La location de maisons, de condos et de logements permet aux équipes de production de téléromans et de téléséries québécoises de faire des miracles avec leurs petits budgets. Le décor dans lequel évoluent les personnages correspond-il toujours à la réalité ? Oui… et non.

Même s’il est parfois plus simple de construire certains décors, les tournages sur le terrain, dans des maisons louées pour l’occasion, ont vraiment la cote aujourd’hui.

Budgets et règles d’arrondissement obligent, les créateurs doivent toutefois souvent tricher pour évoquer les quartiers et les rues. Denis Paquette, directeur de tournages, évoque à ce sujet la télésérie Les bogues de la vie, diffusée sur l’Extra de Tou.tv. « Puisqu’on désirait illustrer le milieu branché des concepteurs de jeux vidéo, on voulait que le personnage habite le Mile End, mais il y a présentement un moratoire dans le secteur, puisque ses habitants sont tannés des nombreux tournages. Quand on tourne, on débarque quand même avec cinq ou six camions… »

La solution : prétendre que l’histoire se déroule à un endroit, mais tourner ailleurs. « On a trouvé des coins de Verdun et de Griffintown qui peuvent passer pour le Mile End, dit-il. C’est notre travail de connaître l’architecture des quartiers de Montréal. On use de stratégies. »

Quand vient le temps de choisir les lieux de tournage, les artisans doivent en plus respecter la bible des personnages : milieu socio-économique, origines, salaire, etc. « Un lieu ne sera pas choisi juste parce qu’il est beau et qu’il fait rêver, mais pour mettre en images ce que le texte exige », précise Denis Paquette.

Dans le même ordre d’idées, une fois le quartier choisi, une recherche est effectuée sur les gens du secteur. « On vérifie si leur profil ressemble à notre personnage et on s’inspire parfois de ce qu’ils ont chez eux », dit Michel W. Morin, designer à Radio-Canada depuis 26 ans. 

Intérieur arrangé avec le gars des vues

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le décor d’Unité 9

Margot Ricard, professeure en production télévisuelle à l’UQAM, prône tout de même une certaine élasticité entre la crédibilité des lieux pour un personnage et les besoins du tournage. « Quand on tourne, on a besoin de recul. Les caméras prennent de la place. Si un personnage vit dans un trois et demi du centre-ville, c’est plus difficile à trouver. On a aussi moins d’angles pour les caméras et moins de pièces pour tourner différentes scènes. »

Denis Paquette abonde dans le même sens.

« On peut difficilement se permettre de tourner dans un petit appartement, en raison de la lourdeur de la machine. Il y a entre 25 et 50 personnes sur un tournage. Si on tourne une courte scène, on fait parfois des compromis, mais quand on passe une journée complète, il faut des maisons ou des logements plus grands pour offrir plusieurs prises de vue. »

Autre élément à considérer : les déplacements entre les lieux de tournage. « On essaie d’installer le bureau de production dans un espace qui se trouve souvent à même l’un des décors », explique Denis Paquette.

Faire mentir les meubles

Il fut un temps où les créateurs élaboraient des décors plus petits, afin qu’il y ait plus de matière dans le cadre des caméras. « Les choses ont beaucoup changé, explique M. Morin. Cela dit, on doit toujours créer une certaine densité avec les éléments en arrière-plan. Si on tourne dans un appartement loué et qu’il n’y a rien sur un mur, on peut réduire les dimensions du décor pour que ça semble plus habillé. Par contre, on préfère prendre un cadrage précis et l’habiller nous-mêmes. »

À l’occasion, les artisans modifient certains meubles pour que les décors paraissent mieux quand la caméra découpe l’image. « On peut soulever les pattes arrière d’un canapé pour qu’on le voie mieux, souligne le designer d’expérience. Parfois, on va rembourrer un canapé pour le rendre plus droit, afin que les comédiens n’aient pas l’air écrasés dedans. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’ÉMISSION

Scène du téléroman O, à TVA

Qu’advient-il de l’ameublement quand une série prend fin ? « Auparavant, à Radio-Canada, les meubles et les accessoires restaient dans une banque et servaient pour d’autres émissions, dit-il. Mais tout a été liquidé au cours de la dernière année. »

La situation est différente pour les téléséries faites par des producteurs privés. « Généralement, à la fin de la série, les meubles sont vendus aux employés de la production, dit Michel W. Morin. Parfois, le tournage d’une émission n’est pas encore commencé, et les membres de l’équipe ont déjà réservé les morceaux en vue de les racheter à la fin. »

Un choix économique

Si la location peut être plus exigeante, elle est généralement plus économique. « Le fait qu’on tourne chez les gens et dans certaines institutions, ça nous sauve, affirme Margot Ricard. Ce serait beaucoup trop cher de construire tous les décors. »

Elle cite d’ailleurs la tâche complexe réalisée par son frère Jules Ricard, directeur artistique du téléroman O’, lorsqu’il a dû reconstruire l’équivalent du Manoir MacDougall, que la production louait depuis des années pour y installer la famille O’Hara, jusqu’à ce que l’édifice historique devienne inaccessible en raison de rénovations. « C’est un lieu patrimonial, particulier, beau et cossu, dit-elle. Ç’a été toute une affaire ! »

Si la location devient la norme, le tournage en studio n’est pas complètement évacué. En effet, lorsque certains lieux reviennent souvent dans une intrigue, comme la prison d’Unité 9, il devient plus simple de construire le tout en studio. « Ça donne plus de flexibilité et c’est plus facile à éclairer », explique Michel W. Morin.

L’achat des lieux de tournage est aussi, beaucoup plus rarement, la solution privilégiée. Les Productions Casablanca font ainsi figure d’exception en étant propriétaires de la ferme qui apparaît dans 5e rang. « Si l’achat est moins cher que la location, tu achètes, dit M. Morin. Tu peux alors laisser en place ton équipement, visser des affaires aux murs. Tu es chez vous. En location, il faut tout replacer comme c’était avant qu’on arrive. »

Parfois aussi, le tournage en studio permet aux réalisateurs de magnifier l’espace de vie d’un personnage. C’était le cas dans Moi et l’autre, émission dans laquelle Dominique Michel et Denise Filiatrault vivaient dans un appartement énorme, moderne et relativement luxueux. « C’était un décor de studio créé pour faire de la télé et faire rêver, affirme la professeure. De toute façon, est-ce notre travail de toujours être absolument crédible ? Je ne sais pas. Je ne crois pas que les téléspectateurs remarquent les anachronismes entre les moyens financiers d’un personnage et son espace de vie. »