Accusé depuis le début de l’escalade dans le conflit dans la bande de Gaza de favoriser un point de vue propalestinien, TikTok a dû remettre les pendules à l’heure : ce n’est pas l’algorithme, c’est simplement que la jeune génération appuie la cause palestinienne.

Il n’y a pas que des journalistes qui publient des images provenant de la bande de Gaza sur les réseaux sociaux. De nombreux civils le font également, comme c’est le cas en Ukraine, où des images captées par des citoyens circulent massivement en ligne.

Dans le contexte du conflit entre Israël et le Hamas, un constat s’impose : la jeune génération, qui est la plus active sur Instagram et TikTok (où environ 70 % des utilisateurs ont de 18 à 34 ans), consomme plus de contenu exprimant un soutien envers le peuple palestinien.

Le très populaire réseau social TikTok est ainsi récemment devenu la cible de plusieurs politiciens républicains américains, entre autres, qui estiment que la plateforme est un outil de propagande qui mène les jeunes à se positionner contre Israël. Le représentant républicain du Wisconsin, Mike Gallagher, a affirmé que l’application était un outil pour le « lavage de cerveau » de la jeunesse. La candidate à l’investiture du Parti républicain Nikki Haley a demandé que TikTok soit banni.

PHOTO FAITH NINIVAGGI, ARCHIVES REUTERS

Nikki Haley, candidate à l’investiture républicaine

Pour chaque demi-heure que quelqu’un passe sur TikTok, il devient 17 % plus antisémite et plus pro-Hamas.

Nikki Haley, candidate à l’investiture républicaine, lors d’un rassemblement politique

L’entreprise a dû se défendre publiquement. Dans un communiqué de presse, à la mi-novembre, TikTok a mis les pendules à l’heure. Selon TikTok, le contenu qui circule sur la plateforme n’est pas forcé par une manipulation de l’algorithme. Les jeunes sont majoritairement pro-Palestine et c’est ce qui cause une hausse du contenu qui adopte cette position.

« Chez les jeunes, qui sont sensibles à des questions comme l’injustice et l’oppression, on appuie plus et on partage plus les contenus qui présentent les dégâts du point de vue palestinien », résume Arnaud Mercier.

TikTok cite notamment dans son communiqué de presse des données publiées en 2023 par l’entreprise de statistiques Gallup, qui rapportent un déclin constant du soutien à Israël parmi les jeunes Américains au cours des 10 dernières années, ainsi qu’un niveau de sympathie envers la cause israélienne plus faible que chez toutes les autres générations.

Selon une recherche menée entre 2006 et 2016 par le Pew Research Center, le soutien aux Palestiniens est en constante hausse parmi les Américains nés après 1980. « Les données montrent que ce soutien n’est pas nouveau et qu’il augmentait avant la création de TikTok, il serait donc irréaliste d’attribuer de tels sentiments à un seul canal de communication tel que TikTok », a argué la plateforme.

Au moment d’écrire ces lignes, l’ensemble des vidéos accompagnées du mot-clic #freepalestine accumulaient 31 milliards de vues sur TikTok. « Il est essentiel de comprendre que les mots-clics sur la plateforme sont créés et ajoutés aux vidéos par des créateurs de contenu, et non par TikTok, s’est d’ailleurs défendue la plateforme. Des millions de personnes dans des régions comme le Proche-Orient et l’Asie du Sud-Est représentent une proportion importante des vues sur les mots-clics. Par conséquent, il y a plus de contenu avec #freepalestine et #standwithpalestine et plus de vues globales. »

Les risques des fausses nouvelles

Les réseaux sociaux, dans le contexte actuel du conflit entre le Hamas et Israël, créent pour certains un équilibre face à la capacité réduite des médias traditionnels. Il est toutefois impératif de se parer contre les dangers des informations relayées en ligne, avertit Arnaud Mercier.

Il y a beaucoup de choses qui circulent qui reprennent d’anciennes images en disant que ça se passe maintenant. On ne peut pas dire que ce sont toujours des images qui sont d’une grande probité. Ça laisse place à des doutes et à des risques de manipulation.

Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et de la communication de l’Université Panthéon-Assas de Paris

« Il y a le danger du “sans filtre” omniprésent dans les réseaux sociaux, s’opposant à la mise en contexte pratiquée par le journaliste ou à la modération pratiquée par une personne désignée par l’opérateur, indique Serge Proulx. C’est le cas de TikTok, le réseau social préféré par les jeunes : il y a très peu de modération et l’usage de TikTok suscite des comportements addictifs. Or, 40 % des contenus de TikTok sont constitués de désinformation, en plus d’une large part d’informations apparemment insignifiantes. Plusieurs jeunes utilisateurs disent s’informer exclusivement par TikTok. Cela pose le danger d’un hiatus entre les faits réels et l’illusion créée par les images diffusées. »

Le gouvernement israélien, à travers ses officiers de propagande de guerre, essaie de décrédibiliser toutes ces figures de journalistes-citoyens. On essaie de dire que [Motaz Azaiza] est un acteur. On essaie de dire que toutes ces images filmées de Gaza sont des mises en scène. L’effort que les soutiens d’Israël et Israël déploient pour délégitimer ces images prouve que ça les gêne beaucoup.

Arnaud Mercier

Du contenu qui s’adapte

Oui, les réseaux sociaux permettent un accès sans pareil aux réalités des attaques dans la bande de Gaza. Non, tout ce que l’on voit n’est pas à prendre sans nuance. « Il faut tout de même se rappeler que si on est pro-israélien, on va probablement suivre des comptes qui vont relater l’histoire du point de vue de la défense d’Israël et inversement dans le cas contraire, avec le point de vue propalestinien, si on est sensible à la cause palestinienne », rappelle Arnaud Mercier.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE BISAN

Publication de la journaliste palestinienne Bisan Owda

« Qu’on ait accès à toutes ces images, ça ne veut pas dire qu’on a accès à une information équilibrée, ajoute l’expert. La consommation de ce format d’information sur les réseaux sociaux, qu’elle soit transmise par des journalistes ou des influenceurs, reflète une certaine forme d’engagement, et ces informations sont consommées par des gens qui ont envie d’épouser la cause d’un des deux camps. Ça peut être soit volontairement, soit par l’effet des algorithmes, qui tendent à moins nous confronter à ce qu’on n’a pas tendance à aimer ou à partager et à nous présenter toujours plus de ce qui est conforme à ce qu’on aime, partage et commente. »

Quoi qu’il en soit, il semble que cette avalanche d’images provenant du terrain a un impact direct sur l’opinion publique, estime Arnaud Mercier. « C’est indiscutable qu’Israël a en partie perdu la guerre de l’opinion publique, dit-il. L’ampleur des dégâts et des morts, les images où l’on voit des villes entières rasées : tout ça affecte le sentiment face à la destruction contre des gens qui sont au moins aussi innocents que les gens massacrés dans les kibboutz au début octobre. On le voit sur les campus américains notamment, les jeunes vont adhérer plus à la cause palestinienne. »