Le week-end prochain, des centaines de milliers de personnes — dont Madonna, Grace Jones et Cyndi Lauper — vont célébrer le 50e anniversaire des émeutes de Stonewall, à New York. Un événement phare pour l’égalité des droits des communautés LGBT (lesbienne, gai, bisexuel, transsexuel) dans le monde entier. Retour sur cette nuit qui a tout changé.

Au commencement était l’action.

Il y a 50 ans, un samedi soir de juin, la police de New York se rend au Stonewall Inn, un bar de Greenwich Village fréquenté par des jeunes marginaux, sans toit ni loi. Pour les policiers, c’est une descente de routine. Depuis des années, ils ciblent la faune de « déviants sexuels » de ce bar miteux, tenu par la mafia… tout en récoltant les profits de leur perquisition. Le lendemain, le bar rouvrira, et les clients reviendront : ils n’ont pas d’autre endroit où aller.

Or, la nuit du 28 au 29 juin, les clients ont résisté à la police. Il y a plusieurs versions des émeutes de Stonewall. On dit que c’est une lesbienne qui a lancé le premier pavé aux constables ; ou encore, un transsexuel noir qui a jeté une bouteille sur les forces de l’ordre. On raconte que, telles des danseuses de music-hall, des travestis ont formé une ligne et chargé sur les agents à coups de talons aiguilles ! On dit même que la mort de l’actrice Judy Garland, une icône homosexuelle disparue la veille, aurait été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres…

Ce qui est officiel, c’est que le 30 juin, le New York Times titre : « 400 jeunes manifestants déclenchent une émeute dans le Village ». Le journal parle de 13 arrestations, de 4 policiers blessés. On mentionne aussi les graffitis écrits sur des planches bouchant les fenêtres cassées : « Appuyer le mouvement gai » ; « Légaliser les bars gais »…

Le Big Bang !

Dans le plus récent numéro du magazine Fugues, le réalisateur Patrick Brunette compare les émeutes de Stonewall au Big Bang : « Une explosion qui a eu comme conséquence directe l’arrivée des marches de la Fierté et du mouvement de reconnaissance des droits LGBT. » L’analogie au Big Bang n’est pas anodine. Elle rappelle que l’évolution des mœurs et des mentalités — à l’instar de la théorie sur l’origine de l’Univers — est un très, très long processus.

Les temps changent. Un demi-siècle plus tard, un politicien homosexuel, Pete Buttigieg, se présente à l’investiture du Parti démocrate dans la course à la présidence des États-Unis. En mai dernier, il a même fait la couverture du magazine Time avec son mari.

IMAGE FOURNIE PAR TIME

Un bel exemple du chemin parcouru, pour certains, mais aussi un contre-exemple pour d’autres. Car certains membres de la communauté estiment que les pionniers de la lutte homosexuelle se sont battus pour le droit à la différence. Et non pour la récupération de la cause par la majorité blanche, riche et mainstream.

L’Histoire en marche

Au Québec, à l’été 1969, les émeutes de New York sont passées sous le radar. « C’est l’année où le gouvernement canadien a adopté le bill omnibus pour décriminaliser l’homosexualité entre adultes consentants au pays », rappelle le militant pour la diversité sexuelle Laurent McCutcheon. « À mon avis, cette loi fédérale est un symbole très important. »

Toutes proportions gardées, c’est le « Stonewall canadien », estime le président-fondateur de la Fondation Émergence qui avait 27 ans et était dans le placard en 1969. « J’étais travailleur social dans un centre jeunesse et mon employeur avait une peur bleue de l’homosexualité », se souvient-il. Il voit donc le projet de loi défendu par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau comme quelque chose « d’incroyable et d’audacieux ». « En pleine trudeaumanie, ça prenait un courage politique énorme et une grande détermination pour défendre cette loi au Parlement. »

Les révolutions ne se font pas en une nuit.

D’abord, on a gagné l’égalité juridique. Puis, on a eu l’égalité sociale. Maintenant, il faut viser l’inclusion et la véritable acceptation par la société. Pas seulement la tolérance.

Laurent McCutcheon, militant pour la diversité sexuelle

La brigade rose 

En 1979, John Banks, un militant et restaurateur, organise le premier défilé de la Fierté gaie au Québec. Un matin, il voit un entrefilet dans The Gazette relatant le 10e anniversaire des émeutes du Stonewall Inn. « J’ai appelé Armand Monroe, qui était gérant au PJ’s [un cabaret de travestis, rue Peel], pour organiser une marche gaie, raconte Banks. Pour le fun, on s’est donné le nom de Brigade rose. On a marché du square Saint-Louis vers Prince-Arthur, puis Saint-Laurent, pour se retrouver devant mon restaurant, rue Duluth. On était 52 personnes ! »

L’événement va croître lentement. En 1980, John Banks organise un deuxième défilé à Montréal, avec 250 participants cette fois. L’ADGQ chapeautera ensuite la Fierté durant cinq ans. Entre 1987 et 1992, différents comités se chargent des festivités dans le Village à la fin de juin.

Pour le journaliste Richard Burnett, qui couvre la communauté LGBT depuis 30 ans, le Stonewall montréalais, c’est la descente au party Sex Garage, en 1990. « C’est là que la communauté LGBT a vraiment jeté les infrastructures du militantisme actuel et intersectoriel, dit-il. Dans les années 70 et 80, les associations étaient dirigées par des hommes gais, blancs et surtout francophones. Avec Sex Garage, les hommes et les femmes, les anglophones et les francophones, les minorités culturelles et les transgenres, tout le monde a épousé le même combat pour l’égalité et la diversité. » 

Trois ans plus tard, l’organisme Divers Cité met en branle son premier défilé de la Fierté, avec 5000 marcheurs dans les rues du Plateau. Avec le temps, les défilés de la Fierté ont pris de l’ampleur, et Stonewall est devenu le symbole de la reconnaissance de la diversité sexuelle et de l’identité de genre. Dans le monde entier. 

En juin 2018, Richard Burnett a assisté à la première Fierté à l’île Maurice, avec sa mère (qui est originaire de ce pays de l’archipel de l’océan Indien). Dans la foule rassemblée, un travesti tenait une pancarte où l’on pouvait lire ceci : « From Stonewall to Mauritius ». 

Un demi-siècle plus tard, la bouteille lancée par un transsexuel new-yorkais, stigmatisé par les autorités homophobes, a enfin traversé la mer.