Pendant cinq ans, elle a connu l’incertitude, la solitude, la détresse, la culpabilité et la déception qui jalonnent le parcours des couples infertiles. Pour briser le silence qui entoure trop souvent l’infertilité, la journaliste Véronique Leduc raconte son histoire dans un essai qui marie récit intime, témoignages et entrevues avec des professionnels.

« Si j’avais été sur l’eau, je n’aurais pas eu de gouvernail, si j’avais été l’hiver, je n’aurais pas eu de manteau, si j’avais été dans le désert, je n’aurais pas eu de boussole. Pendant cinq ans, j’ai pris l’eau, j’ai eu froid, j’ai été complètement perdue. » C’est ainsi que Véronique Leduc, journaliste en tourisme et en agroalimentaire et cofondatrice du magazine Caribou, ouvre Infertilité : traverser la tempête, ouvrage très personnel, poétiquement illustré par Mathilde Corbeil, qui atterrira en librairie le 15 septembre.

Ce livre, on s’en doute, c’est celui que l’autrice aurait voulu lire lorsque son conjoint et elle ont reçu, après deux ans de tentatives, un diagnostic d’infertilité inexpliquée (pour laquelle l’endométriose est un facteur considéré).

« J’avais le besoin de valider mes émotions que je trouvais négatives et très intenses, confie celle qui a vécu cinq inséminations et un cycle de fécondation in vitro (FIV). J’avais besoin de savoir que je n’étais pas toute seule à ressentir ça. Ça aurait atténué la douleur et le sentiment d’échec. »

Un tabou

L’infertilité touche un couple sur six au Canada. Malheureusement, trop peu en parlent, déplore Véronique Leduc. « Je sors un livre sur le sujet, mais ça m’a pris deux ou trois ans avant d’en parler ouvertement, dit-elle. Les gens le vivent comme un échec. Tu n’es pas capable de mener un projet à terme, alors que dans la vie, ce n’est pas quelque chose qu’on aime dire, qu’on n’est pas capable de faire quelque chose. Ça crée un tabou parce que l’entourage ne sait pas quoi dire, comment réagir. »

Ou alors il le fait de façon maladroite, bien que sans mauvaises intentions. Si ce livre se veut d’abord un compagnon pour les personnes en processus de fertilité, l’autrice espère qu’il permettra aussi aux proches de mieux comprendre les sentiments qui les habitent et l’intensité de l’épreuve qu’ils traversent.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Véronique Leduc

« On reçoit tous les mêmes phrases quand on est là-dedans. “As-tu pensé à adopter ? As-tu levé tes jambes en l’air ? Arrête d’y penser.” La psychologue que j’ai interviewée explique qu’on n’est pas habitués, dans notre société, à ne pas avoir le contrôle sur quelque chose […] Mais, il n’y en a peut-être pas, de solution. De t’en faire proposer une comme ça, sur le coin de la table, c’est un peu frustrant. »

« C’est effectivement difficile, c’est injuste », voilà ce qu’elle aurait plutôt voulu entendre. « J’avais juste besoin que les gens soient frustrés avec moi. »

À l’éventualité de son infertilité, Véronique Leduc n’avait pas non plus été préparée. Autour d’elle, les naissances se succédaient sans écueils. Et on pense souvent que ça n’arrive qu’aux autres. « Mais on ne m’a jamais préparée au deuil immense de ne pas être maman, écrit-elle. Personne ne m’a jamais parlé de l’incapacité à enfanter, des coûts astronomiques des traitements, du plan B à prévoir pour le reste de ma vie, des difficultés pour le couple, de l’état de choc dans lequel j’allais me retrouver, de mon humeur que je n’allais plus reconnaître, ni des meilleures façons de me faire des injections. Je ne sais pas comment ne pas être maman. Et je ne sais pas quoi faire du reste de ma vie. »

Trajet difficile

Ce deuil d’être mère, elle était en voie de le faire lorsque l’annonce est arrivée il y a un an. Elle allait être mère. Le dernier embryon qui avait été transféré lors de sa tentative de fécondation in vitro s’était accroché. On aurait bien voulu préserver la surprise pour ceux et celles qui liront son livre, mais cela fait aussi partie de son histoire. La petite Camille est bien là, assoupie au creux des bras de sa mère, aucunement dérangée par le brouhaha du café où nous sommes attablées.

« Même si l’issue a été positive pour moi, ça reste un trajet qui a été difficile. Je vais rester marquée par ça. » Puisque plusieurs passages du livre ont été écrits au moment où ils ont été vécus, le récit n’est jamais teinté par cette fin heureuse. Puisque le taux moyen de succès de la fécondation in vitro n’est que d’environ 27 % par cycle, Véronique Leduc n’a pas voulu faire étalage de la conclusion positive de sa démarche. « On met trop d’accent sur le succès alors qu’il y en a plein pour qui ça ne fonctionne pas. Il faut l’accepter aussi quand on commence ce processus-là. On l’essaie jusqu’au bout, mais c’est quoi, notre bout ? C’est une bonne question. »

Et pour certains couples, s’arrêter n’est pas un choix. Depuis 2015, la FIV ne fait plus partie des traitements de fertilité couverts par le régime public québécois. Promesse électorale de la Coalition avenir Québec, le remboursement d’un cycle de FIV a été inscrit dans le projet de loi 73 adopté en mars dernier. Sa mise en application se fait toutefois attendre. Véronique Leduc et son conjoint ont déboursé plus de 10 000 $ pour leur traitement. « Ce n’est vraiment pas accessible à tous. Le fait que les inséminations artificielles soient couvertes, mais pas la FIV, ça ne donne pas la chance à tous de sentir que tu vas jusqu’au bout. »

Infertilité : traverser la tempête

Infertilité : traverser la tempête

Parfum d’encre

280 pages En librairie mercredi