Angélique Soleil Lavoie est enseignante, en congé forcé, pour les raisons que l’on sait. Depuis cinq ans, elle vit seule, avec ses deux perruches. Et ce n’est pas demain la veille que son statut va changer.

« Ça fait juste une semaine, je ne sais pas comment je vais faire si ça dure plusieurs mois… » Au bout du fil, sa voix tremble. « Je me sens très seule. Il faut dire que je fais de l’anxiété. Mais je pense qu’en ce moment, tout le monde est un peu anxieux. » C’est surtout le contact humain qui lui manque. Un sourire, une poignée de main, un câlin. Tout ça, du jour au lendemain, a disparu de son quotidien. « Ça va être dur, laisse-t-elle tomber. Généralement, j’ai un bon réseau, ma stratégie a toujours été d’avoir une vie bien remplie… » Mais là ? Elle se retrouve à anticiper avec joie le passage du livreur d’Amazon. « C’est idiot… »

Si on a beaucoup parlé, depuis le début de cette crise, du risque d’isolement des personnes âgées, des défis des familles tout à coup confinées, des travailleurs forcés de télétravailler (quand ils ne sont pas mis à pied), voilà qu’un groupe pourtant loin d’être marginal (plus de 1 million de Québécois vivent seuls, selon les plus récentes statistiques) est un peu passé sous le radar : les célibataires.

Et ce groupe est aussi particulièrement à risque de flancher, en matière de consignes de confinement ou d’isolement social, mettent en garde les experts. « L’ennui puis la tristesse peuvent entraîner une recherche de satisfaction, au point de faire oublier les évidences en termes de danger », craint la psychologue Rose-Marie Charest. On l’a vu et revu, pendant la crise du sida, se souvient-elle. « Le désir d’être avec quelqu’un peut faire oublier les mesures de sécurité, au point de mettre sa vie en danger. » Or, même si ces besoins sont bien réels, « et on comprend à quel point il peut être difficile d’être seul », enchaîne-t-elle, la prudence et surtout le report de nos rendez-vous d’un soir sont de mise. Qu’on se le dise.

Ce délai est nécessaire si l’on veut protéger sa vie, et celle des autres. Chaque geste compte double.

Rose-Marie Charest, psychologue

Même son de cloche de la part de la sociologue Madeleine Pastinelli, de l’Université Laval, qui note qu’avec la fermeture de tous les lieux habituels de rencontres (bars, cinémas, etc.), certains pourraient se mettre à risque, et ce, bien inutilement. Et on ne parle pas ici que du coronavirus. « C’est évident, mais à plus forte raison en temps de pandémie, qu’il y a des risques (tout particulièrement pour les femmes) à aller chez quelqu’un qu’on ne connaît pas, ni d’Ève ni d’Adam ! », fait-elle valoir.

Soyons créatifs

Alors que faire ? Bien qu’une promenade (à deux mètres de distance !) ne soit pas (encore) exclue, quoique pas forcément inspirante, il y a fort heureusement une foule d’autres options, plus créatives, à la fois introspectives et peut-être même excitantes, à notre portée. « C’est certainement le temps de revenir au virtuel et aux pratiques répandues dans les premières années d’internet, poursuit la sociologue. Le chat ! »

C’est ce qui semble déjà être la stratégie adoptée par plusieurs. Les échanges virtuels des usagers seraient en hausse, s’il faut croire les chiffres rendus publics par les différentes applications de rencontre. The Inner Circle dit avoir vu les échanges de messages bondir de 116 %. Même son de cloche chez OkCupid, qui multiplie les tweets vantant les mérites du confinement : « le confinement est hot », « 2019 : frenchkiss, 2020 : FaceTime », etc.

Il faut dire qu’un sondage interne (en date du 10 mars) a révélé que 88 % de ses usagers avaient l’intention de continuer de « dater », comme si de rien n’était… Pour limiter les dégâts et contrer cette insouciance inquiétante, Tinder envoie des messages d’hygiène de circonstance (lavez-vous les mains régulièrement, évitez de vous toucher le visage, gardez vos distances), tandis que d’autres, dont GoSeeYou (le Tinder québécois), a carrément envoyé une infolettre à ses usagers, leur suggérant de profiter de ce temps d’arrêt (forcé).

PHOTO FOURNIE PAR MÉLANIE TRUDEL

Mélanie Trudel, fondatrice de GoSeeYou et Célibataire Québec

« Prenez le temps de prendre du recul et déterminer ce que vous recherchez et ce que vous ne voulez plus en amour. » « Cette période de confinement peut être vraiment positive, croit Mélanie Trudel, fondatrice. Prenez du recul, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans vos autres relations, qu’est-ce qui pourrait fonctionner ? »

Pourquoi ne pas transformer ce moment de confinement en moment profitable ?

Mélanie Trudel, fondatrice de GoSeeYou et Célibataire Québec

À noter, si toutes les activités de Célibataire Québec – rassemblements, évènements et conférences – ont bien évidemment été annulées, « il ne faut pas s’empêcher de rencontrer », ajoute-t-elle, en invitant les intéressés à essayer les options téléphoniques ou vidéo de l’application. « Parce qu’on s’entend que le virtuel va être le principal mode de connexion pour les prochains mois ! »

Mais sachez que ce virtuel ne se limite pas aux conversations vidéo. Anne-Marie Dupras, autrice de Ma vie amoureuse de marde, animatrice d’un groupe Facebook et d’une baladodiffusion du même nom, ne manque pas d’imagination : du verre en FaceTime au souper à la caméra, pourquoi ne pas carrément regarder un film (virtuellement) ensemble, ou encore visiter un musée (tout aussi virtuellement), pour ensuite en discuter ? Et pourquoi pas, ce faisant, apprendre à mieux se connaître, une étape cruciale et évacuée de cette culture des relations « de consommation », par ailleurs souvent « éphémères » ?

PHOTO FOURNIE PAR ANNE-MARIE DUPRAS

Anne-Marie Dupras

« Pourquoi ne pas ramener le plaisir de la parole, sans se toucher ? » Car prendre son temps, parler, échanger, laisser monter la tension, cela peut être aussi terriblement excitant, faut-il le rappeler. « Il peut y avoir quelque chose de très vivant là-dedans ! » Même si ce temps accordé au désir a été oublié avec les années et tous ces « matchs » instantanés, ce renversement de tendance (aussi involontaire et frustrant soit-il) peut aussi être bénéfique.

« Oui, ça demande plus d’investissement, mais je pense qu’on avait besoin de voir qu’une relation, ça prend de l’investissement. […] Et de toute façon, on ne peut rien y faire, alors autant trouver la meilleure façon de profiter de ce temps-là qu’on a sur les bras ! », conclut-elle. Chose certaine, tout le monde s’entend : une fois ces mesures de confinement levées, et les gens à nouveau libres de circuler… les bars vont se remplir et « ça va se frencher ! ».