Des milliers d’Arméniens continuent de fuir le Haut-Karabakh, quelques jours après une offensive éclair qui leur a fait perdre le contrôle du territoire. Une explosion lundi soir dans une station-service est venue ajouter au chaos et aurait fait au moins 20 morts et 300 blessés.

L’histoire jusqu’ici

1991

La république d’Artsakh déclare son indépendance au Haut-Karabakh, qui n’est pas reconnue internationalement.

1994

Après six ans de guerre, un cessez-le-feu est conclu. L’Azerbaïdjan perd alors le contrôle d’une partie du Haut-Karabakh, et des centaines de milliers d’Azerbaïdjanais fuient l’enclave. Le conflit fait quelque 30 000 morts.

2020

Guerre de 44 jours à l’automne. Les forces azerbaïdjanaises reprennent le contrôle d’une partie du territoire. Quelque 6500 personnes perdent la vie.

2023

Le 19 septembre, l’Azerbaïdjan lance une offensive au Haut-Karabakh, dans laquelle au moins 200 personnes périssent.

La déflagration, dont on ignore les causes, est survenue alors que de nombreux habitants faisaient la queue pour obtenir l’essence leur permettant de quitter le territoire, frappé par un blocus qui a causé des pénuries de carburant, de nourriture et de matériel médical dans les 10 derniers mois.

PHOTO HAYK BAGHDASARYAN, ASSOCIATED PRESS

Arménien du Haut-Karabakh blessé par une déflagration dans une station-service de Stepanakert

L’hôpital qui a accueilli les blessés est débordé, a souligné Jason Straziuso, chef d’équipe média du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), joint à Genève.

« C’est une priorité pour nous que les autorités dans la région collaborent pour permettre l’évacuation médicale de ces patients vers d’autres établissements qui ne sont pas débordés ou vers des établissements qui ont des effectifs complets ou l’équipement et les médicaments pour traiter ces brûlures », explique M. Straziuso.

Du personnel de l’organisme assiste actuellement les équipes médicales sur place, a-t-il précisé, et le CICR a aussi acheminé du matériel pour le traitement des brûlures. Et tentait de faire entrer plus d’aide, humaine et matérielle, dans la région.

« C’est loin d’être fini »

Depuis près d’une semaine, plus de 20 000 Arméniens auraient quitté l’enclave, disputée depuis 30 ans. Le Haut-Karabakh est reconnu internationalement comme une partie de l’Azerbaïdjan, mais ses habitants ethniquement arméniens ont proclamé leur indépendance en 1991, créant la « république d’Artsakh » et s’autogouvernant.

PHOTO EMMANUEL DUNAND, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des soldats azerbaïdjanais gèrent la circulation alors que des réfugiés attendent dans leur voiture de quitter le Haut-Karabakh pour l’Arménie, à la frontière du corridor de Latchine, mardi.

Ils étaient 120 000 jusqu’au 20 septembre, quand l’Azerbaïdjan a repris le contrôle du territoire. L’offensive n’a duré que 24 heures. Les séparatistes ont capitulé, et un cessez-le-feu a été conclu.

Depuis, les embouteillages s’étendent sur plusieurs kilomètres dans les environs du corridor de Latchine, la seule route permettant aux habitants du Haut-Karabakh de quitter le territoire et de rejoindre l’Arménie.

PHOTO VASILY KRESTYANINOV, ASSOCIATED PRESS

Convoi de voitures d’Arméniens du Haut-Karabakh bloquées sur la route menant vers le village de Kornidzor

« C’est difficile, nous avons vu des gens épuisés, mais aussi très affectés mentalement », témoigne Hicham Diab, directeur des opérations en Arménie de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC), joint par téléphone.

C’est difficile particulièrement pour les enfants. Ils ont traversé un long chemin déjà, mais c’est loin d’être fini.

