Notre QI est-il rigide ou élastique ?

Qu’est-ce que l’intelligence, au fait ? Grande question s’il en est. Posez-la autour de vous : bonne chance pour trouver un consensus. Les connaissances ? Le succès scolaire ? Le talent artistique ? Tout cela à la fois ? Quelques réflexions pour y voir plus clair (ou vous mêler davantage…).

Peu de consensus

Le Larousse à lui seul propose pas moins de cinq définitions de l’intelligence, toutes plus abstraites les unes que les autres, allant de la fonction mentale à la capacité, en passant par l’aptitude et la qualité, conjuguant maîtrise, esprit, discernement, perspicacité et compréhension, alouette. Vous êtes déjà perdu ? Normal. En fait, même les chercheurs ont du mal à s’entendre. Et selon leurs disciplines, les visions varient, et ce, depuis des décennies. Pour cause : l’affaire est effectivement abstraite, et en prime culturelle.

En trois citations (pour embrouiller les choses un peu plus !)

On mesure l’intelligence d’un individu à la qualité d’incertitudes qu’il est capable de supporter.

Emmanuel Kant

La raison, c’est l’intelligence en exercice, l’imagination, c’est l’intelligence en érection.

Victor Hugo

L’intelligence, ce n’est pas la capacité de stocker des informations, mais de savoir où les trouver.

Einstein

Pour vulgariser

En gros, faute de consensus, osons une définition de notre cru (aussi large que floue, certes fonctionnaliste, mais qui a le mérite de faire plus ou moins consensus auprès des experts – éthicien, psychologue et neuropsy – ici consultés) :

L’intelligence serait la capacité à résoudre un problème (complexe et nouveau) donné.

Tout bête (!), finalement ? L’intelligence n’est donc pas un agrégat de connaissances (vraies et justifiées), mais plutôt une « capacité » à mobiliser lesdites connaissances (usant au passage du subtil art de s’adapter), pour répondre à un problème (complexe et nouveau) donné. Bref : générer des solutions. Vous suivez toujours ? Ah oui, et cela implique souvent une notion de créativité, aussi.

La psychométrie pour y voir clair

On attribue à Alfred Binet (l’inventeur de la psychométrie, des tests de quotient intellectuel [QI], etc.) cette boutade : « L’intelligence, c’est ce que mes tests mesurent ! » D’ailleurs, ces fameux tests ont d’abord été inventés dans l’objectif de rendre la chose (aussi abstraite soit-elle) objective, par des observations empiriques. Le test de QI est un peu à l’intelligence ce que le thermomètre est à la température, si on veut : il quantifie l’intelligence. Comment ? En évaluant certaines habiletés scolaires (le langage, l’abstraction, le raisonnement, etc.), des éléments facilement mesurables, faut-il le souligner. À l’origine, ces questionnaires ont d’ailleurs été utilisés en milieu scolaire, pour dépister les enfants en difficulté, qui auraient des besoins particuliers.

Mise en garde

Si l’envie vous prend de faire un tel test en ligne (et les offres ne manquent pas !), résistez : « Non, non, non ! martèle Isabelle Blanchette, psychologue à l’Université Laval, spécialiste de la cognition. Une vraie mesure de QI prend énormément de temps, doit être faite par un professionnel, et interpréter le résultat est extrêmement complexe. » Oubliez l’idée de savoir si vous êtes surdoué en cinq minutes, quoi.

Une ou des intelligences ?

D’ailleurs, comme tous les outils, aussi « éprouvés scientifiquement » soient-ils, ces tests psychométriques ne sont pas parfaits et ils ne font pas non plus l’unanimité. Pourquoi ? Notamment parce qu’ils se concentrent exclusivement sur l’intelligence « académique », mettant ce faisant au rancart tout ce qui relève des arts, des relations humaines, de la nature, etc. (des notions certes difficilement mesurables, nous y reviendrons). D’où l’idée, dans les années 1980, avec un certain Howard Gardner, de considérer non pas l’intelligence au singulier, mais plutôt les intelligences au pluriel (typiquement, huit intelligences : musicale, spatiale, environnementale, kinesthésique, etc.). Sa théorie des intelligences multiples a beaucoup séduit la culture populaire et le monde de l’éducation, puisqu’elle a permis de valoriser ici les élèves dans tout leur potentiel.

Pas de consensus à nouveau

Seulement voilà : est-ce que ce sont là des « intelligences » au sens strict, ou plutôt des talents ? « Ce sont des compétences hyper riches, avance Élodie Authier, neuropsychologue et spécialiste de la douance, mais ça ne peut pas nécessairement s’évaluer. On n’a pas les outils. On n’a jamais été capable de prouver le fondement théorique et neurocognitif de ces intelligences. » Bref, scientifiquement, la théorie des intelligences multiples ne tient pas la route, puisque celles-ci (qu’il s’agisse des habiletés musicales ou interpersonnelles) ne peuvent pas être mesurées de manière robuste et fiable.

Et l’intelligence émotionnelle, alors ?

La notion d’intelligence émotionnelle, popularisée dans les années 1990 par le journaliste scientifique et auteur Daniel Goleman, comporte plus ou moins les mêmes lacunes. Défini comme la qualité de percevoir, saisir, comprendre et gérer les émotions (de soi et des autres), ce concept, aussi séduisant soit-il (s’apparentant plutôt à un trait de personnalité, et non une intelligence, soulignent d’ailleurs les sceptiques), prétendument plus important que le QI pour prédire la réussite professionnelle, ne passe pas davantage le test de la rigueur scientifique. « C’est très complexe parce qu’on parle d’émotions, poursuit la neuropsychologue. Sur le plan scientifique, on ne peut pas l’évaluer. »

La question de l’hérédité

Pour en revenir à l’intelligence avec un grand I, est-ce héréditaire ? Ça se nourrit ? Oui, en partie, et oui, en partie. « On dit que c’est 40 % d’hérédité et 60 % d’environnement, poursuit Élodie Authier. Ce sont de gros chiffres, mais c’est comme ça qu’on essaie de résumer. » Ce qui est une excellente nouvelle, en ce sens que oui, la stimulation et l’éducation peuvent jouer sur le QI. Mais pas à très court terme, à coup de formations accélérées (de type « quick fix »), nuance la psychologue Isabelle Blanchette, de l’Université Laval. Sachez-le : vous pouvez certes augmenter votre capacité à répondre à un test de QI (grâce aux multiples astuces et autres trucs offerts en ligne, par exemple), mais de là à dire que vous serez plus intelligent, « ce n’est pas la même affaire… »

Et l’intelligence artificielle, est-ce vraiment une intelligence ?

Un article fascinant du magazine Sciences humaines s’est posé la question. Réponse ? Si les neurosciences ont permis d’estimer à 86 milliards le nombre de neurones dans le cerveau humain (et 1 million de milliards de connexions), celui d’Intel, un des cerveaux numériques les plus puissants du monde, n’en compte en revanche que 100 millions. L’équivalent du cerveau d’un rat. Un rat très bon pour jouer aux échecs, par exemple, mais moins pour transférer ses connaissances d’un domaine à un autre. De là à dire que ce cerveau artificiel n’est pas intelligent, il y a un pas. Car encore une fois, tout dépend de la manière dont on définit l’intelligence. « Mais si on reste sur la définition initiale : la capacité à résoudre un problème complexe, alors oui [l’intelligence artificielle est une intelligence], conclut en riant Martin Gibert, philosophe et chercheur en éthique de l’intelligence artificielle. C’est compliqué ! On n’en a pas fait le tour ! »