Son format jetable est désormais diabolisé, et des consommateurs sont prêts à payer 50 $ pour une version réutilisable. Certains la choisissent aussi judicieusement que l'étui de leur téléphone cellulaire, leur prochaine paire de souliers de course ou leur sac à main. Aujourd'hui, la bouteille d'eau a rejoint le rang des accessoires mode, en plus de véhiculer la volonté environnementale de celui qui s'y abreuve.

Chez Lunch à porter, rue Saint-Paul Ouest, à Montréal, les étagères de la boutique présentent exclusivement des objets réutilisables. Des dizaines de bouteilles d'eau aux couleurs, formes et textures aussi variées qu'imaginables se démarquent des boîtes à lunch métalliques, pailles en inox et contenants à collation aux couleurs pastel.

«Les gens ne vont pas seulement choisir une bouteille d'eau; ils veulent l'agencer à leur style», explique Nobuko Nadeau, propriétaire de Lunch à porter.

C'est donc dire que la gourde - qui jadis servait essentiellement les sportifs - ne doit plus seulement être pratique et assurer la fonction de transporter de l'eau ou tout autre liquide. Elle doit être belle, voire représenter le statut social, l'identité, le mode de vie auquel l'utilisateur veut être identifié, remarquent les acteurs de l'industrie.

«Il y a une espèce de fierté d'avoir un bel objet. En réunion, au dîner, on le dépose devant nous. Donc, on s'associe à cette marque-là, à ce produit-là. [...] C'est un objet joli, qui devient fashion, qui est identitaire», constate Sylvain Allard, professeur et directeur de programme du baccalauréat en design graphique de l'École de design de l'UQAM.

«La bouteille est adaptée à un lifestyle, ajoute-t-il. La grosse bouteille Nalgene est davantage indiquée pour le plein air. [...] Dans le milieu du yoga, on va beaucoup voir S'WELL.»

S'WELL est une entreprise new-yorkaise qui a été le précurseur des bouteilles très stylisées, aux couleurs variées et, qui plus est, isothermes. La popularité de ses produits a été fulgurante depuis sa fondation en 2010. La centaine de modèles de bouteilles, qui conservent la température du liquide durant près de 24 heures, se détaillent entre 35 $ et 60 $ et ont été largement imités depuis.

«S'WELL a vraiment compris que c'était un objet d'élégance et qu'on pouvait développer un objet qui n'était pas juste fonctionnel, mais qui venait en différents formats, couleurs, avec différents embouts. Ils offrent même des accessoires pour nettoyer leur gourde.» 

«Oui, les gens paient 50 $ pour une bouteille d'eau. Il y en a aussi des beaucoup moins chères. Il y en a pour tous les niveaux, à tous les prix», indique Mme Nadeau, confirmant qu'il n'est pas rare que des gens choisissent une bouteille en fonction de l'image qu'ils veulent projeter.

De chimistes à aventuriers urbains

Nalgene est l'une des premières entreprises à avoir commercialisé des bouteilles d'eau réutilisables... un peu par erreur. Mis en marché en 1949, ses contenants étanches et incassables étaient d'abord destinés au travail de laboratoire. Dans les années 70, les scientifiques ont commencé à utiliser les bouteilles lors de leurs randonnées pour transporter de l'eau, et le président y a vu une intéressante occasion d'expansion de son produit.

«Nos consommateurs originaux étaient des amateurs de plein air pur et dur: ils prenaient une grosse bouteille Nalgene et partaient camper durant quatre jours», explique à La Presse Eric Hansen, directeur du marketing chez Nalgene, qui a observé un changement depuis les 10 dernières années.

«Notre clientèle s'est élargie et on a maintenant des gens qui veulent une bouteille qui convienne à chacune de leurs activités: aller à l'école, aller en voyage, aller au gym.»

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @CRAMERSVANASTEN

Les gens n'hésitent pas à mettre leur jolie bouteille en valeur sur les réseaux sociaux.

La fiabilité et la simplicité du produit ont garanti la survie de l'entreprise pionnière à travers tous ces nouveaux acteurs, croit M. Hansen, qui admet que Nalgene s'est tout de même ajustée au souci esthétique du consommateur en offrant notamment une grande variété de couleurs. Qui aurait cru, en 1950, que des bouteilles de chimistes deviendraient un jour un accessoire tendance?

#zeroDechet et #achatLocal

La tendance des contenants réutilisables, faut-il le préciser, est née d'une prise de conscience collective de la propagation du plastique à usage unique. Sophie Perrault, alias Pero, a décidé de sauter dans la mêlée et d'ajouter les contenants à boire à la collection d'objets sur lesquels elle peint à la main toutes sortes d'images et de messages inspirants. «J'ai commencé à peindre des bouteilles il y a deux ans et je remarque une jeune clientèle soucieuse de l'achat local et zéro déchet. Depuis quelques mois, c'est les tasses écolos que je commence à mettre de l'avant», explique l'artiste de Gatineau, qui vend ses produits en ligne. D'ailleurs, sur les réseaux sociaux, les gens n'hésitent pas à montrer leur jolie bouteille. Sur Instagram, les mots-clics #waterbottle, #drinkwater, #detoxify et #H2O sont liés à des centaines de milliers de photos d'utilisateurs vantant leur mode de vie sain, écoresponsable, ou simplement désireux de mettre en valeur un de leurs accessoires mode.

PHOTO FOURNIE PAR PERO PAR SOPHIE PERREAULT

Sophie Perreault, une artiste de Gatineau, peint des images et des messages inspirants sur de la vaisselle réutilisable. Son nom d'artiste est Pero et ses produits sont en vente à Pero-qc.com.