Le slogan « Ça va bien aller » était d’abord sur les dessins d’arc-en-ciel d’enfants, mais on le retrouve maintenant partout : dans nos conversations, les publicités, les discours de nos politiciens. Sur les réseaux sociaux, c’est la folie : le mot-clic #cavabienaller et ses variantes ont été écrits près de 100 000 fois sur Instagram depuis le début de la crise de la COVID-19.

Est-ce qu’on l’entend trop ? Une chose est sûre, de plus en plus de gens émettent publiquement certains bémols sur le slogan, traduction de l’italien « andrà tutto bene ».

C’est le cas de la psychologue Pascale Brodeur, qui a écrit une publication à ce sujet au cours des derniers jours sur Facebook. Le slogan commence peut-être à prendre « un peu trop de place », convient la Dre Brodeur, psychologue en thérapie cognitive comportementale à Québec. C’est qu’il ne fait pas du bien à tout le monde, dit-elle. Et il ne faudrait pas qu’il éclipse d’autres discours réalistes ou négatifs.

« Je ne veux pas donner l’impression que c’est un slogan à bannir, qu’il fait du tort à tout le monde ; ce slogan a sa place », nous dit d’emblée Pascale Brodeur, qui convient que certaines personnes ont besoin de l’entendre et que, dans certains cas, il est vrai, justement, que ça va bien aller. « Mais ça ne doit pas être le seul discours qu’on entend, ça ne doit pas être servi à toutes les sauces. Ça ne doit pas être la seule chose qu’on répond dès qu’on exprime une inquiétude ou une frustration », résume-t-elle.

« Moi, ce que j’entends de mes proches et de ma clientèle, c’est soit que ce slogan-là ne les rejoint pas du tout, soit que ce slogan-là les agace, à la limite les insulte un peu », poursuit-elle. 

PHOTO FOURNIE PAR PASCALE BRODEUR

La psychologue Pascale Brodeur

Ça ne tient pas compte d’une réalité : sur les plans physique, économique, psychologique, ça n’ira pas bien pour tout le monde. Il y a des gens qui ne se reconnaissent pas du tout dans ce slogan-là.

La psychologue Pascale Brodeur

Un équilibre à trouver

Une autre psychologue, Roxane Robitaille, a quant à elle écrit que « depuis le départ », ce message la « dérange ». « Dire que “ça va bien aller”, c’est un bien beau message pour les enfants, mais ça manque drôlement de sophistication pour les adultes », a-t-elle écrit dans une publication Facebook qui a trouvé écho : elle a été relayée plus de 4000 fois en quelques jours à peine. À ses yeux, bien que l’intention soit bienveillante, répondre « ça va bien aller » à quelqu’un qui souffre est une tentative d’éteindre cette souffrance. La personne qui souffre peut alors se sentir lourde et incompétente.

La « pensée positive » peut avoir des effets pervers, rappelle pour sa part la psychologue Pascale Brodeur : des gens peuvent se sentir coupables de ne pas entretenir des pensées positives, se sentir inadéquats, même.

Exprimer des pensées négatives a même quelque chose de tabou, se désole-t-elle. D’où la tendance à répondre à l’autre avec des phrases toutes faites comme « ben non », « ne pense pas à ça », « ça va bien aller ». Baigner dans la négativité tout le temps peut finir par avoir un impact sur l’humeur, convient Pascale Brodeur, « mais trouvons un équilibre là-dedans, dit-elle. C’est important de laisser l’espace à la personne de vivre cette émotion-là, de l’exprimer. Écouter, valider et comprendre, c’est la première chose à faire avec quelqu’un qui est dans ces émotions ».

Voir le slogan « Ça va bien aller » affiché partout peut en effet être « confrontant », voire n’avoir « aucun sens » pour la personne qui souffre, convient aussi le psychologue Marc-André Dufour, auteur du livre Se donner le droit d’être malheureux. Répéter à une personne en détresse que « ça va bien aller » n’est vraiment pas la chose à faire, ajoute-t-il.

N’empêche, en tant que symbole de mobilisation, Marc-André Dufour aime bien le slogan et les arcs-en-ciel colorés qui l’accompagnent. 

C’est correct de faire toutes les nuances qui s’imposent, mais sans renier le côté un peu plus positif qui ressort à travers tout ça. C’est une action souvent faite par des jeunes, des familles, qui sert à essayer de s’encourager et de passer à travers un moment extrêmement difficile.

Le psychologue Marc-André Dufour

« Si ce moment n’était pas difficile, d’ailleurs, on n’écrirait pas que ça va bien aller », rappelle Marc-André Dufour

Les enfants, eux, ont besoin de se faire rassurer par les adultes, conclut la psychologue Pascale Brodeur. Et de se faire dire… que ça va bien aller.

« Un très bon slogan »

Nous avons demandé au concepteur-rédacteur pigiste Hugo Léger son opinion sur le slogan Ça va bien aller. Son verdict : « C’est un très bon slogan. Ce n’est pas moi qui le dis. Le peuple a parlé : il a été repris partout, affiché dans toutes les fenêtres du Québec. » S’il est bon, dit-il, c’est parce qu’il aurait pu sortir de la bouche de sa sœur ou de son ami. Il est aussi rassembleur, rassurant, optimiste, court et simple. « Bien sûr, ce slogan est plus difficile à assumer quand le confinement s’étire et les décès s’accumulent, mais il ne nie pas la souffrance », dit-il, rappelant au passage qu’aucun slogan ne fait l’unanimité. « Aucun slogan n’est capable d’encapsuler toutes les réalités, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. C’est un condensé d’émotions, un raccourci de la pensée qui ne s’encombre pas de nuances. »