Bien qu’ils ne soient plus tenus de porter le masque lorsqu’ils sont assis en classe, des adolescents décident de le garder quand même. Ça peut paraître surprenant… mais ce ne l’est pas tant que ça, estiment des experts, qui y voient là l’effet de l’habitude et, pour certains adolescents, le reflet d’une anxiété. Explications.

L’assouplissement est en vigueur au Québec depuis le retour de la semaine de relâche. Les élèves du primaire et du secondaire continuent à recevoir un masque bleu tous les matins (ils doivent le mettre dans les aires communes et lors de leurs déplacements), mais lorsqu’ils sont à leur bureau, en classe, leur visage peut enfin respirer.

Ça, c’est la théorie. En pratique, des élèves continuent de porter le masque, a pu constater La Presse en s’informant auprès d’adolescents, de parents et d’intervenants scolaires. Dans certains milieux, c’est une partie des élèves qui le gardent. Dans d’autres, c’est la vaste majorité d’entre eux qui continuent à suivre leurs cours masqués.

Quand Noshin Haque regarde autour d’elle, en classe, elle voit surtout des élèves masqués. Règle générale, elle le garde elle aussi.

« Je suis tellement habituée à voir tout le monde le porter que si je l’enlève, j’ai l’impression de faire quelque chose de mal, explique la souriante Lavalloise de 16 ans. Parfois aussi, je préfère le garder parce que j’ai peur que les gens autour de moi pensent que je me crois meilleure que tout le monde si je l’enlève. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Lauren Elhage et Noshin Haque

« Moi, je l’enlève quand je me souviens que je peux l’enlever », indique son amie Lauren Elhage, 16 ans, elle aussi résolument habituée à le porter.

Lauren et Noshin avaient 14 ans quand la pandémie de COVID-19 a éclaté. Quelques mois plus tard, en octobre 2020, le masque devenait obligatoire à l’école secondaire. L’an dernier, rappelle Noshin, les adolescents ne montraient leur visage qu’à l’heure du dîner. C’était presque bizarre, dit-elle, de se voir sans masque.

Quand on lui dit qu’elle est belle, Noshin Haque en vient à se demander si on la complimenterait quand même si elle n’avait pas de masque. « Est-ce qu’ils me disent ça parce qu’ils voient juste mes yeux ? », se questionne-t-elle, aussitôt rassurée par Lauren.

Pour Lauren Elhage, le port du masque dépasse le cadre de l’habitude.

Avec le masque, on te donne le choix de cacher une partie de ton visage. Et le secondaire, c’est un endroit où tout le monde te colle des étiquettes.

Lauren Elhage

« On peut voir dans le masque la possibilité d’être jugé sur moins de choses », résume Lauren, qui donne l’exemple de l’acné, ou encore des nez courbés comme le sien. « Il y a des personnes qui détestent leur nez. Elles préfèrent garder leur masque à cause de ça. »

Norme sociale

La chercheuse Roxane de la Sablonnière s’intéresse aux effets des changements sociaux sur les individus. Et comme toutes les autres intervenantes de cet article, elle n’est pas surprise que le port du masque persiste dans les écoles secondaires.

PHOTO FOURNIE PAR ROXANE DE LA SABLONNIÈRE

Roxane de la Sablonnière, psychologue

Elle y voit d’abord et avant tout une question de norme sociale. On peut s’attendre à ce que la norme change par rapport au masque, mais ce changement ne se fera peut-être pas du jour au lendemain, dit-elle. « Les jeunes sont habitués à le porter, et ils sont habitués à voir les autres le faire », note Mme de la Sablonnière, selon qui il ne faut pas sous-estimer l’influence que les autres ont sur nous.

Voilà deux ans qu’on a l’impression qu’un risque plane au-dessus de nos têtes, et qu’en ne portant pas de masque, on se met à risque et on met à risque les autres, note la psychologue Nathalie Parent. « Rien n’a vraiment été fait pour désamorcer cet apprentissage », fait-elle remarquer.

La psychologue Cynthia Turcotte croit elle aussi que le lien « masque = sécurité » est encore très fort dans la tête des ados. D’autant que le virus circule encore, et que des experts croient qu’il est encore tôt pour cesser de se couvrir le visage en public.

Le masque est peut-être aussi vu comme un rappel qu’on peut interagir en sécurité, qu’on peut s’approcher de ses amis en sécurité.

Cynthia Turcotte, psychologue

Et leurs amitiés de la dernière année et demie, les ados les ont forgées… avec un masque. « C’est comme si le cerveau décode qu’en relation, ça prend un masque », résume la psychologue Nathalie Parent.

Inconfort et anxiété

Laura Sweeney, qui vit sur la Rive-Sud de Montréal, garde son masque toute la journée à l’école. Et lorsqu’elle dit « toute la journée », c’est toute la journée : elle porte pour le cours d’éducation physique, parfois même en mangeant.

« C’est plus confortable ainsi, résume l’adolescente de 14 ans. Je n’ai pas à me soucier du fait que les gens me regardent. »

Les jeunes se font parfois pousser les cheveux pour cacher leur visage. D’autres ne portent que des vêtements qui couvrent entièrement leur corps. La psychologue Nathalie Parent ne serait pas surprise que, pour certains ados sujets à l’anxiété sociale, le masque devienne aussi une façon de se cacher.

Et à l’adolescence, dit-elle, un petit détail ou une petite imperfection peut prendre beaucoup de place, peut même en venir à les définir.

La peur d’avoir honte, c’est très présent chez les adolescents. Il y en a plusieurs qui veulent se fondre dans la masse, passer inaperçus.

Nathalie Parent, psychologue

Tôt ou tard, les adolescents devront enlever leur masque. Tôt ou tard, ils devront dévoiler leur visage aux autres élèves. « Et plus on fuit ce qui fait peur, plus l’anxiété s’installe », rappelle Nathalie Parent, qui conseille aux parents d’adolescents qui n’enlèvent pas leurs masques en classe d’aborder la question avec eux, sans jugement, pour comprendre ce qui les motive.

Mais pour le moment, il est encore bien tôt pour tirer la conclusion qu’un adolescent qui porte encore le masque en classe souffre d’un trouble anxieux. La situation épidémiologique demeure incertaine (après tout, les enseignants le portent encore !) et le sentiment d’appartenance peut expliquer bien des choses, rappelle la psychologue Cynthia Turcotte. À l’école secondaire privée que fréquente la Montréalaise Flavie Boudreau, les élèves portent encore le masque en classe… mais sous leur nez, constate l’adolescente de 15 ans.

« Quand le masque ne sera plus obligatoire pour le grand public, on va peut-être observer un changement de la norme », prédit la chercheuse Roxane de la Sablonnière. Et même une fille comme Laura Sweeney, qui voit mal le jour où elle se sentira à l’aise sans masque, pourrait vite décider de l’enlever si elle est la seule à le porter.