Profitant d’un temps radieux, La Presse est allée à la rencontre des jardiniers urbains. Débutants ou chevronnés, souvent passionnés, ces amoureux de verdure étirent la belle saison dans un potager communautaire au cœur de la métropole. Ils entretiennent avec leur petit bout de nature en ville une relation qui s’étend bien au-delà d’un intérêt pour les plantes…

Geek de jardinage

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Christine, jardinière passionnée

Christine est férue de jardinage. « Posez-moi une question et je pourrai vous en parler pendant des heures », prévient-elle. L’année dernière, elle a hérité d’une parcelle de 100 pi2 dans un jardin communautaire à deux pas de chez elle. Y poussent une variété de légumes et de fleurs dans ce qui pourrait être interprété par l’amateur comme un sympathique chaos. Il n’en est rien, car chaque spécimen y est pour une raison.

Des restes d’oignons germés et des têtes d’échalotes du marché ont trouvé leurs aises dans le potager de Christine. L’automne dernier, l’essai d’une toile chauffante déposée sur le terreau a permis d’obtenir d’étonnants résultats au printemps. « J’ai semé dès avril et ç’a levé en fou ! », nous signale-t-elle avec enthousiasme. Même que certains spécimens ont résisté à l’hiver et sont maintenant en fleurs. Cette carotte gigantesque, par exemple. « C’est une robuste. Je la laisse pousser pour récolter ses graines. » Devenir sa propre semencière fait d’ailleurs partie de ses projets.

« La saison dernière, je l’ai mangé, mon potager ! Et j’ai rempli mon congélateur. À la fin de l’été, je donnais mes récoltes parce que plus rien n’entrait. Maintenant que j’y pense, c’est peut-être la cuisine qui a fini par me mener au jardinage : la recherche de fraîcheur et le désir d’explorer d’autres saveurs… » Car chercher à tirer profit de ses récoltes invite forcément à réinventer ses plats.

« Il y a peut-être aussi un peu de paresse là-dedans, ajoute-t-elle en riant. En hiver, c’est plus facile d’ouvrir mon congélateur que de marcher à l’épicerie à - 30 °C pour aller chercher du brocoli ! » Paresseuse ? On n’en croit pas un mot. « C’est une paresse active, on s’entend ! »

Dans le jardin de Christine
  • Christine a récupéré ce tuyau dans lequel elle fait pousser des plantes trop entreprenantes comme l’origan et le fraisier.

    PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

    Christine a récupéré ce tuyau dans lequel elle fait pousser des plantes trop entreprenantes comme l’origan et le fraisier.

  • La jardinière aime avoir un bouquet de fleurs en tout temps sur sa table à manger et s’en compose avec des calendulas, des cosmos ou des fleurs de fines herbes et de légumes.

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    La jardinière aime avoir un bouquet de fleurs en tout temps sur sa table à manger et s’en compose avec des calendulas, des cosmos ou des fleurs de fines herbes et de légumes.

  • Des bouts d’oignons du marché ont trouvé leur compte au potager.

    PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

    Des bouts d’oignons du marché ont trouvé leur compte au potager.

  • « La tomate “Prince noir”, c’est ma tomate ! Elle n’est pas trop grosse et il y en a beaucoup tout le temps et longtemps. »

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    « La tomate “Prince noir”, c’est ma tomate ! Elle n’est pas trop grosse et il y en a beaucoup tout le temps et longtemps. »

  • Dans le cadre d’une série sur les jardins communautaires, portraits de jardiniers et de leurs jardins. Tomate du jardin de Christine.

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    Dans le cadre d’une série sur les jardins communautaires, portraits de jardiniers et de leurs jardins. Tomate du jardin de Christine.

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Revenir aux sources

Initiée au jardinage à la campagne, où elle a grandi, Christine a mis cet intérêt en veilleuse pendant quelques décennies en déménageant en ville pour un travail en génétique moléculaire et en devenant mère. « Je n’avais pas le temps de jardiner jusqu’à ce que je perde mon emploi à 50 ans. »

Quand ça s’est produit, je me suis posé la question : qu’est-ce que je veux faire du reste de ma vie ?

