Un homme se porte à la défense de sa femme… en giflant un autre homme. Will Smith s’est attribué le rôle du « sauveur » prêt à tout pour sa famille. L’acteur a présenté ses excuses à Chris Rock, mais son geste met en lumière cette image de protecteur souvent accolée aux hommes. Le choix des moyens pour y parvenir doit toutefois évoluer, estiment les experts consultés par La Presse.

Dans les films d’action ou même dans les contes pour enfants, l’homme est souvent représenté comme un être fort qui doit protéger sa famille. « Le prince charmant qui vient sauver sa dulcinée, ça demeure un modèle qui, malheureusement, est encore très présent », souligne Gilles Tremblay, professeur retraité de l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval.

Selon lui, ce modèle traditionnel de l’homme « craque d’un peu partout » avec toutes les avancées en matière d’égalité des sexes. « Mais il est encore extrêmement présent », affirme celui qui est aussi le responsable du Pôle d’expertise et de recherche en santé et bien-être des hommes.

Une attitude chevaleresque à laquelle s’attendent certaines femmes, croit Philippe Roy, professeur à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke.

« Il y a peut-être des gars qui s’empêchent de reconnaître leurs émotions et de les vivre parce qu’ils se disent : “Je ne veux pas décevoir ma conjointe qui s’attend à ce que je sois inébranlable”. […] Ces attentes-là perdurent. »

Violence injustifiable

Se porter à la défense de celle qu’on aime : geste vieux jeu ou attention louable ? La réponse, qui variera pour chacun, n’est pas très importante. « Le fait que Will Smith se soit porté à la défense de sa femme, ce n’est pas ça qui est inadéquat. C’est le fait qu’il ait utilisé la violence pour le faire qui l’est », résume Sabrina Nadeau, directrice générale d’À cœur d’homme, réseau qui regroupe 31 organismes venant en aide aux hommes aux prises avec des comportements violents.

Couronné meilleur acteur quelques minutes après l’évènement avec Chris Rock, dimanche, Will Smith a commencé son discours de remerciement en affirmant que Richard Williams, entraîneur de tennis auquel il prête ses traits dans le film King Richard, « était un grand défenseur de sa famille ». Il a ensuite répété, à quelques reprises, que lui-même protégeait sa famille et les gens qu’il aime. Dans son autobiographie, parue en novembre dernier, il dit par ailleurs regretter de ne pas avoir défendu sa mère contre son père violent lorsqu’il était jeune.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Sabrina Nadeau, directrice générale d’À cœur d’homme

Dans le cycle de la violence, il est exactement dans la justification. C’est de rationaliser un comportement qui n’est absolument pas rationnel pour être capable de se regarder dans le miroir après ou de ne pas se faire lyncher par les autres.

Sabrina Nadeau, directrice générale d’À cœur d’homme

« Non, il n’y a pas de justification possible. Il y a toujours d’autres moyens que la violence. » L’acteur a d’ailleurs déclaré lui-même lundi que « la violence sous toutes ses formes est toxique et destructrice ».

La gifle de l’acteur, « c’est une voie de fait », constate Philippe Roy. « C’est un scénario de vengeance. »

« Will Smith peut avoir été blessé profondément. C’est important de le reconnaître. Maintenant, il faut aussi reconnaître que c’est une façon très inappropriée de réagir », poursuit le professeur de l’Université de Sherbrooke.

Message coup de poing

Justement, qu’aurait pu faire Will Smith à la suite de cette blague sur les cheveux de sa femme, Jada Pinkett Smith ? « Il aurait pu monter sur la scène pour dire : “C’est une blague qui est vraiment inacceptable. Tu n’as pas idée à quel point cette blague-là me blesse profondément” », explique Philippe Roy. Il croit que Chris Rock, qui, selon lui, a aussi été violent en faisant une blague blessante, en serait resté bouche bée.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Philippe Roy, professeur à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke

« Ça aurait probablement eu plus d’impact que la gifle », abonde Gilles Tremblay.

Or, cette solution implique de parler de ses émotions, une chose encore difficile pour certains hommes, admet le professeur retraité. Surtout chez les 55 ans et plus, affirme-t-il, données à l’appui.

Sur le terrain, Nycolas Renault, directeur général d’Avif, organisme qui vient en aide aux hommes violents ou en difficulté de la Montérégie, constate que chez de nombreux hommes, le spectre des émotions exprimées est limité.

« Je ne dis pas que c’est le cas de tous les hommes, mais ceux qui sont un peu plus traditionnels ont plus de difficulté.

« On dirait que toutes les émotions négatives ou inconfortables, que ce soit la peur, la tristesse, la honte, la culpabilité, les hommes vont avoir plus tendance à sortir ça en colère au lieu de prendre le temps de reconnaître ce qu’ils vivent », poursuit-il.

« Ce n’est pas la colère, le problème, c’est ce qu’on en fait », soutient toutefois Nycolas Renault.

Un sauveur ?

Quel message envoie la gifle de Will Smith ? « Le message va dépendre de la réponse des pairs, répond Sabrina Nadeau, d’À cœur d’homme. Si le geste reste tel que tel, que tout le monde l’accepte et que personne ne dit rien, à ce moment-là, ça va avoir l’effet d’encourager les gens à utiliser la violence pour régler leurs problèmes. Il va passer pour le sauveur de sa blonde. »

Si, au contraire, le geste est condamné publiquement, comme l’ont fait différentes personnalités lundi, « ça peut avoir un effet positif », croit-elle. « Ça ouvre la discussion. »

Elle remarque d’ailleurs une évolution à ce sujet au Québec.

« Il y a de moins en moins de glorification de la violence, bien qu’il y ait encore des milieux où c’est le cas. Depuis le mouvement #moiaussi surtout, il y a de plus en plus d’hommes qui se questionnent sur leur comportement. Ils ont aussi moins tendance à cautionner les comportements violents de leurs collègues ou de leurs amis. Ça porte ses fruits. »