(Paris) Après une mobilisation qu’il n’anticipait pas aussi massive, l’exécutif restait vendredi résolu à aller au bout de sa réforme des retraites, avec quelques aménagements à la marge.

Le porte-parole du gouvernement Olivier Véran disait le 11 janvier ne pas se projeter « dans l’idée d’une mobilisation massive » contre ce projet.

Finalement, il a été contesté jeudi dans la rue par plus d’un million (selon la police) voire deux millions (selon la CGT) de personnes.

Cette mobilisation a été « importante », a-t-il reconnu vendredi comme plusieurs autres ministres, et « on la respecte », mais « cette réforme est indispensable et on doit la faire ».

N’excluant pas la possibilité d’« enrichir » le texte au Parlement, il a rappelé que le projet avait déjà « évolué » après les concertations syndicales et politiques.  

Le ministre des Comptes publics Gabriel Attal a concédé que le gouvernement pouvait « encore progresser » sur les carrières hachées et l’emploi des seniors.

Mais sans toucher au principal point contesté par les opposants : le report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

« Ça bougera à la marge », admet une responsable de la majorité. Le débat à l’Assemblée va permettre « peut-être d’enrichir le projet, mais dans un cadre donné », a abondé Stanislas Guerini, ministre de la Fonction publique.

« Tensions »

« Il n’y a pas […] à faire semblant qu’il n’y avait pas de monde dans la rue », mais « on ne peut pas revenir » sur la réforme, « il faut tenir », a estimé le vice-président du groupe Renaissance Sylvain Maillard, alors que la majorité est traversée par des « tensions », alliés d’Horizons et du MoDem compris.

Les députés dans leurs circonscriptions « sont entre le marteau et l’enclume » et sont « inquiets au vu de la mobilisation » de jeudi, rapporte une source parlementaire Renaissance.

Mais « ce sont des brebis égarées » qui reviendront au bercail, veut-on croire au sein du groupe.

Le député Gilles Le Gendre a reconnu être « éminemment conscient du fait que nous n’avons pas encore réussi à convaincre de la pertinence de cette réforme » qui « ne peut pas être perçue comme juste dès lors que nous demandons des efforts à tout le monde », le coordinateur de LFI Manuel Bompard y voyant l’aveu d’une réforme « injuste ».

Depuis Barcelone jeudi, Emmanuel Macron avait dit sa « détermination » à faire aboutir le projet, qui sera présenté en Conseil des ministres lundi, et qu’il considère comme « démocratiquement validé » par son élection, même si beaucoup d’électeurs ont voté pour lui par rejet de Marine Le Pen.

Plus nuancé, Gabriel Attal, qui prédit une deuxième journée de mobilisation « probablement aussi importante » le 31 janvier, n’a pas repris le terme « validé ».

« Je ne dis pas qu’il y a un blanc-seing » pour le président, qui ne dispose que d’une majorité relative, a-t-il admis, « je dis juste qu’il n’y a pas de page blanche non plus ».

Débats télévisés

En première ligne, la première ministre Élisabeth Borne a souhaité toujours « convaincre ».

Les ministres concernés, Gabriel Attal, Olivier Dussopt, Stanislas Guerini ou encore Olivier Véran vont continuer à développer leurs arguments lors de réunions publiques.  

Des débats télévisés sont aussi dans les tuyaux. BFMTV a annoncé la tenue d’une joute mardi soir entre M. Véran, le patron du RN Jordan Bardella, et la cheffe de file des députés LFI Mathilde Panot.

M. Attal a également indiqué que l’exécutif allait « continuer à échanger avec les organisations syndicales », mais aucun rendez-vous ne semblait à ce jour en préparation, selon un conseiller de l’exécutif.

Si les syndicats ont gagné la première bataille, ils n’ont pas encore gagné la guerre, souligne le camp présidentiel.