Hicham Diab, directeur des opérations en Arménie de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

L’IFRC a installé deux points d’accueil, à Goris et à Kornidzor, pour permettre aux déplacés de s’enregistrer, de recevoir eau et nourriture, et d’être dirigés vers les bonnes ressources pour la suite. Une priorité est de réunir les familles : des enfants sont arrivés sans leurs parents.

La Fédération a rapidement réuni 200 bénévoles pour ces tâches. Comme d’autres organismes, elle s’était préparée dans les derniers mois, voyant poindre une nouvelle crise à l’horizon, après le blocus.

Un « génocide »

En décembre dernier, des Azerbaïdjanais se présentant comme des militants écologistes avaient commencé à bloquer le corridor de Latchine. Puis, le 11 juillet, l’Azerbaïdjan a fermé officiellement l’accès, invoquant des raisons de sécurité.

L’acheminement de nourriture et de médicaments est devenu particulièrement difficile. Au point où l’ancien procureur de la Cour pénale internationale Luis Moreno Ocampo a affirmé en août qu’un « génocide contre les 120 000 Arméniens vivant dans le Haut-Karabakh, aussi connu comme Artsakh, est en cours ».

Le régime azerbaïdjanais s’est défendu. « C’est partial et ça déforme la situation réelle sur le terrain et représente d’importantes erreurs factuelles, légales et substantielles », avait confié Hikmet Hajiyev, conseiller du président Ilham Aliev, à l’Associated Press.

Bien que M. Aliev ait affirmé que les droits des Arméniens seraient « garantis » par son gouvernement s’ils choisissaient de rester au Haut-Karabakh, les organismes se préparent à accueillir encore des dizaines de milliers de déplacés.

« Ce n’est pas un pays qu’on peut qualifier de démocratique, donc il y a des craintes réelles pour ce qui va arriver avec les Arméniens qui restent au Haut-Karabakh, explique Magdalena Dembinska, professeure titulaire à l’Université de Montréal. Des craintes par rapport à un président autocrate qui n’est pas prévisible et qui ne suit pas les règles des droits de la personne. »

Rôle de la Russie

À l’automne 2020, l’Azerbaïdjan avait réussi à reprendre le contrôle d’une portion du Haut-Karabakh, au terme d’une guerre de 44 jours. Le cessez-le-feu avait été conclu sous l’égide de la Russie, qui y a envoyé quelque 3000 soldats de maintien de la paix.

« C’était vu comme une victoire, en Azerbaïdjan, mais une victoire inachevée, précise Mme Dembinska. Ça faisait un moment qu’Aliev testait, en quelque sorte, à quel point les soldats de maintien de la paix russes allaient faire quelque chose, allaient répondre à certaines provocations faites depuis 2021, comme le cessez-le-feu qui n’est pas respecté et, ensuite, le blocus. »

L’inaction de la Russie la semaine dernière a été dénoncée par les Arméniens. Mais dans le contexte de l’invasion en Ukraine, les intérêts du gouvernement russe ont changé, note la politologue. La Turquie est un puissant allié de l’Azerbaïdjan, et la Russie a intérêt à ne pas irriter le régime turc, qui a une position « ambivalente » dans la guerre en Ukraine, explique-t-elle.

L’Azerbaïdjan, riche en hydrocarbures, ne cache pas ses ambitions de mettre en place un couloir le long de la frontière sud de l’Arménie, créant un lien terrestre direct du pays vers la Turquie et le reste de l’Europe. Un projet redouté par l’Arménie.

Or, l’Azerbaïdjan est actuellement dans une position de force, estime Mme Dembinska.

Avec l’arrivée de dizaines de milliers de déplacés et un mécontentement face à l’inaction du premier ministre arménien pour défendre le Haut-Karabakh, l’Arménie pourrait aussi traverser une période d’instabilité importante.

« L’Arménie est vraiment dans une mauvaise situation », résume Mme Dembinska.

Avec Le Monde et l’Agence France-Presse