(Saint-Rémi-de-Tingwick) C’est par hasard, au détour d’une randonnée à moto dans les Bois-Francs, que nous avons appris que Saint-Rémi-de-Tingwick abritait le plus grand musée d’outils manuels au Canada. Nous avons décidé d’y jeter un coup d’œil, encouragés par les recommandations enthousiastes de notre guide. On y a découvert non seulement une collection exceptionnelle, mais aussi un couple de passionnés avec une histoire fascinante à raconter.
« J’ai trouvé la première pièce de ma collection dans un champ à Saint-Mathias-sur-Richelieu, nous a raconté Michel Benoit, copropriétaire du Musée d’outils anciens de Saint-Rémi-de-Tingwick. J’étais jeune adolescent, mon père labourait et nous, on ramassait des roches. J’ai tout à coup vu un morceau de rouille par terre, je pensais que c’était des vieux clous, mais c’était une tête de hache cachée dans une motte de terre. Comme j’aimais déjà l’archéologie et les choses anciennes, j’ai aussitôt eu la piqûre. »
Son père, qui conservait lui-même jalousement une collection de vieux outils ayant appartenu à son grand-père, a décidé de ranger la hache dans une armoire scellée. « Deux, trois mois après, il me l’a donnée en me disant d’y faire bien attention, s’est rappelé M. Benoit. Il m’a dit qu’il n’en avait jamais vu des comme ça, et qu’on n’en verrait sans doute jamais de pareille. »
C’est à partir de ce moment-là que Michel Benoit a commencé sa collection de haches. Ses frères et sœurs (il est le 24e de 26 enfants !) se sont mis à lui donner de vieux outils en cadeau – « ils me disaient : “Tu en veux des cochonneries ? Parfait, ça ne coûte pas cher !” », s’est rappelé en riant l’homme de 70 ans. C’est alors que l’idée d’ouvrir un jour un musée d’outils anciens s’est mise à trotter dans sa tête. C’est aussi pendant qu’il songeait à son projet qu’il a mis la main sur sa plus belle pièce, une hache vieille de quelque 3500 ans qu’il soutient être le plus vieil artéfact au Canada. Achetée à 150 $ comme faveur de la part d’un antiquaire montréalais qui croyait à son projet de musée, cette hache est aujourd’hui le joyau de la collection de Michel Benoit. « Depuis, je n’ai jamais voulu la vendre, j’ai même refusé une offre de 25 000 $, nous a affirmé M. Benoit. C’est la pièce la plus rare que j’ai, et si tu n’as pas de pièces rares dans un musée, personne ne vient. »
D’école à volière à musée
Après avoir aménagé un petit musée dans sa maison de Chambly il y a une quinzaine d’années, Michel Benoit s’est mis à la recherche d’un local plus grand, encouragé par sa nouvelle conjointe, Estelle Robichaud. « À notre première sortie, on est allés dans un encan d’outils, alors je me doutais bien de ce qui allait suivre, nous a confié en riant la dame qui s’était établie en Colombie-Britannique avant de faire la rencontre de Michel Benoit. J’avoue avoir tout le temps aimé les antiquités – davantage la vaisselle et les verres de cristal –, mais quand j’ai commencé à donner un coup de main à Michel, je me suis trouvée à bien aimer les beaux outils faits de bois. »
Les premières recherches dans la grande région de Montréal s’avèrent infructueuses. « Les prix étaient exorbitants, sinon il fallait faire de grosses réparations, d’autant plus que j’avais besoin d’une bâtisse institutionnelle pour faire le musée, s’est rappelé Michel Benoit. Avec Estelle, on est donc allés se promener plus loin dans l’espoir de trouver une école, une petite église. Quand j’ai vu qu’il y avait une ancienne école à Saint-Rémi, je ne savais même pas où c’était. On a pris rendez-vous et, en fin de compte, on a fait une offre ! »
Il ne pensait pas trouver quelque chose d’aussi grand. Il a aussi voulu la nettoyer de fond en comble – le propriétaire précédent y avait installé une volière d’oiseaux. « On a mis 18 mois pour nettoyer tout ça, avec l’aide d’une bonne douzaine d’amis et de bénévoles du village qui ont embarqué dans le projet », a dit M. Benoit. « C’était nos bénévoles, mais maintenant ce sont tous nos grands amis, a ajouté Estelle Robichaud. Les gens du village nous ont bien accueillis. Encore aujourd’hui, si on a un gros projet à réaliser, tu vas voir arriver 8-10 bénévoles. Ils continuent de nous aider. »
Ouvert en 2010, le musée compte aujourd’hui plus de 50 000 outils du XVe au XXe siècle, répartis sur deux étages. Ils sont tous organisés par différents métiers, une idée que Michel Benoit a importée d’une visite à la foire d’outils de Bièvres, près de Paris. De ferblantier à imprimeur en passant par pompier ou ciseleur, il y a de tout, même des ustensiles anciens qui servaient expressément à désosser le poulet ! M. Benoit les connaît tous par cœur, c’est dans les livres d’époque qu’il arrive à identifier la provenance et l’utilité des outils qu’il achète ou qu’on lui donne – il dit posséder une bibliothèque de plus d’un millier de livres, dont certains datent de quelques centaines d’années.
Ouvert cet automne jusqu’au week-end de l’Action de grâce, le musée rouvrira dès le mois de mai 2021, mais il bouclera dorénavant sa saison à la mi-septembre. Michel et Estelle comptent ainsi prendre un peu de temps pour voyager… dans l’espoir d’ajouter de nouveaux outils à leur collection !
« Je viens d’une famille qui n’était pas riche, loin de là, et ce qui me rend le plus fier est d’avoir réalisé mon rêve à des niveaux que je n’imaginais même pas, nous a confié Michel Benoit. Les choses se mettent en place quand on tient à nos rêves ! »