Christine, jardinière passionnée

Elle s’est inscrite au DEP en horticulture de l’école du Jardin botanique. Diplôme en poche et chercheuse dans l’âme, elle a exploré différents métiers de l’horticulture pour gagner du temps et accumuler le plus efficacement un savoir. Et maintenant ? À 57 ans, elle souhaite être meilleure uniquement pour son plaisir. « Le jardinage, ça me stimule intellectuellement, explique-t-elle. C’est sans fin ! Tu ne peux jamais te reposer sur tes connaissances. C’est la beauté de la chose : le jardinage crée sans cesse des surprises ! »

Coup de cœur horticole

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La calendula

La calendula a bien des qualités, mentionne Christine : elle attire les pollinisateurs, fait de beaux bouquets de fleurs et des tisanes. « Et quand elle est trop grosse, je l’arrache pour en faire de l’engrais. »

Retrouver l’émerveillement de l’enfance

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Khalida Ammi

Khalida Ammi revient d’un voyage à l’étranger : trois semaines pendant lesquelles ses courgettes sont devenues énormes et nombreuses. « Je me suis ennuyée de mon jardin durant mes vacances. Là, regarde ! Je vois un bourdon qui butine mes petits pois ! C’est l’fun… », déclare-t-elle avec affection en pointant la délicatesse du spectacle. Voir de beaux jardins, ça m’a donné envie de jardiner. Mais je ne savais pas que j’aimerais ça autant ! »

Cette parcelle de terre, elle a patienté sept ans pour l’avoir. L’année dernière, elle a obtenu un espace dans un coin mi-ombragé de son jardin communautaire. Y poussent des mûriers, des framboisiers et des fleurs vivaces. L’hiver dernier, sachant qu’elle aurait un espace en plein soleil cet été, elle a transformé son bureau en serre et préféré travailler de sa cuisine pour réserver à ses semis l’endroit le plus ensoleillé de son logement.

« Je sais pas… C’est juste un plaisir ! Tu te lèves le matin et tu vas regarder tes plantes pour constater que certaines ont poussé de deux pouces ! décrit-elle avant de faire une pause. On est bien à Montréal. On a tellement d’espaces verts et de parcs tout autour dans les quartiers. C’est un contact avec la nature qui est formidable. On compare et on se dit qu’on est chanceux d’être ici. »

Khalida a grandi à Alger. Il y a 15 ans, elle immigrait au Québec.

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Le jardin de Khalida Ammi

On n’était pas des jardineux, chez nous, mais dans la région de Kabylie, d’où viennent mes parents, la culture du jardinage était forte.

Khalida Ammi

Sa sœur Malika, immigrée depuis un an, acquiesce. Quand elles étaient enfants, les vacances d’été dans le patelin natal s’accompagnaient de cueillettes de figues au champ.

« On prenait des contenants avec de l’eau fraîche et on les rinçait pour pouvoir les manger tout de suite, se souviennent les deux sœurs avec une douce nostalgie. Comme on a grandi en ville, ces images nous ont marquées. »

Malheureusement, les figues ne poussent pas au Québec. Dans le jardin de Khalida, il y a en revanche des tomates, des concombres, de l’ail, des piments, des aubergines, des betteraves… Et puis beaucoup de fines herbes — du thym et de la menthe qu’elle affectionne particulièrement — et des gourganes. Elle visite ce petit coin de verdure assidûment. « Quand il fait beau, c’est jour de visite au potager. S’il pleut, c’est congé. C’est un tout autre rapport à la météo et à la nature, note-t-elle avant de se remettre au travail. Me mettre les mains dans la terre, ça m’a manqué ! »

Coups de cœur horticoles 

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Courgette jaune du jardin de Khalida Ammi

Ses courgettes sont des championnes, selon elle. L’année dernière, elles ont même poussé à l’ombre. Ses haricots la surprennent sans cesse : ils sont généreux, ce qui n’est pas le cas de ses aubergines. « J’apprends de mes erreurs ! »

Jardiner en symbiose

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Bruno Lamoureux

C’est par la bande que Bruno Lamoureux a pu s’immiscer dans le jardin communautaire où il est venu égrainer sa matinée du samedi. Son amie, partie pour l’été en Italie, lui a confié ce coin de verdure dans lequel il s’approvisionne avec joie ces jours-ci. Sa récolte du jour est composée de courgettes, d’aubergines, de haricots, de laitue et d’oseille, une verdure qu’il a découverte au fil de ses visites.

« Tu connais ça ? C’est surprenant. Un peu acide. » Et puis il y a cette plante dont le nom lui échappe, qui ajoute un « je ne sais quoi » d’un peu gélatineux, d’un peu suret et de très intéressant aux salades : de l’orpin, observe-t-on parmi d’autres plantes sauvages.

Dans le jardin de Bruno
  • Quelques fleurs sauvages du jardin de Bruno Lamoureux

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    Quelques fleurs sauvages du jardin de Bruno Lamoureux

  • Les fleurs abondent dans le jardin dont s’occupe Bruno Lamoureux

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    Les fleurs abondent dans le jardin dont s’occupe Bruno Lamoureux

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Son amie, dit-il, s’y connaît en jardinage. Dans son potager, les fleurs de toutes sortes — souci, calendula et lavande — côtoient de près les légumes et aromates : tout est optimisé. Les fleurs attirent les insectes pollinisateurs, qui butinent les plantes potagères, qui font donc plus de légumes, explique-t-il. Un cercle vertueux, il est vrai.

