La pandémie et bien des questions sans réponse sur l’avenir des personnes âgées ont amené l’artiste et auteure Louise Forestier à joindre le gériatre Réjean Hébert. « Réjean, il faut qu’on se parle des vieux ! Qu’est-ce qui m’attend ? Qu’est-ce qui nous attend ? » Un cri du cœur entendu. Et partagé. Ils présentent leurs réflexions dans un échange animé de courriels dont nous publions aujourd’hui le troisième volet.

Cher Réjean,

La pandémie nous a tous obligés à nous isoler pendant de longs mois. Pour ma part, je n’en ai pas trop souffert. L’âge aidant, ma vie sociale a beaucoup diminué. J’ai tout de même eu des bouffées de tristesse, des relents de révolte. J’ai constaté avec quelle facilité nous nous sommes éloignés les uns des autres. Les Zoom, c’était drôle les premières fois, mais peu à peu, on s’en lassait. Le sentiment d’isolement, que j’éprouvais quelquefois, était moins que rien en comparaison à ce que certaines personnes à peine plus âgées que moi ressentaient dans leur maison de retraite.

Car dans mon « bloc », pendant le confinement, il s’est passé de bien belles affaires ! Un de nos voisins a pris l’initiative d’écrire aux vieux et aux vieilles du bloc pour leur proposer ses services.

Deux fois par semaine, on lui envoyait notre liste d’épicerie. De plus, il nous faisait rêver en nous envoyant ses merveilleuses photos de voyage. Délicatement, il frappait à notre porte, masqué deux fois plutôt qu’une ! Je l’ai baptisé « saint André ». Une voisine, « sainte Inès », m’apportait aussi des muffins ou du gâteau. Un autre, « saint Norbert », faisait la distribution des journaux. Pendant le confinement, mon bloc est devenu un sanctuaire de bonté !

Merci, mes vieux !

Louise

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Bonjour Louise,

La pandémie a été meurtrière pour les personnes âgées, particulièrement au Québec. Nous sommes les tristes champions au Canada. En appliquant le taux de mortalité du reste du Canada, on aurait dû avoir 3500 décès. On en a eu plus de 10 500, 7000 décès de trop ! Surtout des personnes âgées vivant en CHSLD (plus de 5000) ou dans des résidences pour aînés. « Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », comme disait Jean de La Fontaine. Les personnes en résidences pour aînés ont été littéralement séquestrées dans leur chambre ou leur petit appartement pendant des mois. Les conséquences physiques et psychologiques d’une telle réclusion restent à documenter, mais on sait déjà que ces personnes ont souffert d’un déconditionnement important.

Comme tu l’évoques si bien, la présence virtuelle est un bien pauvre succédané à la chaleur humaine. Il faut avoir toutes ses facultés et certaines habiletés pour utiliser la technologie. Sans compter qu’il faut posséder l’équipement requis. Plusieurs personnes dans ces résidences sont très âgées, faiblement scolarisées ou atteintes de légers troubles cognitifs, ce qui limite l’utilisation des bidules et des programmes de réunions virtuelles.

Il faudra réparer les pots cassés : reconditionner physiquement et surtout psychologiquement tous ceux et toutes celles qui ont été contraints de s’isoler. Récupérer la forme physique n’est pas facile, mais c’est encore plus difficile pour le bien-être psychologique. Il faudra du temps et des contacts humains significatifs. Ça, c’est plus long et compliqué.

Réjean

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Cher Réjean,

En parlant d’isolement, j’ai vécu (dans ma ruelle encore !) un épisode qui m’a stupéfiée. Un adolescent qui roulait à moto électrique sur le sentier de la ruelle verte m’a lancé « Ta yeule, crisse de vieille salope ! », frustré qu’il était parce qu’on lui avait refusé le droit de rouler dans la ruelle.

D’où vient ce mépris ? Est-ce le manque de respect et de compassion affiché par les adultes autour de lui qui ouvre la porte aux insultes envers les vieux ? C’est certain qu’en ne les voyant jamais autour d’eux, puisqu’on les cache – et souvent on les abandonne –, ils ne croisent pas souvent une vieille dans une ruelle en train de désherber. Ces insultes dégradantes me renvoyaient à l’obsolescence sociale totale : ça rime, mais ça déprime aussi !

L’adolescent en question en a remis plus tard avec un ami qui avait aussi une moto électrique. Avec les mêmes insultes. Son copain riait, et riait ! Je me suis sentie « compostable », rejetée comme un déchet, abandonnée, seule de ma gang. Mais ça n’a pas duré longtemps : rapidement, la colère a pris le dessus.

Le tissu social se déchire, il met à nu nos cœurs de béton, nos liposuccions de matière grise. Je suis vieille, je peux encore m’indigner, mais autour de moi on me conseille de ne pas faire de vagues, ça perturbe la tranquillité d’esprit. Ce qui dérange, c’est qu’on leur envoie l’image de l’éternel combat qu’il leur faudra mener pour être respectés et entendus.

Réjean, il nous faudra, nous, les vieux, avoir beaucoup d’humour, de débrouillardise et de patience.

Louise

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Chère Louise,

Il s’en passe, des choses, dans ta ruelle : des belles et des moins glorieuses. Ton jeune homme a exprimé sa frustration de façon brutale en y ajoutant une note d’âgisme bien sentie. Si celui-là était plutôt rustre, d’autres le font avec plus de grâce et de subtilité, en laissant entendre que les vieux et vieilles sont une charge, qu’ils sont tous et toutes en institution (ou devraient l’être), qu’ils devraient mourir le plus tôt possible. On l’a vu lors de la pandémie : les milliers de morts dans les CHSLD et les résidences pour aînés n’ont pas vraiment scandalisé le bon peuple. On comprend pourquoi la mort d’une femme autochtone, tristement décédée dans des urgences, a entraîné la démission du PDG et de la ministre. On comprend que la mort d’une enfant abandonnée force le directeur de la DPJ à démissionner. Mais comment expliquer que la mort de milliers de personnes en CHSLD ne provoque pas plus d’indignation ? Rien. Ce ne sont après tout que des vieux et des vieilles qui allaient mourir de toute façon.

Que faire ? Surtout ne pas agir en victimes et ne pas se résigner et s’effacer davantage. Les femmes, les autochtones et les gais l’ont fait trop longtemps. Il faut s’indigner, dénoncer, faire réaliser à la société l’absurdité d’une telle attitude. Il faut s’afficher, se manifester et s’exprimer comme le font les milliers de personnes du mouvement #vieillirchezmoi.

Bien sûr, face à un adolescent frustré avec les hormones à broil, il faut être prudent : la violence n’est jamais bien loin. Mais il faut être ferme et se tenir debout. Tu connais ta valeur, tu as un vécu, des réalisations. Tout ce que n’a pas encore ce blanc-bec. La dignité, Louise, c’est la meilleure réponse. Quand tu le reverras, tu pourras dire à tes compagnons et compagnes de ruelle : « C’est le jeune qui m’a traitée de vieille salope », et là, vous aussi vous pourrez rire à gorge déployée. L’échange de vacheries, ça se joue à deux.

Réjean

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