« La vraie question portera sur les prochaines (mobilisations). Est-ce que c’est reconduit, est-ce que ça agrège ? », se demande une députée de la majorité, en pointant la « concurrence » entre syndicats et politiques, alors que LFI organise sa propre marche samedi, et le « taux d’emmerdement maximum des Français » car c’est ça « qui compte ».

« Si cela tient, cela va être compliqué de maintenir la réforme en l’état. Si le phénomène (de mobilisation) s’érode, cela passera à l’usure » comme en 2010, estime le politologue Pascal Perrineau.  

Les dates clés du projet de réforme des retraites en France

Le projet de réforme des retraites, présenté lundi en Conseil des ministres, naît d’un engagement d’Emmanuel Macron en 2021 de mener à bien ce chantier en cas de réélection.

Rappel des principales dates du projet qui fait suite à une première tentative de réforme des retraites, plus ambitieuse, menée durant le premier quinquennat et stoppée par la pandémie de COVID-19.

Le coup d’arrêt de la COVID-19

Le 16 mars 2020, Emmanuel Macron annonce la suspension de « toutes les réformes en cours », en raison de la pandémie de COVID-19, dont une ambitieuse réforme des retraites prévoyant un système universel par points, et qui avait suscité une forte opposition.

Le 2 juillet, le chef de l’État dit qu’il n’y aura pas d’abandon de la réforme, mais une « transformation » après concertation.

Le 13 juillet 2021, M. Macron assure que la réforme des retraites sera engagée « dès que les conditions sanitaires seront réunies ». En novembre, il repousse la réforme à 2022.

Âge légal à 65 ans

Fin 2021, Emmanuel Macron réitère sa volonté de réformer les retraites, mais évoque « un système simplifié avec trois grands régimes, un pour la fonction publique, un pour les salariés, un pour les indépendants ».

Réélu en 2022 après s’être engagé durant la campagne à « décaler l’âge de départ légal jusqu’à 65 ans » contre 62 jusqu’à présent, il appelle le 14 juillet à « des compromis responsables » en vue d’une entrée en vigueur à l’été 2023.

Concertations

Face à l’opposition virulente des syndicats, Emmanuel Macron demande le 22 septembre au gouvernement de « trouver la bonne manœuvre » pour une réforme « apaisée ».

Début octobre, la première ministre Elisabeth Borne engage la concertation avec les partenaires sociaux pour, espère-t-elle, une adoption « avant la fin de l’hiver ».

Macron « ouvert »

Le 26 octobre, Emmanuel Macron se dit « ouvert » à un âge légal de départ à 64 ans, au lieu de 65 ans.

Mais il insiste le 3 décembre : « travailler plus longtemps » est « le seul levier » pour faire face aux « besoins de financement massifs ».

La présentation de la réforme est repoussée à janvier pour laisser le temps aux partenaires sociaux et partis politiques « d’échanger » avec l’exécutif sur ce projet.

Elisabeth Borne consulte tous azimuts, en décembre, pour tenter notamment de se concilier la droite et le groupe syndical de la Confédération française démocratique du travail (CFDT).

64 ans

Elisabeth Borne dévoile le 10 janvier la réforme dont la mesure phare est le report de l’âge légal de départ à la retraite, à 64 ans à horizon 2030, contre 62 jusqu’à présent.

Front uni des syndicats contre le projet : les huit principales organisations appellent immédiatement à une première journée de manifestations et de grèves le 19 janvier.

Mobilisation massive

Des manifestations dans toute la France, des grèves suivies à l’école, dans l’énergie ou les transports : les syndicats réussissent le 19 janvier à mobiliser massivement contre la réforme.

« Plus de deux millions » de personnes ont manifesté dans plus de 200 cortèges, dont environ 400 000 à Paris, selon la Confédération générale du travail (CGT). Le ministère de l’Intérieur comptabilise, lui, 1,12 million de manifestants, dont 80 000 dans la capitale.

Les syndicats ont annoncé dans la foulée une nouvelle journée d’action, le 31 janvier, pour tenter de faire reculer le gouvernement.