Altruwe, c’est le pari « un peu dingue, un peu naïf » de deux expatriés français à Montréal. C’est une application mobile, sans but lucratif, qui a pour mission d’« infuser la valeur de l’altruisme » le plus largement possible. Entrevue avec ses deux fondateurs.

L’aventure d’Altruwe a débuté lorsque le Montréalais d’adoption Jérémie Mani a lu le livre Plaidoyer pour l’altruisme, de Matthieu Ricard, un moine bouddhiste très connu en France. L’auteur y démontre la nécessité de l’altruisme – la motivation de vouloir faire le bien d’autrui – à travers ses lectures, ses expériences, sa réflexion.

« Ce qui m’a marqué, dans le livre, c’est qu’en période de vaches grasses, quand ça va bien, il y a une compétition pour avoir la plus grosse part du gâteau, raconte Jérémie Mani. Mais quand il y a une crise, les humains sont la plupart du temps solidaires, ils s’entraident pour se partager le peu qui reste. Cette deuxième vision, on l’a beaucoup moins en tête. »

Dans son livre, Matthieu Ricard écrivait aussi qu’aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on a le pouvoir de se rassembler, de créer une dynamique en ce sens.

Jérémie Mani s’est senti interpellé, lui qui a dirigé pendant longtemps une entreprise spécialisée dans la modération des contenus sur les médias sociaux. Les commentaires haineux et diffamatoires, il connaît. Mais il sait aussi que les réseaux sociaux véhiculent beaucoup de contenu positif, trop souvent noyé dans une mare de faits divers ou insignifiants.

PHOTO FOURNIE PAR ALTRUWE

Yves Delnatte et Jérémie Mani, fondateurs d’Altruwe

Il en a parlé avec son comparse Yves Delnatte, qui a lui aussi un parcours numérique, dans son cas axé sur les applications mobiles. Comme Jérémie, Yves Delnatte avait vendu son entreprise. Et comme lui, il avait envie de réinvestir son énergie, son expérience et ses ressources dans quelque chose de bien.

Jérémie Mani et Yves Delnatte ont donc investi, de leur poche, plus de 750 000 $ pour développer Altruwe, un réseau social en français, gratuit et sans but lucratif.

Positivisme et actions bienveillantes

L’objectif d’Altruwe est de rassembler sur une même plateforme des milliers, voire des millions de personnes portées vers l’altruisme. Les membres peuvent partager sur Altruwe du contenu positif qui existe déjà : des articles, des sites web, des actions bienveillantes de bénévoles sur le terrain… Et dans un deuxième temps, ils sont invités à partager le contenu d’Altruwe avec leurs proches sur leur compte Facebook, Instagram, WhatsApp, etc. « C’est l’inverse d’une ruche, illustre Jérémie Mani. Les gens viennent à la ruche piocher ce qui les intéresse et ensuite le dispersent partout. »

Les deux fondateurs assument « l’état d’esprit naïf » derrière leur projet. Mais ils rappellent que, derrière toute action positive, il y a une part de mimétisme : plus on est en contact avec des récits positifs, plus on a de chances d’être positivement contaminé.

Et les personnes ont besoin – surtout en ce moment – de positivisme, d’actions bienveillantes et de belles choses.

Yves Delnatte

Pour eux qui ont fait carrière (et sécurisé l’avenir de leurs enfants) grâce au numérique, est-ce une forme de rédemption ?

« Je pense que c’est plutôt une prise de conscience, répond Yves Delnatte. Avec la famille, les enfants, et peut-être aussi avec tout ce qui s’est passé avec la COVID, on s’est dit qu’on voulait faire notre part. » « On est aussi papas, fait remarquer Jérémie Mani. Qu’est-ce qu’on a envie de laisser comme trace ? Comment justifier de ne pas le faire quand on est en position de le faire ? »

Depuis son lancement, le 1er décembre, Altruwe a rassemblé quelque 5000 membres qui ont partagé presqu’autant de publications, souvent sur l’écologie (des éoliennes transformées en garage à vélos, des habitats écolos, etc.), parfois sur la solidarité (distribution de cadeaux aux plus démunis, lettres aux aînés, etc.) et sur l’épanouissement personnel.

Pour se faire connaître, les deux fondateurs s’entourent d’ambassadeurs, dont l’entrepreneure québécoise Danièle Henkel. Matthieu Ricard a aussi accepté de les encourager publiquement, en vidéo. L’ONG Karuna-Shechen, qu’il a fondée, partage ses actions sur Altruwe. En plus des associations, les entreprises sont aussi invitées à partager leurs actions bienveillantes, pour donner l’envie aux autres.

Altruwe est une application éphémère, qui vivra 1000 jours, parce que « sous la contrainte, on se surpasse », résume Yves Delnatte. À 333 jours de la fin, les fondateurs feront le point avec la communauté pour voir s’ils donnent une autre vie à Altruwe (en visant peut-être l’international ?) ou s’ils laissent l’application s’éteindre.

« Quand on est sur des projets comme ça, qui sont un peu dingues, un peu naïfs, la probabilité de succès est faible, convient humblement Jérémie Mani. La difficulté, ce n’est pas de faire une application, c’est de la faire connaître, de la faire utiliser. On est complètement conscients de ça, mais on a l’avantage de ne pas avoir la pression de l’échec. »

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