Ce n’est pas que dans les expressions en vogue, l’affichage et les slogans que l’anglais s’immisce en France. C’est aussi dans le langage bureaucratique.

À un tel point que le sénateur Mickaël Vallet est parti en croisade contre le globish, un terme qui décrit le jargon truffé de mots d’anglais, notamment utilisé par les firmes de consultants comme McKinsey et Accenture.

Dans le cadre d’une commission d’enquête sénatoriale, qui a mis en lumière le recours de l’État aux cabinets de conseil privés en France et conduit à l’adoption d’une loi pour mieux les encadrer, le sénateur Mickaël Vallet a convaincu ses collègues d’y inclure un article qui régirait aussi la langue utilisée par ces firmes.

La Presse l’a joint pour en apprendre plus.

Du snobisme

« Le globish, c’est du mauvais anglais, résume le sénateur socialiste de Charente-Maritime. Ce sont des termes qu’on est censé comprendre dans tous les pays du monde. En réalité, ces mots-là ne sont compris que par certaines catégories professionnelles ou certaines catégories de la population. C’est la forme de snobisme la plus répandue dans le monde occidental, de mon point de vue. »

Des exemples ? Icebreaker est utilisé par les consultants pour décrire une « activité visant à créer du lien au sein d’une équipe ». Cela « peut prendre la forme de jeux, de mouvements, de questions, etc. » Nudge veut dire « influer de manière indirecte sur le comportement d’un groupe ou d’un individu ». Et on the beach décrit « un consultant entre deux missions ».

Un glossaire a été rédigé et annexé au rapport de la commission d’enquête sénatoriale pour permettre à ses membres de comprendre de quoi il s’agit. Outre nudge, icebreaker et on the beach, on y retrouve une quinzaine de mots et d’expressions, dont bench, draft, kick-off, KPIs, paperboard, quick win, slide et staffing.

La recommandation de Michaël Vallet est simple : veiller à ce que les cabinets-conseils n’utilisent pas le globish dans leurs échanges avec le gouvernement.

« J’ai glissé dans la proposition un article, l’article 7, qui dit que l’État, dans ses contrats, doit exiger qu’on lui parle dans un français compréhensible et que les documents qu’on lui remet doivent être rédigés dans un français correct et compréhensible », explique-t-il.

Première étape vers un changement législatif

Cette proposition de loi, qui vise à mieux encadrer le recours aux consultants au sein de l’État, a été adoptée le 19 octobre, à une large majorité.

Ce n’est toutefois que la première étape. Le texte doit maintenant être examiné par l’Assemblée nationale.

« Si cette loi va au bout, elle va modifier à la marge la loi Toubon en précisant que les cabinets-conseils ne peuvent pas utiliser le globish dans les échanges avec l’administration », explique M. Vallet. La loi Toubon, adoptée en 1994, désigne la langue française comme « langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ».

« Maintenant, je pense que le débat est ouvert au Parlement et que nous pouvons intelligemment travailler à ce que pourrait être une adaptation de la loi Toubon au monde d’aujourd’hui », poursuit le sénateur, qui décrit cette loi comme « la petite sœur de la loi 101 ».

C’est une petite sœur qui n’est pas majeure. C’est une petite sœur qui a besoin encore de grandir, car nous sommes très loin des dispositions et de la norme imposée par la loi 101.

Mickaël Vallet, sénateur socialiste de Charente-Maritime, à propos de la loi Toubon

M. Vallet ajoute qu’en France, « dès qu’on commence à critiquer l’usage abusif des termes étrangers, on peut passer pour un réactionnaire ».

Il est d’avis qu’une langue « doit bouger » et « accepter les termes étrangers » lorsque ceux-ci permettent de désigner une réalité que la langue ne permet pas de nommer. Le mot « hamburger » est le parfait exemple. « Je ne sais pas comment on désigne un hamburger mieux qu’en disant “hamburger”. On ne va pas s’amuser à dire “sandwich à la viande hachée” », illustre-t-il.

Et pas besoin de toujours piger dans l’anglais.

« La langue doit accepter les mots nouveaux, notamment les mots francophones du monde entier, en dehors de la France, note-t-il. En Suisse, pour inscrire quelque chose sur son agenda, on ne dit pas Save the date, on dit “agender”. Et puis, le fait de se battre, comme vous le faites vous-mêmes, pour être intelligent en adaptant les mots. Le courriel et le pourriel ne sont pas des termes suffisamment utilisés en France. On dit le “mail” et le “spam”. »

Lisez « La France a besoin d’une loi 101, croit un linguiste de renom » Lisez la critique de l’essai Réveillez-vous… bordel ! de Patrice Dallaire
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    Nombre de documents analysés par la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques
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    Nombre de consultants engagés par les cabinets de conseil, en France
    Sénat de France