Des membres de Mères au front ont convergé mercredi vers les bureaux montréalais du premier ministre Justin Trudeau pour dénoncer l’inaction du gouvernement fédéral en matière de changements climatiques. Une action politique parmi d’autres pour les fondatrices du collectif, l’écosociologue Laure Waridel et la réalisatrice et autrice Anaïs Barbeau-Lavalette. Nous les avons suivies dans leur démarche auprès des gouvernements. Aperçu en trois temps.

25 septembre : rencontre avec la députée Isabelle Melançon

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Laure Waridel (à gauche) et Anaïs Barbeau-Lavalette, instigatrices du mouvement

C’est un grand jour pour Anaïs Barbeau-Lavalette, puisque son film La déesse des mouches à feu prend l’affiche partout au Québec (les salles de cinéma sont alors encore ouvertes partout dans la province). À 9 h, la réalisatrice n’est cependant pas en train de lire les critiques de son long métrage ; elle a une réunion virtuelle avec sa sœur d’armes Laure Waridel et la députée libérale provinciale de Verdun, Isabelle Melançon.

Mme Melançon a déjà été ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, d’octobre 2017 à octobre 2018. Citant « le pouvoir du cœur », elle rappelle le moment où elle a osé fermer la porte à l’exploitation du pétrole et du gaz au Québec en mars 2018. « J’étais allée plus loin que mon propre gouvernement. »

De son côté, Anaïs Barbeau-Lavalette relate la création de Mères au front. Comment Laure Waridel et elle ont manifesté le désir de transformer le sentiment d’impuissance qu’elles ressentent face aux changements climatiques en pouvoir maternel et en instinct de survie. « Comme une mère qui se lance devant une voiture pour protéger ses enfants. »

Laure Waridel fait part à Mme Melançon de son intérêt pour des conseils stratégiques et « des leviers » pour permettre à Mères au front de se faire entendre par les gouvernements. « Franchir le mur, le percer et ouvrir le dialogue », renchérit Anaïs Barbeau-Lavalette, qui confie ne pas toujours se sentir outillée pour s’adresser à un politicien.

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Isabelle Melancon, députée libérale provinciale de Verdun

« Jamais il ne faut être intimidé. Les politiciens sont des citoyens comme toi », lui répond Mme Melançon.

Laure Waridel dit souhaiter toucher des élus afin qu’ils agissent de façon « transpartisane ». « Qui ne peut pas se sentir concerné quand on parle de l’avenir de nos enfants ? lance-t-elle. Il faut du courage politique. »

« L’économie est tellement forte dans un Conseil des ministres », souligne Mme Melançon.

Quand elle a pris la tête du Ministère, elle avoue s’être posé la question : « Je commence par où ? C’est gros, l’environnement. » Elle a même reçu des menaces de mort quand elle a annoncé un règlement sur les pesticides.

Les conseils de l’ex-ministre : passer par les femmes députées et toucher « leurs cordes sensibles » en parlant des impacts de l’environnement sur leur quotidien.

Anaïs Barbeau-Lavalette se désole que ce soit plus facile d’accéder aux députés de l’opposition. Mme Melançon s’engage alors à parler de Mères au front au Cercle des femmes parlementaires (qui réunit les femmes membres de l’Assemblée nationale) par l’entremise de sa présidente Chantal Soucy (députée de Saint-Hyacinthe).

Les deux instigatrices de Mères au front en sont ravies.

29 septembre : rencontre avec le ministre Benoit Charette

La veille, le gouvernement de François Legault a annoncé la fermeture imminente des lieux culturels, y compris les salles de cinéma, dans les zones dont le niveau d’alerte sera rehaussé au rouge. Or, c’est de climat que discutent — encore une fois en rencontre virtuelle — Anaïs Barbeau-Lavalette et Laure Waridel avec nul autre que le ministre actuel de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette.

Anaïs Barbeau-Lavalette présente ses trois enfants au ministre, qui est aussi père trois fois. Elle souligne que Mères au front représente des milliers de personnes grâce à 25 groupes répartis un peu partout au Québec et à son association avec le regroupement de parents canadiens For Our Kids.

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Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

Leur but : briser l’immobilisme politique.

Accompagné de trois employés de son ministère, le ministre Charette souligne que les médias parlent surtout d’environnement quand « ça va mal ». Il souligne que la veille, l’intérêt médiatique était porté sur les zones rouges de la pandémie alors qu’il y a eu des annonces concernant la protection de l’île d’Anticosti.

