut être une source de handicap.

Comment traite-t-on l’anxiété sociale ?

Par l’action. On essaie petit à petit de supprimer tous les évitements qu’on peut faire au quotidien. Le problème, c’est qu’on n’en a pas toujours conscience. Ça peut être la peur de poser une question, de regarder les gens dans les yeux, d’exprimer une opinion. L’exposition au regard des autres permet de faire baisser la peur. Petit à petit, on va gagner la confiance en soi, on va perdre nos réflexes d’appréhension, ce qui permettra d’améliorer sa qualité de vie. On va rencontrer plus de personnes, se faire des amis, sortir davantage, être plus à l’aise socialement. Le but n’est pas de devenir extraverti, mais de gagner en liberté de choix et d’action. Pour ça, il faut sortir de sa zone de confort, par étapes, doucement, mais dans la durée. Le plus efficace, c’est la psychothérapie. Il faut s’exposer au regard des autres, dans la bienveillance, et apprendre à changer l’image qu’on a de soi-même.

La nouvelle peur des autres

La nouvelle peur des autres

Éditions Odile Jacob

416 pages