Alors que le manque de psychologues rend l’accès à des services individuels difficile, un projet d’intervention communautaire propose « une solution collective à un problème collectif » : l’impact de la pandémie sur la santé mentale d’abord des jeunes, mais aussi, éventuellement, de tous.

Dans les locaux du Carrefour jeunesse-emploi de Laval, un petit groupe de jeunes se sont réunis, non pas pour remanier leur CV ou éplucher les offres d’emploi, mais pour suivre l’un des ateliers du Projet InterCom, une initiative lancée par Roxane de la Sablonnière, chercheuse et professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal, et Caroline Lebeau, directrice de La Tournée Édu4tive, un organisme qui travaille à sensibiliser les enfants aux différences individuelles.

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Roxane de la Sablonnière, professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal, Jenny Litalien, intervenante jeunesse au CJE de Laval, et Caroline Lebeau, directrice de La Tournée Édu4tive

Alarmées par les répercussions de la pandémie sur la santé psychologique des jeunes, elles ont voulu mettre rapidement sur pied un projet d’intervention communautaire pouvant rejoindre le plus de gens possible. Selon la Coalition des psychologues du réseau public québécois, le délai d’attente pour obtenir un rendez-vous avec un psychologue dans le réseau public est de 6 à 24 mois. « On a un problème qui est collectif, alors on doit penser à des solutions collectives, croit Roxane de la Sablonnière. Chacun d’entre nous vit un drame par rapport à la pandémie et, si on a besoin d’aide, il n’y a pas assez de ressources en ce moment pour tout le monde. »

S’il ne peut remplacer une thérapie individuelle, le Projet InterCom vise néanmoins à aider les jeunes à surmonter les difficultés liées à la pandémie en s’appuyant sur la vulgarisation de données scientifiques et sur la psychologie positive. Des chercheurs et psychologues cliniciennes contribuent à son élaboration. De même que des étudiants en psychologie, des intervenants du milieu communautaire et des jeunes participants eux-mêmes.

Se valoriser avec les ateliers

Le 31 janvier dernier, au CJE de Laval, deux étudiants en psychologie à l’Université de Montréal animaient un atelier basé sur la compréhension du changement social, étape cruciale pour le développement de la résilience. En ouverture, ils demandent aux participants quel superpouvoir ils aimeraient posséder. Une façon en apparence frivole de briser la glace, mais qui ne s’avère pas sans lien avec la façon dont chacun vit la pandémie. Presque tous aimeraient détenir un pouvoir qui les amènerait loin d’ici. « Je voudrais voyager dans le temps, pour aller dans le passé et dans le futur, après la pandémie, pour voir à quoi le monde va ressembler, parce qu’on a tous hâte que ça finisse », dit Francis. « Je voudrais me téléporter pour aller voir mes amis », répond Gabrielle.

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Les ateliers sont animés par des étudiants en psychologie de l’Université de Montréal. À gauche au premier plan, Benjamin Chabot

Nous avons accepté de n’identifier les participants que par leur prénom, afin de leur permettre de s’exprimer librement lors de l’atelier. Tous sont inscrits à un programme pour les 18-29 ans qui ne sont ni aux études ni en situation d’emploi, financé par Emploi-Québec.

« Ils ont un réseau social souvent très restreint ou qui se limite à des relations en ligne, note Jenny Litalien, intervenante jeunesse au CJE de Laval. Déjà, être en petit groupe, venir ici, c’était exigeant pour certains. »

Il y a des jeunes qu’on a perdus à cause de la pandémie. Ils se sont réisolés. Parmi ceux qui étaient présents à l’atelier, il y en a pour qui la pandémie a été l’occasion de se dire : “Il faut que je bouge de là.” Pour eux, être en action, c’est ça qui allait les sauver. Et ce sont eux qui cheminent le plus.

Jenny Litalien, intervenante jeunesse au CJE de Laval

« Personnellement, la pandémie a été positive pour moi, ça m’a permis de me ressaisir », confie Karl, qui a plusieurs ateliers derrière la cravate.

Avoir pu collaborer à l’élaboration de ces ateliers les a énormément valorisés, constate Jenny Litalien.

« Ces jeunes-là, on ne les aurait pas rejoints autrement, souligne Caroline Lebeau. Ils étaient dans le sous-sol chez leurs parents, peut-être un des seuls contacts qu’ils ont, c’est d’aller au CJE. »

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En équipe, les participants sont invités à trouver les choses qui ont changé au cours de la pandémie. Les activités, l’hygiène, les relations avec les autres et l’accès aux ressources font partie des réponses données.

Les valeurs, individuelles et collectives, sont au cœur de cet atelier sur le changement social dramatique, un changement qualifié de soudain qui entraîne un bouleversement des structures sociales et une perte de repères. Réfléchir à ses valeurs est un exercice important dans un tel contexte, selon Roxane de la Sablonnière. D’autant plus pour les jeunes qui sont en pleine construction identitaire.

Être jeune, « un facteur de risque »

Selon elle, il n’y a aucun doute : les jeunes sont fortement éprouvés par la pandémie. « Les résultats dans la littérature scientifique sont assez constants. Quand on fait des analyses, que ce soit au niveau des émotions, du bien-être, de l’anxiété ou de clarté de l’identité, le fait d’être jeune, c’est toujours un facteur de risque. »

C’est pour cette raison qu’ils sont le premier public visé par ces ateliers, élaborés autour de six thèmes, qui ont été présentés une trentaine de fois depuis mai dernier, notamment dans un centre jeunesse et au CJE de Laval.

À terme, les fondatrices du projet aimeraient pouvoir l’étendre à un plus vaste public. Déjà, le volet conférence a rejoint près de 1000 personnes, à l’Université de Montréal, dans le milieu communautaire ou en entreprise. C’est aussi une répétition pour la suite. « S’il y a une autre crise, nous serons prêts », dit Roxane de la Sablonnière, qui appelle néanmoins la mise en place d’autres solutions collectives comme celle-ci et comme les équipes de sentinelles mises en place par la Dre Mélissa Généreux lors de la tragédie de Lac-Mégantic.

Consultez le site du Projet InterCom

18-29 ans

Les études sur des données longitudinales démontrent que les 18-29 ans sont plus à risque d’être touchés par de la solitude, de l’anxiété et de la dépression pendant la pandémie. Un rapport de recherche du projet « COVID-19 Canada : la fin du monde tel qu’on le connaît ? » montre pour sa part que les 18-24 ans ont éprouvé plus d’émotions négatives que tous les autres groupes d’âge entre avril et décembre 2020.

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