« Le Québec est loin d’être parfait, mais il est un leader en Amérique du Nord », fait-il valoir.

Malgré tout, la pression pour plus d’actions pro-environnement est forte, se réjouit M. Charette. Il souhaite que l’environnement ne soit pas un enjeu « partisan », comme c’est le cas en Angleterre. Or, il voudrait que les bons coups de son gouvernement soient mieux connus.

Laure Waridel les salue, mais elle dénonce le projet de GNL Québec (qui prévoit la construction d’un pipeline gazier entre l’Ontario et le Saguenay ainsi que le développement d’un complexe industriel de liquéfaction de gaz naturel sur le site de Port Saguenay en vue de son exportation). Elle vante une « relance verte et juste ». « Les solutions, on les connaît, fait-elle valoir. Des mesures aussi simples que l’écofiscalité. »

« On a besoin de vous. »

21 octobre : vigile pour la suite du monde !

Il pleut ce mercredi pour la Vigile pour la suite du monde ! de Mères au front. « Le climat, on ne le contrôle pas », nous lance un militant à notre arrivée. Le point de rendez-vous est au pied de l’autoroute devant les bureaux du premier ministre du Canada, rue Crémazie.

Vêtus de noir, les dizaines de manifestants présents arborent tous l’écusson de cœur vert emblématique de Mères au front.

Entourée d’un chœur de jeunes, la comédienne Ève Landry lit un texte qui s’adresse à Justin Trudeau, au pouvoir depuis cinq ans. « Cinq ans, c’est long dans la vie d’un enfant, déclare-t-elle. Le premier devoir d’un gouvernement est de protéger la santé et la sécurité de sa population contre une menace dont il connaît la gravité. C’est le cas des changements climatiques. Vous savez que ce sont nos enfants qui seront les plus durement touchés. »

  • Manifestation des Mères au front devant les bureaux de Justin Trudeau

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Manifestation des Mères au front devant les bureaux de Justin Trudeau

  • Manifestation des Mères au front devant les bureaux de Justin Trudeau. Sur la photo, Véronique Côté enlace Lucile, sa petite fille de 4 mois.

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    Manifestation des Mères au front devant les bureaux de Justin Trudeau. Sur la photo, Véronique Côté enlace Lucile, sa petite fille de 4 mois.

  • Manifestation des Mères au front devant les bureaux de Justin Trudeau

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Manifestation des Mères au front devant les bureaux de Justin Trudeau

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« Nous approchons dangereusement du point de bascule, ajoute-t-elle. Si l’on ne se met pas à l’écoute de la science, les crises comme celle que nous vivons actuellement se multiplieront et s’intensifieront. Agissons en prévention. Aplatissons la courbe des émissions de gaz à effet de serre et plus largement de la pollution. »

Mères au front demande « un plan de match clair pour la sortie des énergies fossiles », dont l’abandon du projet de réfection de l’oléoduc Trans Mountain. Le collectif souhaite aussi que « les 12,6 milliards de dollars de fonds publics gaspillés dans ce projet » soient réinvestis « pour soutenir les communautés du secteur pétrolier.

De nombreuses personnalités publiques sont présentes, dont l’actrice Évelyne Brochu, enceinte de jumeaux, ainsi que la metteuse en scène Brigitte Poupart et la militante autochtone Melissa Mollen-Dupuis.

En tant que mère et femme autochtone, on a vu récemment comment il y a des injustices. C’est aussi vrai avec les changements climatiques.

Melissa Mollen-Dupuis

Un couple assiste à la manifestation avec son bébé de trois mois et demi. « Nous avons entamé il y a quelques années un virage zéro déchet et minimaliste, donc les revendications de Mères au front viennent nous chercher, surtout qu’on vient d’avoir un enfant », indique Andréanne Brunet.

« J’ose espérer que leur message va se rendre au politique », ajoute son compagnon, Marc-André Thibault.

Des membres de Mères au front de nombreuses autres villes au Québec ont aussi tenu des rassemblements ce mercredi et interpellé des élus. Anaïs Barbeau-Lavalette et Laure Waridel ont déposé une enveloppe au bureau de Justin Trudeau. Elle contenait le document 101 idées pour la relance (rédigé dans le cadre du Pacte pour la transition), un exemplaire du texte lu par Ève Landry, ainsi que le livre de Laure Waridel La transition, c’est maintenant.

« Nos gouvernements doivent avoir le courage de mettre en place les règles du jeu », conclut Laure Waridel.