Bruno est sur la liste d’attente depuis des années pour avoir un potager digne de ses ambitions, mais le roulement est faible, déplore-t-il. En attendant, il jardine dans son carré de cour où les conditions ne sont pas idéales.

On est à Montréal. Il faut se modérer, mais si j’étais à la campagne, j’aurais un gros jardin où je pourrais mettre 20 plants d’aubergine et où ce ne serait pas grave d’en avoir trop !

Bruno Lamoureux

Il y aurait un peu moins de fleurs qu’ici, imagine-t-il, plus de légumes : plusieurs sortes de piments forts, du chou, du kale… « Des trucs qui se mangent. Chez moi, j’ai deux aubergines dans une saison. Ça devient précieux ! » Si ses enfants ont le malheur de gaspiller un aliment, la riposte ne se fait pas attendre : « Tu sais pas le travail qu’y a là-dedans ! », plaisante-t-il en reconstituant la scène.

Bruno Lamoureux est directeur artistique dans une maison d’édition et musicien à ses heures. « En édition, tu travailles sur un projet pendant quatre mois et tu as l’impression que rien ne se passe. Le jardinage vient avec un résultat immédiat. Ça me ramène à la base. » En bon épicurien, il aime cuisiner et trouve une satisfaction au fait d’économiser.

« C’est difficile de concevoir qu’à une époque, ils faisaient des allées de 80 choux qu’ils gardaient pendant tout l’hiver. » Un jour, il pourra peut-être faire de même et se mettre au cannage… « C’est sûr que quand tu comptes là-dessus pour te nourrir, ça devient un travail, songe-t-il. Reste que la ville, on l’aime bien, aussi… L’idéal, finalement, c’est peut-être d’avoir un pied-à-terre en campagne et ici ! »

Coup de cœur au potager 

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Orpin du jardin de Bruno Lamoureux

La livèche a un goût puissant de céleri. « J’en ai hérité chez moi, l’année dernière. Au mois de juin, c’était gros de même ! J’en ai fait un pesto en le substituant au basilic. C’est super bon ! Même les enfants en ont mangé », dit-il en soulignant cette petite victoire. L’orpin est une autre découverte surprenante.

Glaner de petits instants de bonheur

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Lise Couillard dans son jardin

C’est en passant jour après jour devant le jardin communautaire de son quartier que l’intérêt pour le jardinage a commencé à faire son chemin dans les projets de Lise Couillard. « Ça n’est pas comme si j’avais déjà eu l’ambition d’avoir un potager avant, mais c’était inspirant. »

« Je me disais que ça pourrait me faire un petit havre de paix en ville », explique Lise Couillard en énumérant les retombées : le jardinage est un moment passé dans un îlot de fraîcheur – une belle parenthèse dans la vie d’un quartier urbain comme le Plateau-Mont-Royal.

« Et puis, j’ai accès à des produits frais ! On s’entend, ce n’est pas comme si je visais une autonomie alimentaire. Je suis loin d’être une jardinière expérimentée », précise-t-elle en observant son potager, bien ordonné. « Ah, tu trouves ? Moi, j’ai l’impression qu’il est plutôt en bordel ! »

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Papillon en visite au jardin communautaire fréquenté par Lise Couillard

L’année dernière, Lise a tout de même récolté tellement de tomates qu’elle a dû user de créativité pour les apprêter. « J’ai fait des tartes aux tomates, des sauces, des tians, des tomates confites… » Et des réserves ? La place manque pour stocker les surplus, répond-elle. En revanche, bien des amis ont pu s’en réjouir et profiter de ses récoltes.

Cet été, la traductrice a décidé de s’impliquer dans le comité de compost de son jardin communautaire, une contribution qui s’accompagne de rencontres sympathiques. « Souvent, ce sont des gens pour qui l’environnement est important et qui sont engagés socialement. »

« Quand je jardine, je ne suis pas devant mon ordinateur. Ça me fait décrocher, c’est clair ! Parfois, je viens faire des petits tours rapides, juste pour voir. J’étais contente tantôt parce que mes fleurs de capucines sont sorties et que mes tomates se mettent à mûrir ! Le jardinage, c’est des surprises à chaque visite, dit-elle avec un sourire. C’est des petits instants de bonheur ! »

Coups de cœur au potager

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Tomate du jardin de Lise Couillard

Une grande partie du potager de Lise Couillard est consacrée aux tomates, qu’elle affectionne. L’automne dernier, elle a aussi planté de l’ail dont elle récolte maintenant les fruits : « Ça n’a rien à voir avec de l’ail de Chine, je te le dis ! »