Alexandre Trudeau était parti faire un film sur les pirates somaliens. Il est revenu avec The New Great Game (Le nouveau grand jeu), ambitieux documentaire sur la bataille politico-économique qui se joue dans les eaux du Moyen-Orient.

D'un côté, il y a les États-Unis en déclin. De l'autre, la Chine émergente. À mi-chemin entre ces deux pôles, il y a des routes maritimes cruciales pour l'exportation du pétrole, comme le détroit d'Hormouz dans le golfe Persique.

C'est dans ces eaux périlleuses qu'Alexandre Trudeau amorce The New Great Game (Le nouveau grand jeu), documentaire de 54 minutes portant sur rien de moins que le nouvel ordre mondial. Présenté ce soir au Festival des films du monde (FFM), ce court film ambitieux démontre comment les Américains sont en train de perdre le contrôle de cette région stratégique, qui assurait jusqu'ici leur hégémonie.

«Les États-Unis ont fait de grandes erreurs. Ils sont épuisés», résume le cinéaste, qui a visité 19 pays et donné trois ans de sa vie à ce projet.

La «Pax Americana», assurée par les nombreuses bases yankees dans la région, n'a en effet jamais été si fragile. Dans l'océan Indien, le golfe Persique et le canal de Suez, les nouveaux acteurs se multiplient et rôdent silencieusement, à la recherche d'une brèche ou d'une occasion qui les mettrait dans le coup. Le géant montre des signes de fatigue. Et les changements qui s'annoncent ne seront pas nécessairement à son avantage.

«Avant, les enjeux étaient locaux, maintenant ils sont planétaires, explique Alexandre Trudeau. L'Europe a besoin de pétrole. La Chine cherche des partenariats diplomatiques et commerciaux. Le régime saoudien est dans une situation précaire. L'Iran sait qu'il peut exercer un contrôle négatif sur le détroit d'Hormouz. On ajoute le Printemps arabe et on arrive à un point où l'Occident ne peut plus dicter les résultats dans cette région du monde qui est la plus importante pour le pétrole.»

Pour Trudeau, c'est l'évidence: le déclin de l'empire américain a commencé. Le paysage politique se transforme, les alliances du passé s'effritent. Dans un nombre grandissant de pays, les indigènes reprennent la maîtrise de leur destinée. «Les nouveaux joueurs ne sont pas nécessairement des États, mais des peuples qui prennent conscience de leur voix, au-delà des gouvernements qui les représentent.»

On pense à l'Égypte, mais aussi à des électrons libres comme les pirates somaliens qui, malgré leurs effectifs ridicules, n'en finissent plus de perturber cette région du monde. Véritable grain de sable dans l'engrenage, cet «acteur indépendant», qui arraisonne les pétroliers à répétition, est un signe, pour les rivaux, que les Américains n'ont pas le contrôle total de l'échiquier. Un mal pour un bien, cependant, puisque la chasse aux pirates justifie une plus grande présence occidentale dans l'océan Indien.

Intéressant: Trudeau devait au départ faire son film sur les pirates somaliens. Mais le cinéaste a vite compris que la situation dans la Corne de l'Afrique était symptomatique d'enjeux beaucoup plus grands. «Je voulais voir ce qui se cache derrière les pirates. Mais ce qu'il y a derrière les pirates, dit-il, c'est justement la lutte des empires.»

Le nouveau grand jeu est loin d'être terminé, mais l'issue semble se dessiner. Avec la montée inexorable de la Chine, les Américains sont désormais en position défensive. Trudeau espère que l'Oncle Sam résistera à la tentation de montrer ses muscles. Cette stratégie engendrerait non seulement des réactions imprévisibles et extrêmes, mais elle pourrait aussi accélérer son déclin.

En prenant la voie de la puissance douce, dit-il, les États-Unis pourraient préserver quelque chose de plus précieux, comme la justice, les droits de la personne et la démocratie. «Dans cette période, il est impératif que l'Occident pense à son héritage et le sécurise, conclut le documentariste. Mais cet héritage sera gaspillé si on continue à promouvoir l'emploi de la force.»

«Utiliser la force, c'est aussi montrer ses limites. Contrairement à certaines notions établies, ce n'est pas la force qui compte. C'est la loi et la justice.»

Il aurait pu choisir la politique, comme son frère Justin ou son célèbre père. Mais Alexandre Trudeau a su très tôt que ce cirque n'était pas pour lui. Sa carrière de documentariste, dit-il, lui permet d'exprimer plus librement sa vision du monde. «Le documentariste est un témoin, le politicien est plus qu'un témoin. Le documentariste choisit son auditoire, le politicien doit s'adapter à son auditoire. Le documentariste fait moins de compromis. Le politicien doit se soucier de ce que les gens pensent de lui. Quelle horreur ! »