Dévalorisation de l’apparence, humiliation, demande de rapports sexuels monnayés, chantage, commentaires racistes… Le harcèlement envers les filles et les jeunes femmes sur les réseaux sociaux prend plusieurs formes. Et il est répandu. Très répandu.

C’est ce que démontre une vaste enquête internationale menée auprès de 14 000 filles de 15 à 24 ans dans 22 pays, dont le Canada. L’organisme Plan international, voué aux droits des enfants et à l’égalité des filles, a piloté le projet afin de mieux comprendre le harcèlement que subissent les filles et les jeunes femmes en ligne.

Les équipes ont posé 16 questions aux répondantes d’un peu partout dans le monde. Et les résultats sont frappants : 58 % d’entre elles disent avoir été victimes d’une forme d’abus ou de harcèlement en ligne. Au Canada, les chiffres sont encore plus élevés : pas moins de 62 % des 1002 répondantes ont rapporté de tels évènements.

« Les plateformes en ligne sont de plus en plus essentielles pour [le militantisme], le divertissement, l’apprentissage et la socialisation », rappelle Maya Doyon Hanson, conseillère en matière d’égalité de genre chez Plan international Canada.

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Maya Doyon Hanson, conseillère en matière d’égalité de genre chez Plan international Canada

Quand ces espaces-là ne sont plus sécuritaires, les filles et les femmes peuvent cesser de s’exposer, de s’exprimer. Et c’est ce qu’on voit actuellement, en ligne.

Maya Doyon Hanson, conseillère en matière d’égalité de genre chez Plan international Canada

C’est d’autant plus important aujourd’hui, dit-elle, alors que 134 millions de filles partout dans le monde ont vécu la fermeture temporaire de leur école en raison de la pandémie de COVID-19, ce qui a mené nombre d’entre elles à utiliser l’internet pour poursuivre leur scolarité.

Le harcèlement décrié par les répondantes se classe en deux grandes catégories. Il y a celui qui cible les filles parce qu’elles sont des filles — et encore plus si elles sont racisées, si elles ont un handicap ou si elles s’identifient à la communauté LGBTIQ+ —, et il y a le harcèlement qui s’en prend aux filles parce qu’elles expriment leurs opinions, notamment sur la question de l’égalité des genres. Les répondantes ont rapporté des propos injurieux et insultants (59 %), de l’humiliation délibérée (41 %), une dévalorisation de l’apparence physique (39 %), des menaces de nature sexuelle (39 %), du harcèlement sexuel (37 %), de la traque furtive (32 %), des commentaires racistes (29 %) ou anti-LGBTIQ+ (26 %) et des menaces de violence physique (21 %).

Qui sont les auteurs de ce harcèlement ? L’enquête indique qu’il provient d’inconnus, d’utilisateurs anonymes et de gens rencontrés sur les réseaux sociaux, mais aussi de connaissances de l’école ou du travail et parfois même d’amis, note Maya Doyon Hanson, qui se désole qu’on demande si peu de comptes aux entreprises qui gèrent les Facebook, TikTok, Instagram et WhatsApp de ce monde. Des filles qui ont participé au projet ont d’ailleurs écrit une lettre ouverte aux entreprises de médias sociaux pour leur demander de créer des outils plus efficaces pour signaler les abus et le harcèlement.

Manque de réglementation

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Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal spécialisé en droit du cyberespace

À l’heure actuelle, les plateformes des réseaux sociaux ne sont soumises à pratiquement aucune réglementation, indique Pierre Trudel, professeur en droit à l’Université de Montréal. « Elles se réglementent toutes seules, au fil des crises et selon l’indignation qu’elles soulèvent », résume-t-il. Comme intervenir sur les contenus constitue une dépense, ces entreprises privées le font uniquement lorsqu’elles se sentent forcées de le faire, dit-il.

Des pays comme le Royaume-Uni et l’Australie ont fait des propositions pour mieux encadrer les réseaux sociaux, par des lois, souligne le professeur spécialisé en droit du cyberespace. N’en déplaise aux gens qui crient à la censure lorsque ces propositions-là sont mises sur la table, Pierre Trudel estime qu’il s’agit de la seule façon de faire bouger ces entreprises privées qui vivent en monétisant les données de leurs utilisateurs.

« S’il n’y a pas d’action concertée de la part des États pour forcer ces plateformes-là à mettre en place des mécanismes sérieux pour lutter contre les pratiques de harcèlement ou d’intimidation, c’est peu probable qu’elles le fassent de façon spontanée », conclut-il.

> Consultez la lettre ouverte écrite par les participantes au projet de Plan International