Parce qu'ils oeuvrent dans un service essentiel, qu'ils sont les derniers embauchés ou qu'ils ne célèbrent tout simplement pas Noël, de nombreux Québécois travaillent le soir du réveillon. Un quart de travail comme les autres? Pas toujours. Des couloirs d'une prison à un avion filant à 35 000 pieds d'altitude, quatre personnes racontent leur nuit de Noël au boulot.

Martine Gariépy > Agente de bord pour Air Canada

«C'est avant tout l'attitude de l'équipage qui donne vie à bord et en escale pendant la saison des Fêtes», estime Martine Gariépy. Son premier Noël comme agente de bord, elle l'a passé à Saint-Jean, à Terre-Neuve, tandis que des collègues avec plus d'ancienneté réveillonnaient sous la tour Eiffel. Sa famille téléphonait pour lui chanter «Je suis un saule inconsolable». «Après le souper avec l'équipage, nous sommes allés à la messe de minuit. Je n'ai rien compris à cause de l'accent, mais j'ai serré la main de tout le monde! De retour à l'hôtel, j'ai trouvé un bas de Noël à ma porte. Je vais toujours m'en souvenir.»

Depuis, il y a eu le Noël où une tempête a paralysé l'aéroport de Vancouver. Et l'autre à Caracas, quand il a fallu évacuer l'avion juste avant le décollage pour retrouver le passeport d'une passagère. Et toutes les fois où elle a demandé à un enfant s'il avait aperçu le père Noël. Ce soir, Martine Gariépy fera un aller-retour à Orlando. «Je devrais arriver chez ma grand-mère vers 1h30 du matin», se réjouit-elle.

Il y a tout de même un avantage non négligeable au fait de travailler dans le monde de l'aviation: la possibilité de faire ses emplettes de Noël au Duty Free.

Jean-Guy Piché > Animateur-chanteur auprès des personnes âgées

Dans le réseau des centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), Jean-Guy Piché a presque le statut d'une rock star. Depuis 25 ans, cet ancien cadre du milieu des communications sillonne le Québec pour présenter aux personnes âgées le spectacle La tournée du bonheur. «Je fais beaucoup d'animation, c'est ça le secret, confie-t-il. Je me promène, je fais semblant de m'asseoir sur une dame, ça fait rire.»

Au fil des ans, quatre musiciens professionnels (clavier, guitare, trompette et violon) se sont joints à lui. Le mois de décembre est un marathon pour le groupe: 22 spectacles en moins de 20 jours.

«Notre principe c'est: «tu ne peux plus aller à la Place des Arts, alors on t'amène la Place des Arts». Ce n'est pas de la prétention: ce qu'on fait est aussi noble que n'importe quel spectacle.»

La chanson la plus populaire de son répertoire? Minuit, chrétiens! «Il y a des applaudissements dès la première note. Ça fait partie de leurs racines.»

La plus émouvante? Sainte nuit, «un moment de recueillement automatique».

Celle qu'on garde pour la fin? La plus belle nuit du monde. «Ça swingue! Tout le monde est debout, ça finit dans la joie.»

Sébastien Charlebois > Agent correctionnel au centre de détention de Sorel-Tracy

Pas de sapin, ni de père Noël, ni de cadeaux à la prison de Sorel-Tracy. Au mieux, quelques bricolages fabriqués par les détenus sur les murs. «Pour l'aspect sécuritaire, on ne peut pas permettre les guirlandes», explique Sébastien Charlebois.

Le jeune agent correctionnel, formé en travail social, a travaillé trois fois à Noël entre les murs de la prison provinciale. «La première fois que j'ai lancé un «joyeux Noël», le détenu m'a regardé en se demandant si j'étais sincère ou si je le niaisais. J'ai fait plus attention après, pour ne rien attiser.»

Car les relations entre les détenus et les gardiens se corsent à l'approche des Fêtes. «Personne ne veut être en prison, encore moins à Noël. Ils se rendent plus compte que c'est nous, la barrière entre le dehors et le dedans.»

Au programme pour les prisonniers aujourd'hui: dîner traditionnel, visite des proches, messe, tournois de billard ou de ping-pong, puis films.

«Il y a une demande générale tous les ans pour retarder le couvre-feu, mais on ne peut pas, car il y a moins d'agents le soir. À 22h30, on les met en cellule.» Ce n'est qu'une fois les détenus couchés que les agents en service célébreront à leur tour autour d'un repas.

Pierre Desroches > Curé de trois paroisses situées sur le Plateau Mont-Royal et le Mile End

On pourrait facilement croire que le 24 décembre est la journée la plus chargée du calendrier pour les prêtres.

Curé de trois paroisses sur le Plateau Mont-Royal, il agit aussi à titre d'aumônier auprès des policiers de Montréal et d'un CHSLD, en plus de s'occuper de Claude, son fils adoptif handicapé. «Il n'y a pas beaucoup de journées où je ne travaille pas du matin au soir», dit-il. Il célébrera deux messes le 24 décembre, à 15h et à 20h. «La population vieillit, et les personnes âgées aiment mieux aller à la messe plut tôt. Ceux qui ont des enfants aussi. Maintenant, les gens nous demandent: «Elle est à quelle heure, votre messe de minuit?»»

Avant de célébrer, l'abbé Desroches observera un jeûne d'une heure et se réfugiera dans le silence pour réfléchir à son homélie, qu'il n'écrit jamais. «Il y a beaucoup de gens qu'on ne connaît pas le 24 décembre, qui viennent par tradition. Mon défi est de faire résonner la parole en chacun d'eux.»

Manon Dubois > Directrice du développement et des communications à la Maison du Père

L'itinérance ne prend pas de vacances. Ce soir, la Maison du Père accueillera 350 sans-abri pour célébrer le réveillon.

«C'est la journée où on a le plus de demandes de bénévolat, souligne Manon Dubois. Il faut refuser beaucoup de personnes qui se portent volontaires pour servir le repas.»

Au menu: tourtière, boulettes et bûche. Un chanteur de flamenco viendra réchauffer l'atmosphère et un père Noël bénévole distribuera sucreries, chaussettes de laine et produits d'hygiène. Toute l'équipe du refuge du boulevard René-Lévesque sera sur place pour assurer la logistique, mais aussi pour fêter avec les sans-abri. La famille attendra un peu.

«Il y a beaucoup d'activités en décembre, car c'est un mois très difficile pour les hommes sans-abri. Il y a les grands froids, mais aussi le fait d'être éloigné de sa famille. Le 24, on arrive à ce que ça se passe un peu mieux, mais il faut travailler fort.»