Dans les années 80, les Québécois délaissent les antiquités et commencent à s'intéresser à la décoration. Ils magasinent dans des boutiques branchées et ils découvrent le design italien. Ils se pâment devant Ikea, la mélamine et les stores. En 1980, la maison canadienne a fait son temps. Les nouveaux quartiers adoptent la maison victorienne! Retour dans le temps.

Dans les années 80, les Québécois délaissent les antiquités et commencent à s'intéresser à la décoration. Ils magasinent dans des boutiques branchées et ils découvrent le design italien. Ils se pâment devant Ikea, la mélamine et les stores. En 1980, la maison canadienne a fait son temps. Les nouveaux quartiers adoptent la maison victorienne! Retour dans le temps.

 La décoration des années 80, «c'était une révolte», résume la designer Madeleine Arbour. Une révolte qui a détrôné les antiquités et les meubles traditionnels, au profit d'objets design vantés par le magazine Décormag et désormais disponibles dans des boutiques branchées, telles DixVersions et Structube.

 Si M. Tremblay et Mme Côté s'intéressent aujourd'hui à la décoration, c'est à cause d'une cohorte d'étudiants de cette époque, stimulés par des créateurs venus d'Europe. Là, ça bouillonnait dans les années 80. En Italie, les premières écoles de design voyaient le jour.

 Et au Québec? «Ça brassait dans les universités», raconte le designer Jean Martel, alors étudiant à l'école de design de l'Université du Québec à Montréal, où ses professeurs avaient pour noms Marc Choko, Phyllis Bronfman, Koen De Winter. «Au milieu des années 80, le public s'est senti invité dans le mouvement à travers cette intelligentsia, poursuit-il. Des magazines vulgarisaient ces nouvelles idées et montraient que l'éclectisme était possible. Ils disaient aux lecteurs qu'ils avaient le droit de placer leur belle armoire ancienne à côté d'un meuble contemporain.»

 Des boutiques de «prêt-à-porter» du design ont ouvert leurs portes : DixVersions, Structube, Univers Décor, Zone. Via Design, l'ancêtre du Salon international du design intérieur de Montréal (SIDIM), se développait. Le Québec faisait connaissance avec la lampe italienne Tizio, créée en 1976, et avec la très avant-gardiste Zénith, de Jean-François Jacques.

Stratifié

 Dans les années 80, les artistes se sont mêlés de design, marquant du coup le retour du décoratif. Les designers deviennent des vedettes. Pour comprendre ce revirement, il faut regarder du côté de Milan. En 1981, des designers et des architectes italiens réunis au sein du Groupe de Memphis sont arrivés avec des objets colorés et audacieux, inspirés de l'art déco et du kitsch des années 50. Le Français Philippe Starck est un pur descendant de Memphis.

 Ces visionnaires travaillaient avec des stratifiés plastiques bigarrés. Exubérants, excentriques et très ornementés, leurs meubles, leurs luminaires, leurs horloges et leurs céramiques témoignaient d'un rejet du modernisme, mouvement né au milieu du XIXe siècle, caractérisé par la simplicité, la fonctionnalité et l'absence de luxe. Memphis a imposé un «nouveau vocabulaire de design postmoderne». (1)

 «Les lampes halogènes font une percée, puis culminent pendant cette décennie», mentionne Pierre Jolicoeur, propriétaire de la boutique De Retour, à Québec. «On ne cache plus leur mécanisme. Et leur structure rapetisse.»

Puis est arrivé la suédoise Ikea. Ikea et sa mélamine, le pendant industriel du stratifié et symbole mal-aimé d'une décennie.

 «On était prêts à entrer dans la modernité», se souvient Jean Martel. Les étudiants en design ont applaudi à la débâcle des fonds de grenier et salué l'arrivée de «meubles sans queue ni tête, mais avec un langage». Facile d'entretien, la mélamine a trouvé grâce à leurs yeux.

 L'aspect fonctionnel des meubles, en effet, a pris de plus en plus d'importance. «On s'est mis à se préoccuper d'ergonomie, en mettant les tiroirs à la bonne hauteur, par exemple», relate Jean Martel.

 Son collègue de l'époque Jean-François Jacques, fondateur de Météore Design en 1987, précise que l'image demeurait importante. «Mais pas question de tomber dans le mobilier d'artiste, nuance-t-il. Malgré la fantaisie, on voulait du confort et de la fonctionnalité.»

Passion mélamine

 Pendant ce temps, les Québécois se débarrassent de leur mobilier colonial, détruisent leurs armoires de cuisine en bois et adoptent la mélamine. Pour le meilleur et pour le pire.

 «On ne voulait plus rien savoir du Pledge», illustre le designer de Québec Jean Martel. En investissant le marché du travail, les femmes manquent de temps pour frotter. Les revêtements de plancher sans cirage apparaissent, ainsi que les finis sans entretien.

 «Le plastique prend d'assaut tout le territoire de la maison, meubles et objets, du revêtement de cuisine aux fauteuils, de la vaisselle aux abat-jour... Un matériau qui ne subit plus aucune contrainte d'assemblage, qui épouse n'importe quelle forme et accepte tous les traitements de couleur.» (2)

 Pionnière de la décoration au Québec, Madeleine Arbour fouille dans ses propres archives et y redécouvre un classique : le miroir. «J'en ai nettoyé, des miroirs, dans ces années-là», relate-t-elle. Les rideaux prennent le bord. Les fenêtres s'habillent désormais de stores. Horizontaux ou verticaux. En plastique, en métal ou en tissu. Unis ou à motifs. C'est la folie ! On n'entend plus que le clac-clac de leurs lattes, larges ou étroites.

 Il y a aussi des néons, du métal, du rose, du magenta, du violet et du noir. «C'est une époque high tech», affirme Pierre Jolicoeur, de la boutique De Retour.

 «C'est l'avènement des condos, rappelle Jean Martel. On veut des lieux lumineux, ouverts et déstructurés.» Dans les lofts, on arrache le gypse pour mettre la brique à nu. Un beau meuble contemporain devient sculpture sur le plancher de bois franc.

 L'osier blanc et le cuir ont la cote. Ainsi que les couleurs pastel et le gris pâle. Mais pas autant que la brique rose, cette aberration qui fleurit encore dans les banlieues.

 M. Tremblay et Mme Côté prendront environ 10 ans à se mettre au diapason des visionnaires des années 80.

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Sources :


 (1) Design du XXe siècle, Charlotte et Peter Fiell, Taschen

 (2) Le Style des années 80. Architecture. Décoration. Design. Sophie Anargyros. Rivages/Styles.

 

Photo fournie par Cassina

Le Feltri, un classique de Gaetano Pesce pour Cassina, présenté en 1987.