Comment un tennisman peut-il retourner une balle filant à 200 km/h? Comment un skieur arrive-t-il à filer sur une piste à 140 km/h et à gagner par une fraction de seconde? Les neurones travaillent fort, avant et pendant l'effort. Les scientifiques commencent à peine à s'intéresser à la question.

«La boxe, c'est comme les échecs», se plaît-on à dire dans le milieu. S'il est «intelligent» dans le ring, le pugiliste saura anticiper les mouvements de son adversaire, profiter de ses faiblesses et... frapper dans le mille. Échec et mat. Des muscles de fer ne suffisent pas.

Que se passe-t-il dans la tête de l'athlète? On n'en sait pas grand-chose. Fascinés par les neurones du sportif, des chercheurs français s'intéressent actuellement aux interactions entre l'exercice physique et les processus mentaux. Ils cherchent à comprendre comment certains athlètes - tels les judokas, les lutteurs et les joueurs de soccer - réussissent à prendre des décisions à la vitesse de l'éclair durant l'effort.

Grâce à des capteurs placés sur la peau, l'équipe du laboratoire «Microcapteurs et microsystèmes biomédicaux» du Centre national de recherche scientifique, à Paris, a pu mesurer les émotions et le niveau de vigilance chez des haltérophiles, pongistes, archers et volleyeurs en action. La principale conclusion? Le niveau de vigilance tend à augmenter au cours du match.

Les athlètes de haut niveau activeraient, plus que les autres, certaines zones du cerveau. Des études menées sur des danseurs, des golfeurs et des cavaliers confirment cette hypothèse. «On comprend encore mal comment le cerveau d'un athlète se comporte, mais on remarque certaines particularités», indique Laurent Hermoye, chercheur en sciences médicales. La Presse l'a joint à son bureau de l'Université catholique de Louvain, en Belgique. Il dirige une étude sur le cerveau des cavaliers. Ses résultats devraient être connus d'ici la fin de l'année.

Une soixantaine de sujets - non-cavaliers, débutants, avancés et champions internationaux - subissent des tests d'imagerie par résonnance magnétique (IRM) fonctionnelle. On leur montre des vidéos d'équitation, de vélo et d'aquarium. On compare les réactions. «Chez les cavaliers d'expérience, beaucoup plus que chez les autres, les zones motrices, sensitives et les zones liées à l'intelligence au sens large sont particulièrement activées pendant les scènes d'équitation», note M. Hermoye.

Des chercheurs anglais et espagnols sont arrivés à un constat similaire. À l'aide de l'IRM fonctionnelle, ils ont observé l'activité du cerveau chez des danseurs de ballet et de capoeira. Leurs résultats ont été publiés dans Cerebral Cortex en 2005. Durant la présentation vidéo de mouvements liés à leur type de danse et qu'ils avaient déjà pratiqués, le cerveau montrait une activation supérieure dans les zones liées à la planification et l'organisation du mouvement, l'attention et la perception de l'espace ainsi que l'analyse des stimuli visuels en mouvement.

Plus une personne effectue une tâche spécialisée, plus le cerveau s'adapte. Ça se traduit même par un changement morphologique. «On sait aujourd'hui qu'il existe une plasticité corticale. Ce qui est utilisé beaucoup va prendre plus de place. Des études l'ont démontré», indique Luc Proteau, professeur au département de kinésiologie de l'Université de Montréal. Il est spécialiste en apprentissage et contrôle du mouvement humain.

Chez les joueurs de violon, la zone du cerveau consacrée au mouvement des doigts grossit à mesure qu'ils se perfectionnent. «On a observé la même chose chez les personnes qui ont appris à lire le braille», souligne Luc Proteau. Chez les chauffeurs de taxi, qui doivent connaître des centaines de noms de rue et leur emplacement, c'est plutôt l'hippocampe, centre de la mémoire, qui prend de l'expansion.

«On suppose que c'est la même chose pour le sportif, mentionne Laurent Hermoye. La morphologie du cerveau de l'athlète est sûrement différente de celle d'une personne sédentaire.» Logique. Un olympien peut facilement avoir 10 000 heures d'entraînement entre les deux oreilles!

Si le cerveau de l'athlète est particulier, ce n'est pas une question de génétique ou de prédisposition, mais d'expérience, croit Luc Proteau. «Avec le physique de l'emploi et un entraînement intense et supervisé, n'importe qui peut arriver à des performances impressionnantes. Ça vient avec la pratique», avance Luc Proteau. La bosse des sports? Peu probable, selon lui.

Comme si c'était vrai

Pour affûter ses réflexes, l'athlète s'entraîne et... visualise. L'imagerie mentale, ou visualisation, fait désormais partie intégrante de la préparation sportive. «En 1998, pratiquement tous les membres de l'équipe olympique canadienne disaient utiliser au moins une fois par jour des procédures de répétition mentale par imagerie. Chacune de ces séances durait en moyenne 12 minutes», écrit le neurobiologiste et vulgarisateur scientifique Bruno Dubuc sur le site web Le cerveau à tous les niveaux (lecerveau.mcgill.ca).

«La visualisation du mouvement, en plus d'améliorer l'efficacité de celui-ci et de permettre au corps de récupérer, affecterait aussi positivement des facteurs psychologiques comme la confiance, la concentration et la motivation», indique M. Dubuc.

Les skieurs alpins ont l'habitude de visualiser la piste avant chaque course. «Si on calculait les chronos du parcours réel et du parcours virtuel, on arriverait sensiblement au même résultat tellement la démarche peut être précise», indique Marylène Ouellette, physiothérapeute de l'équipe canadienne de ski alpin.

La visualisation est particulièrement efficace lorsque l'athlète imagine un mouvement qu'il vient juste d'exécuter. Les zones du cerveau activées sont les mêmes, ou presque, que lors de la pratique réelle du sport.

«On cherche toutes sortes d'explications au succès, mais au bout du compte, c'est le travail acharné en gymnase qui paie», insiste Luc Proteau. Mais lors d'une blessure? À la réadaptation s'ajoute l'entretien des neurones. Après une fracture à la jambe, l'ancienne championne de pentathlon, la Française Caroline Delemer, a pu s'entraîner «mentalement» en observant des compétitions... devant le téléviseur!