Pressentie pour chanter en ouverture des Jeux olympiques de Paris, Aya Nakamura est sous les feux de l’extrême droite sous prétexte qu’elle ne chante pas en français. Critique légitime ?

Nom

Aya Nakamura

Âge

28 ans

Fonction

Chanteuse

Mots clés

Jargon, Jeux olympiques, extrême droite

Pourquoi on en parle

Choix politique ou artistique ? Le magazine français L’Express a révélé cette semaine que le président Emmanuel Macron aurait proposé à Aya Nakamura d’interpréter un morceau d’Édith Piaf à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques le 26 juillet prochain. Bien que cette info ne soit pas confirmée par l’Élysée, la chanteuse se fait depuis taper dessus par l’extrême droite, qui conteste ce choix pour des raisons… linguistiques.

Une volée de bois blanc

Le nom de la chanteuse a été hué le 10 mars lors d’un rassemblement de Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour. Sa candidate-vedette aux prochaines élections européennes, Marion Maréchal (ex-Le Pen, nièce de Marine), a déclaré dans les médias qu’Aya Nakamura n’était pas légitime parce qu’elle « ne chante pas en français », y voyant un symbole de la décadence culturelle de la France. Le groupe identitaire « Les Natifs » s’est pour sa part affiché sur l’internet avec une banderole disant : « Y a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako ». Autrement dit : retourne chez toi.

Plus grande star de France

Chanteuse d’origine malienne, Aya Nakamura a grandi en banlieue parisienne et a été naturalisée française en 2021. Elle est, depuis quelques années, la chanteuse francophone la plus écoutée au monde, comme en témoignent ses millions d’albums vendus et d’écoutes sur l’internet, sa présence dans le jeu vidéo Fortnite ou dans un clip de Lancôme tourné au Louvre. Ses textes singuliers mélangent langue des banlieues populaires, jargon hip-hop, argot français et africain, comme dans son plus grand succès, Djadja : « J’suis pas ta catin, Djadja, genre, en catchana baby, tu dead ça », extrait d’ailleurs cité par Marion Maréchal pour illustrer ses accusations.

À la défense d’Aya

En France, des personnalités de différents horizons sont montées au créneau pour défendre la chanteuse. Premier concerné, le comité d’organisation des JO de Paris a déclaré avoir été « très choqué par les attaques racistes visant Aya Nakamura ». Rachida Dati, ministre de la Culture, a ajouté que « s’attaquer à une artiste pour ce qu’elle est est inacceptable », tandis que la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castera, s’est portée à sa défense sur les réseaux sociaux. « Peu importe comme on vous aime, chère Aya Nakamura, foutez-vous du monde entier. » La principale intéressée, enfin, ne s’est pas laissé intimider. Sur X, elle a accusé ses détracteurs d’être racistes : « Je deviens un sujet d’État numéro 1 et c’est ça qui vous fait mal… Mais je vous dois quoi en vrai ? Kedal. »

Pas du français ?

Peut-on dire qu’Aya Nakamura ne chante pas en français ? C’est la question qu’on a posée au linguiste Médéric Gasquet-Cyrus, professeur à l’Université d’Aix-Marseille et auteur du livre En finir avec les idées fausses sur la langue française, dans lequel il consacre un chapitre à Aya Nakamura. Réponse unanime de sa part : « Il n’y a pas débat, c’est du français, bien sûr. Dire que ça n’en est pas, c’est le fruit d’une conception conservatrice étriquée, réductrice de la langue, très francocentrée, oubliant que la langue française est parlée ailleurs qu’en France, qu’elle n’est pas la langue de Molière, qu’elle n’est pas qu’une langue académique et qu’elle est métissée depuis le départ. »

Comme Gainsbourg et Dutronc

Le linguiste admet que le français de Nakamura n’est pas celui qu’on parle dans certains salons, dans les réunions politiques ou « sur le plateau de CNews » (chaîne de télé critiquée pour ses penchants xénophobes). Mais il n’est pas illégitime pour autant. Le « bon français, c’est un concept très vaste, dit-il. Ce n’est pas parce que ce n’est pas académique que ce n’est pas du français. C’est tout simplement une variété de français urbain, populaire, métissé et générationnel, parce que c’est plutôt un parler que pratiquent les jeunes ». Selon M. Gasquet-Cyrus, Aya Nakamura joue tout simplement avec les sons, comme le faisaient en leur temps Jacques Dutronc avec « Crac ! Boum ! Hue » ou Serge Gainsbourg avec ses onomatopées.

Une stratégie politique

Au-delà du débat linguistique, l’affaire est éminemment politique, souligne Olivier Ihl, professeur à l’Université de Grenoble. Pour lui, les attaques à l’endroit d’Aya Nakamura sont une manière de réaffirmer « la doctrine du Français de souche parlant bien la langue et conforme à certaines vues instituées du national ». À deux mois des élections européennes, on peut aussi y voir une forme de stratégie de la part de Marion Maréchal et du parti Reconquête !. « L’idée est de se distinguer du Rassemblement national de Marine Le Pen, une formation qui n’ose plus traduire ce genre de défiance, explicitement du moins », souligne le politologue. Pour Médéric Gasquet-Cyrus, enfin, « cette polémique sert le discours raciste, xénophobe et nationaliste » d’une mouvance qui gagne du terrain en France. Une histoire qui n’est pas sans rappeler le concert du rappeur Black prévu en 2016 pour le centenaire de la bataille de Verdun, finalement annulé sous pression de l’extrême droite. Une enquête a été ouverte vendredi au sujet des publications racistes visant Aya Nakamura.