En ces temps de pandémie, peut-être vous êtes-vous (un peu, beaucoup) replié sur vous-même ? Car malgré le déconfinement, certains demeurent encore aujourd’hui très confortables dans leur cocon, à la maison.

Au début, le choc a été brutal. Puis, au fil des mois, une habitude s’est installée, un confort, un sentiment de sécurité. Et avec le télétravail, les sorties sont plus rares, tout comme les contacts sociaux.

Mais est-ce une réalité seulement attribuable à la dernière année et demie ? « Le repli sur soi se développait bien avant la pandémie », lance au téléphone Sophie Braun, psychanalyste, auteure de La tentation du repli publié en mai dernier aux éditions du Mauconduit.

« Il y a différentes formes de repli sur soi, des extrêmes aux plus douces, mais j’ai remarqué que j’avais de plus en plus de patients qui étaient totalement repliés sur eux. Ce qui m’inquiète, ce sont de jeunes femmes et de jeunes hommes qui regardent des séries en boucle tous les soirs [ou jouent à des jeux vidéo] et qui disent qu’ils n’ont pas besoin des autres, pas envie de sortir ni de rencontrer qui que ce soit, qu’ils vivent bien de cette façon. Il y a des couples aussi, comme ça », observe la psychanalyste.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Thomas Morel remarque qu’il ne sort presque plus de chez lui.

Thomas Morel, qui habite Beaconsfield, remarque qu’il ne sort presque plus de chez lui. En télétravail depuis le début de la pandémie, ce père de trois jeunes enfants âgés de 5 à 7 ans a pris l’habitude de ne plus voir beaucoup de monde. « C’est très étrange, cette nouvelle normalité », dit-il.

« Je n’en souffre pas, je suis bien comme ça. Je sors pour accompagner mes enfants à l’école, mais sinon, je reste chez moi [avec sa conjointe, aussi en télétravail]. On voit beaucoup moins la famille, on multiple les textos et discussions virtuelles avec les amis, on s’échange les bonnes séries télé à ne pas manquer, mais sans se voir », dit-il.

Selon lui, la pandémie a créé une distance entre les gens.

Ça nous a éloignés de beaucoup d’amis, de voisins, et une méfiance s’est installée liée à la peur du virus, notamment chez les gens plus fragiles et les personnes âgées.

Thomas Morel, en télétravail

Il est conscient qu’il doit vraiment faire des efforts pour sortir et revoir des amis.

Perte de repères

Pour Roxane de La Sablonnière, professeure en psychologie à l’Université de Montréal, dans un contexte de grands bouleversements, il y a beaucoup d’incertitudes. On a alors tendance à se replier sur soi. « On perd nos points de repère qui sont de nature sociale, nos amis, nos activités, nos groupes sociaux. On doit changer nos manières de faire et d’agir. On se pose de nombreuses questions. Tout ça crée des incertitudes, alors on va se réfugier dans ce qu’on connaît : notre famille immédiate, notre maison, nous-mêmes, ce qui explique le repli sur soi. »

Sophie Braun signale que pour la première fois de notre histoire, de manière massive, les petits-enfants sont devenus dangereux pour les grands-parents. « On n’avait jamais vu ça ! Ça a créé des révolutions profondes et ça renforce la distance entre les gens et la peur de l’autre. L’être humain est un être social, un être qui a besoin des autres », pense la psychanalyste.

Pascale Huberty, qui se considère comme une personne sociable, a du mal à reprendre sa vie d’avant. « Je suis bien chez moi, dans mon petit appartement avec mon conjoint et ma fille de 20 ans. Je ressens beaucoup moins le besoin de sortir, mais j’ai envie de revoir des gens, petit à petit, sans que ce soit trop de monde en même temps, parce que c’est presque fatigant ! »

Elle remarque elle aussi un certain repli sur elle-même. « Je dirais qu’on est centrés sur nous-mêmes, nos petits bobos, nos petits soucis, notre petit train-train quotidien, on se demande si on a grossi ou pas, si on mange bien ou pas, si on se sent bien ou pas. La pandémie a eu cet effet un peu étrange de se regarder un peu trop le nombril », pense-t-elle.

Dans un cocon

La psychanalyste Sophie Braun, qui a étudié le phénomène, estime que l’individualisation de la société favorise cette tendance.

PHOTO FOURNIE PAR SOPHIE BRAUN

Sophie Braun, psychanalyste et auteure de La tentation du repli, aux éditions du Mauconduit

« On a le choix dans tout aujourd’hui, études, travail, conjoint, mais beaucoup de gens se sentent exclus. Ils ont du mal à supporter les contraintes et frustrations, alors ils se protègent et se referment. Il y a aussi le fait qu’on se sent constamment sous pression, dès l’école, impuissants dans un monde où on ne trouve pas sa place. La relation à l’autre devient difficile, et on ne veut plus affronter la vie », affirme-t-elle.

C’est notamment le phénomène au Japon des hikikomoris. Ce sont, en majorité, des garçons, adolescents ou jeunes adultes, qui vivent reclus chez eux, sans aucun contact social depuis au moins six mois. « Ça doit faire une vingtaine d’années que ça existe, on pense qu’il y en a plus de 600 000 au Japon qui ne sont pas sortis depuis au moins six mois et qui se retirent du monde », explique la psychanalyste. Il s’agit, bien sûr, de cas extrêmes.

Sophie Braun souligne qu’il est « important de tendre la main, de ne pas laisser s’isoler les gens ». « C’est confortable de rester chez soi, mais la vie, c’est d’expérimenter des choses, de rencontrer des gens, c’est la relation avec les autres. C’est bien de le rappeler. »