Septembre 1976. La 28e édition de la Foire du livre de Francfort tire à sa fin. Dans un hôtel de la ville, John G. H. Halstead, ambassadeur du Canada à Bonn, en Allemagne de l’Ouest, réunit les membres de la délégation canadienne et leur annonce que l’éditeur Alain Stanké publiera les mémoires de Richard Nixon. En français. Dans le monde entier.

Stupeur et étonnement. Avec une offre de 100 000 $, Stanké, 42 ans, réalise un coup fumant dans le monde de l’édition. Il a coiffé au poteau des maisons françaises de taille : Fayard, Stock, Laffont. Dans un article du Figaro, on le qualifie de « loup canadien ».

Deux ans plus tôt, le 9 août 1974, le 37e président des États-Unis avait démissionné dans la foulée du scandale du Watergate et quitté la Maison-Blanche en disgrâce.

Mais les mémoires d’un ancien président valent leur pesant d’or. Pour publier celles de Nixon en anglais, l’éditeur Warner Books Communications de New York a déboursé 2,5 millions US !

PHOTO FOUURNIE PAR BANQ

Article de La Presse du 21 septembre 1976 faisant part de la nouvelle

Bien placé

Arrivé à Montréal en 1951, Alain Stanké est journaliste, écrivain, éditeur. Il fonde les Éditions La Presse en 1971 et les Éditions internationales Alain Stanké en 1975.

« J’avais des antennes New York, Paris et Montréal, raconte-t-il au bout du fil. Howard Kaminsky, de Warner Books Communications, m’a fait venir à New York et m’a demandé de mener une recherche auprès d’éditeurs français pour savoir qui serait le mieux placé pour publier les mémoires de Nixon en français et combien il paierait. Je suis parti en France. J’ai fait une liste des maisons les plus intéressées. Et j’ai ajouté mon nom. »

À Francfort, Irving Paul Lazar, célèbre agent d’artistes américain surnommé Swifty, mène l’enchère. « Au bout de quatre jours, nous en étions à 45 000 $, dit Stanké. J’ai joué le tout pour le tout. J’ai offert 100 000 $. On m’a dit : Alain, you’ve got a deal. »

Stanké, le « loup canadien », rentre à Montréal et va voir son directeur de banque. « Il m’a accueilli dans son bureau avec toutes les coupures de journaux, raconte en riant l’éditeur. Je lui ai dit : “Maintenant, trouve-moi les 100 000 $.” Parce que je ne les avais pas. »

Des plombiers à Louiseville

Envers et contre tous, Alain Stanké noue une longue relation avec Nixon. Il va souvent rencontrer l’ancien président dans sa maison de San Clemente, en Californie.

Il [Richard Nixon] me disait de ne pas marcher sur le gazon, car il y avait des détecteurs partout ! Il avait dans sa chambre une petite bibliothèque de livres western qu’il adorait.

Alain Stanké

Simplement intitulé Mémoires, l’ouvrage sort à l’automne 1978. L’éditeur montréalais et le président déchu inventent des codes pour éviter le piratage « par les gars du Washington Post ». « Le livre était entre autres imprimé à l’Imprimerie Gagné de Louiseville et ils ont envoyé des plombiers dans l’espoir de mettre la main dessus », assure l’ancien éditeur.

PHOTO BRUNO DESROSIERS, FOURNIE PAR ALAIN STANKÉ

Alain Stanké

La collaboration entre les deux hommes ne s’arrête pas là. Nixon accorde sa première entrevue à un média écrit, le Figaro Magazine, sous la plume de Stanké (l’entrevue avec David Frost s’est faite à la télévision). Ils se retrouvent ensuite à l’émission Les dossiers de l’écran animée par Armand Jammot sur Antenne 2.

« Pour accorder cette entrevue, Nixon a dit oui à la condition que nous puissions prendre le Concorde. Il a demandé un cachet de 25 000 $ pour acheter des cadeaux à ses petits-enfants. »

M. Stanké reconnaît que Nixon « a fait une grande connerie », mais le décrit comme un « homme comme un autre » et surtout « parti de loin », contrairement à Kennedy, né au sein d’une famille à l’aise.

Les deux hommes se sont parlé une dernière fois peu avant la mort de Nixon. « Il m’envoyait toujours des choses qu’il écrivait, dit M. Stanké. J’avais une belle relation avec lui. Il était extrêmement courtois. »

Le 24 avril 1994, deux jours après la mort de Nixon, Stanké publie un long article consacré à Nixon à la une de La Presse. Son titre : « Nixon : la force d’un rescapé ».