Comme le veut la tradition dans le monde anglo-saxon, les grands dictionnaires ont désigné ces derniers jours les « mots de l’année » qui ont caractérisé 2019. Petit survol du vocabulaire qui en dit long sur notre époque.

« Climate emergency »

Si Greta Thunberg s’est retrouvée « personnalité de l’année » du magazine Time, les mots qu’elle emploie pour décrire ses actions trouvent aussi un fort écho dans le discours public. Le dictionnaire britannique Oxford a désigné « l’urgence climatique » comme mot de l’année. L’augmentation spectaculaire de l’usage de cette expression dénote un « changement majeur dans le choix des mots » qui marque une volonté de revoir la façon de parler de ces enjeux. L’institution donne en exemple la décision du journal britannique The Guardian d’employer désormais les mots « urgence climatique » ou « crise climatique » pour décrire les « changements climatiques », une décision qui a ensuite été reprise par de nombreux autres médias cette année.

« Climate strike »

Dans le même esprit, le dictionnaire Collins a choisi « climate strike » (« grève pour le climat ») comme marqueur de 2019. Repérée pour la première fois en 2015, l’expression « grève pour le climat » a connu un essor mondial cette année dans la foulée du mouvement lancé en solo par Greta Thunberg en Suède, à l’automne 2018. Parmi les autres mots à saveur climatique retenus sur la liste des mots de l’année, Oxford avait aussi noté « climate denial » (déni climatique, porté par les climatosceptiques), « eco-anxiety » (l’anxiété générée par la crise climatique), « ecocide » (la destruction délibérée de l’environnement) et « flight shame » (la honte, la réticence à utiliser l’avion dans ses déplacements en raison de la pollution). Collins a noté de son côté la popularité montante de l’expression « rewilding », qu’on pourrait traduire par « renaturer », soit l’action de ramener un espace à l’état naturel, notamment en y réintroduisant des espèces animales disparues.

PHOTO THIERRY ZOCCOLAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’« Upcycling » est « l’action de créer un nouvel objet à partir d’un matériau vieux, usagé, ou bon pour la poubelle. »

« Upcycling »

Mais tout n’est pas qu’urgence et revendications quand il s’agit de sauver la planète. Le dictionnaire britannique Cambridge note pour sa part que les recherches en ligne ont doublé en 2019 pour trouver la définition de « upcycling ». Qu’est-ce que le « upcycling » ? Ce n’est pas que du simple « recyclage ». C’est « l’action de créer un nouvel objet à partir d’un matériau vieux, usagé, ou bon pour la poubelle », de sorte que le nouvel objet ait une plus grande valeur que l’original. Mais c’est aussi, indique Cambridge, un geste environnementaliste « positif ». « Arrêter la progression des changements climatiques, sans parler de les renverser, peut sembler parfois impossible. L’upcycling est une action concrète qu’un individu peut accomplir pour faire une différence », a déclaré cette semaine la porte-parole de Cambridge, Wendalyn Nichols.

« Existential »

Voilà une proposition pour le moins philosophique : « Existential », choisi par Dictionary.com (le même éditeur que les dictionnaires thématiques Thesaurus), « englobe ce sentiment de s’accrocher à la survie — au sens littéral et figuratif — de notre planète, nos proches, notre mode de vie ». En 2019, le mot s’est exprimé autant à travers la « crise existentielle » de la fourchette-jouet Forky dans le dernier épisode d’Histoire de jouets 4, que dans la gravité « existentielle » des enjeux de la planète, du réchauffement climatique à la violence par les armes à feu et l’état de la démocratie. « Existential », conclut Dictionary.com, « nous pousse à nous poser de grandes questions sur ce que nous sommes et sur notre façon de réagir face à nos défis ».

PHOTO KARSTEN MORAN, THE NEW YORK TIMES

Le mot « They » peut maintenant être utilisé au singulier comme « he » (il) ou « she » (elle) pour désigner des personnes qui ne s’identifient ni au genre masculin ni au genre féminin.

« They »

En rupture avec les propositions écolos de ses concurrents, le dictionnaire Merriam-Webster a choisi un simple pronom. Mais si « they » est habituellement utilisé à la troisième personne du pluriel (« ils » ou « elles »), il peut maintenant être utilisé au singulier comme « he » (il) ou « she » (elle) pour désigner des personnes qui ne s’identifient ni au genre masculin ni au genre féminin. Shana Poplack, détentrice de la Chaire de Recherche du Canada en linguistique à l’Université d’Ottawa, rappelle que l’American Dialect Society avait déjà désigné « they » comme mot de l’année en 2015. Sa nomination par un dictionnaire grand public cette année témoigne de « l’intérêt accru » de cet usage dans la population. Comment utiliser « they » au singulier ? L’accord du verbe reste le même qu’au pluriel. Par exemple, en disant : « Tonight, I’m going out with Joe. They are very happy », le « they » réfère à une seule personne, Joe. « On utilise le contexte pour désambiguïser », dit Mme Poplack. Un peu comme avec le « vous » en français, qui peut être employé pour s’adresser à une seule personne (vouvoiement) ou à un groupe de personnes. En français, si l’usage de pronoms neutres comme « iel » est très peu courant, les universités sont nombreuses à avoir adopté des politiques d’écriture inclusives et non genrées ces dernières années.

Chaos ou patriotisme, les sinogrammes de l’année

Il y a indéniablement quelque chose de politique dans la désignation du mot de l’année, et cette tendance est particulièrement marquée dans les caractères chinois (sinogrammes).

IMAGE TIRÉE DE L’INTERNET

Sinogramme signifiant « chaos »

Ainsi, Taïwan a choisi comme sinogramme de l’année celui qui signifie « chaos » — et qui a devancé « mensonges », « inquiétude » et « anxiété ». Le cinéaste taïwanais Ang Lee, qui avait proposé ce sinogramme au vote, a déclaré le 6 décembre qu’il espérait qu’un jour « on puisse arriver à désigner le caractère “harmonie” » comme sinogramme de l’année.

Pendant ce temps, en Chine continentale, les caractères candidats au sinogramme de l’année ont été dévoilés cette semaine par les autorités. Les choix proposés sont résolument plus optimistes : entraide entre les citoyens, stabilité du pays, patriotisme, mais aussi les sinogrammes qui désignent les technologies 5G (développée notamment par le géant de la téléphonie Huawei) et blockchain (à l’origine de l’essor des cryptomonnaies). Le résultat sera connu le 20 décembre.